VILLE ET CAPITAL


Abréviations utilisées dans cet ouvrage

MPC : mode de production capitaliste.

PED : pays en voie de développement.

Pl : plus-value (ou survaleur)

Hyperagglo : hyper agglomération.

 

CHAPITRE 1. UNE NOUVEAUTE : LA MEGAPOLE.

La ville n’est évidemment pas un phénomène propre au MPC, mais nous verrons que celui-ci a engendré un type bien particulier de villes : l’hyper-agglomération (hyperagglo dans la suite du texte) ou mégapole.

Dès que les hommes, s’étant sédentarisés en devenant agriculteurs, producteurs et non plus seulement prédateurs, ont pu développer leurs techniques jusqu’à disposer d’un surproduit, se sont aussi développées des cités comme centres d’un pouvoir politico-religieux et militaire chargé de la protection, de l’organisation et de l’extension du territoire, en même temps que vivant à ses dépens de ce surproduit.

Cette séparation de la ville et de la campagne fût « la plus grande division du travail matériel et intellectuel [1]». En fait il faudrait plutôt dire que cette division du travail se manifesta dans l’espace par cette séparation. Laquelle s’accentua dans l’histoire, au fur et à mesure que les villes concentrèrent de nouvelles fonctions et dont le nombre d’agents croissait : fonctions politiques, militaires, commerciales, financières, industrielles, scientifiques, etc. Cela même si, en même temps, certaines de ces fonctions s’y amoindrissaient plus ou moins : par exemple les villes n’ont plus le rôle de forteresses militaires.

Si de tout temps les villes ont été des lieux de pouvoir, d’appropriation tant des biens matériels que des connaissances – et par là aussi des lieux de progrès des civilisation – à y regarder de plus près chaque mode de production et d’appropriation engendre aussi une production spécifique de l’espace, des villes et des rapports villes-campagnes.

Par exemple, si l’on considère la ville à l’époque où les fonctions commerciales, manufacturières et financières commencent à supplanter la propriété foncière en prenant l’importance principale dans l’appropriation des richesses, on peut alors « ….saisir la séparation de la ville et de la campagne comme la séparation du capital et de la propriété foncière, comme le début d’une existence et d’un développement du capital indépendant de la propriété foncière, comme le début d’une propriété ayant pour seule base le travail et l’échange. »[2] L’exemple typique en est évidemment Venise, à partir du 12ème siècle, mais bien d’autres villes portuaires se développèrent alors en Europe. Puis ce « capital indépendant » s’affirma vraiment capital en développant l’industrie et les villes industrielles (exemple typique : Manchester) [3]. Ensuite on arrive aux mégapoles où sont concentrées, séparées géographiquement des industries, les fonctions dirigeantes, étatiques et privées, du capitalisme contemporain : sièges sociaux des multinationales (avec une forte présence du capital financier), centres de recherche scientifique, médias, gouvernements et autres hauts organismes d’Etat ou para étatiques, etc.

Il n’est pas question de refaire ici l’histoire des villes et de leurs spécificités, de la Haute Antiquité jusqu’à nos jours[4]. Mais de voir ce que le capitalisme a changé dans le rapport ville-campagne qui est au fondement historique de la ville, puis d’examiner plus particulièrement les principales caractéristiques des villes du capitalisme contemporain, c’est-à-dire du point de vue de leurs rapports avec le capital à son âge sénile. En quoi ces villes, devenues gigantesques mégapoles agglomérant des millions et dizaines de millions d’individus sont les produits catastrophiques de ce capitalisme mondialisé et sénile, continuent-elles, ou pas, de contribuer à la valorisation du capital, c’est-à-dire à la reproduction de la société actuelle.

Ce qui frappe d’abord, ce qui est nouveau, c’est le caractère soudain hallucinant de la croissance des grandes villes[5]. Certes, elle a accompagné celle de la démographie : au début du 19ème siècle le monde comptait 1 milliard d’habitants, 1,9 milliard au début du 20ème, et, grand saut, 6 milliard un siècle plus tard seulement. Mais cela n’explique pas pourquoi cette croissance soudainement exponentielle se serait fixée principalement sur quelques centaines de villes. Corrélation ne veut pas dire causalité. L’explication est bien plus à rechercher, comme nous le verrons plus loin, dans les développements du capital, dans son mouvement « automate » de valeur se valorisant[6], d’accumulation qui s’accompagne nécessairement d’une concentration toujours plus poussée du capital, et donc aussi de ses agents (de ses fonctionnaires) et des services (et serviteurs) dont ils ont besoin. Ceci tandis que dans le même temps le développement  d’une agriculture de plus en plus industrielle et chimique vide les campagnes[7] des paysans ainsi que de tous les petits métiers artisanaux et commerciaux qui formaient avec eux « le monde rural »[8].

Il faut noter d’ailleurs que, lorsque certaines statistiques indiquent un arrêt, dans un pays développé comme la France (à partir des années 80), de la diminution des populations rurales, ce n’est pas seulement parce que la source s’en tarie, mais parce qu’elles incluent des populations de « rurbains » qui sont en réalité tout à fait citadines. Ces « rurbains », ou « périurbains », sont en effet des « navetteurs » venus habiter des bourgs (le plus souvent des lotissements qui y sont accolés), autrefois campagnards, mais qui travaillent en ville. Ils sont membres de l’agglomération, habitent dans l’aire d’influence de sa ville-centre. Aire de rayon variable suivant la puissance de celle-ci. En France cela va d’environ 30 kilomètres pour une ville comme Grenoble, jusqu’à plus de 100 kilomètres pour Paris. A ces navetteurs il faut ajouter les nombreux rurbains retraités, restés bien sûr tout à fait citadins quant à leur mode de vie. Quand on parle de la désertification des campagnes il s’agit évidemment des zones hors agglomération, hors périurbain : zones agricoles, ou plus ou moins rendues à la nature. On parle du fait que la population paysanne et rurale n’a cessé de diminuer. En France à partir de 1850 environ (débuts de l’industrialisation), d’abord à un rythme faible de l’ordre de 1% par an, puis beaucoup plus fort, plus de 3% par an, après la seconde guerre mondiale quand la mécanisation et la « chimisation » de l’agriculture ont pris un essor foudroyant (et plus particulièrement avec la grande campagne de remembrement du début des années 60 qui a éliminé autoritairement la petite propriété parcellaire impropre à cette évolution). Il y avait encore 4 millions d’agriculteurs (y compris conjoints et salariés plein temps) en 1963, il en reste moins de 700.000 aujourd’hui. Dans l’ensemble des pays développés, ils ne sont plus qu’environ 4% de la population active, mais encore 50% en Afrique.

Tant et si bien que la planète compte en 2018 quarante-sept agglomérations de plus de 10 millions d’habitants, que 60% de la population mondiale est aujourd’hui urbaine, et ce sera, disent les démographes, 70% en 2050[9].Nous verrons que ce phénomène d’une urbanisation devenue soudainement ultra massive n’est pas à analyser que sous cet angle quantitatif. Les grandes villes d’aujourd’hui ne sont pas seulement celles d’hier en plus grand. Elles sont aussi, et surtout, différentes d’un point de vue qualitatif, la manifestation particulière d’une époque particulière : celle du capital arrivé à son âge sénile.

La majorité de ces 47 hyperagglos, ainsi que des centaines d’autres qui ne sont, à cette date, que millionnaires ou multimillionnaires, se situe aujourd’hui dans les pays dits « en développement » (les PED), autrefois appelés « tiers-monde ». C’est dans ces pays, à la démographie galopante, que la mondialisation capitaliste[10], actuellement en voie d’achèvement (en même temps que le capital flirte avec les limites de sa croissance), a produit, depuis environ une cinquantaine d’années, un exode, exceptionnel par son gigantisme, des populations rurales qu’elle a massivement ruinées vers de vastes mégapoles, le plus souvent vers leurs immenses bidonvilles, de 10, 20, 30 millions d’habitants et plus, telles Lagos, Kinshasa, Djakarta, Mexico, Calcutta, Shangaï, et quelques dizaines d’autres. Par exemple Istanbul compte 20 millions d’habitants alors que la Turquie en compte 80. Dans certaines zones particulièrement denses, comme par exemple entre Sao Paulo et Rio, les villes se sont étendues jusqu’à se toucher et ne former qu’une seule conurbation de plusieurs centaines de kilomètres de long (1000 km de long sur 100 de large entre Boston et Washington selon le géographe J. Gotman). Paris n’a cessé de s’étendre en tâche d’huile en absorbant les villes périphériques ou les intégrant dans sa zone urbaine (laquelle a aujourd’hui une bonne centaine de kilomètres de rayon). Evidemment toutes ces hyperagglos n’ont pas la même place dans le système du capitalisme mondialisé, ne concentrent pas les mêmes niveaux de fonctions et d’appropriation des richesses.

Dans les grands pays impérialistes, il s’agit de métropoles, capitales des capitaux mondialisés (les multinationales industrielles et financières) dont elles abritent les fonctions supérieures, ainsi évidemment que toute la gamme des plus hauts fonctionnaires, publics et privés, qui les exercent. C’est-à-dire qui sont chargés d’organiser à l’échelle mondiale la valorisation de ces capitaux. La concentration de cette haute bourgeoisie dans ces métropoles, où ses membres se côtoient, tissent leurs réseaux et gèrent leurs carrières, est aussi, au-delà des rivalités qui les opposent, le moyen d’une activité commune en vue de la promotion des intérêts généraux du capital, ou de certaines de ses branches. Sont donc attirés dans ces métropoles les flux d’informations, de capitaux, de connaissances et de compétences qui permettent cette organisation. Et qui permettent en même temps la concentration de la captation et de l’appropriation des richesses produites à l’échelle mondiale. Une douzaine environ de ces métropoles, telles New-York, Londres, Paris, Francfort, Singapour, Hong Kong, Shangaï, Tokyo et quelques autres, sont, en réseaux, et aussi en concurrence pour leur « attractivité internationale », les capitales éminentes du capitalisme mondialisé.

Les mégapoles des PED concentrent des fonctions plus subalternes, qui sont en général d’être des relais locaux des capitaux mondialisés, des lieux où ceux-ci nouent des alliances avec les bourgeoisies de ces pays afin de pouvoir en exploiter les richesses. Fonctions auxquelles s’ajoutent celles relatives aux capitaux locaux de moindre envergure. Ces rôles subalternes en font néanmoins des métropoles régionales, suffisamment attractives pour y attirer les dizaines de millions de ruraux expulsés des campagnes comme le furent avant eux ceux des premiers pays capitalistes. Mais pas assez puissantes pour leur fournir un niveau de vie même ultra faible : beaucoup d’entre eux font partie des 1 milliard d’individus gagnant un dollar par jour ou moins, d’autres ne gagnant même rien. Ils sont donc entassés par millions dans d’immenses bidonvilles dans lesquels les conditions de vie ne sont que des conditions de mort rapide, de courtes vies tant y règnent des conditions de santé catastrophiques, les pandémies et épidémies, ainsi qu’une grande violence.

Certes, les grandes villes du capitalisme ont toujours connu des quartiers où étaient relégués et entassés dans des conditions misérables, et le plus souvent carrément sordides, les prolétaires. Néanmoins, et jusque vers la fin du 20ème siècle, ceux-là étaient pour beaucoup ouvriers, actifs ou faisant partie de « l’armée de réserve » ouvrière et alors susceptibles d’être employés à tout moment par le capital. Tandis qu’avec les bidonvilles, il s’agit d’un phénomène nouveau et récent (2ème moitié du 20ème siècle selon Mike Davis[11]) par son ampleur[12], et aussi par ce fait (qui, nous le verrons, concerne aussi aujourd’hui les banlieues des métropoles des pays les plus développés) qu’il s’agit de populations qui sont, pour beaucoup, surnuméraires, « en trop » parce qu’inutiles au capital qui, du fait de sa sénilité (de sa crise chronique), ne peut définitivement pas les employer, les « intégrer » comme disent ses agents, c’est-à-dire le intégrer dans un rapport salarial, fût-il dégradé au plus haut point. Il les considèrent donc comme inutiles, pas même membres de son « armée de réserve », pire, comme rien d’autre qu’une masse dangereuse de « déchets humains » dont il voudrait bien se débarrasser (ce qu’il fait ouvertement en différents endroits), alors même qu’il fait sans cesse grandir leur nombre de 25 millions par an selon une étude de l’ONU[13], chiffre qui de devrait doubler, voire tripler d’ici 2050[14]. Mike Davis a particulièrement bien décrit les conditions de vie terrifiantes dans ces bidonvilles, et il n’y a pas, sur ce plan descriptif, rien à dire de plus ici si ce n’est qu’ils sont encore plus peuplés aujourd’hui (ainsi que les camps de réfugiés fuyant les guerres).

Quant à ceux de ces surnuméraires qui ont assez de ressources financières et physiques pour tenter la difficile et dangereuse aventure de l’émigration, s’ils parviennent à destination ce sera ,pour la plupart, pour se retrouver toujours surnuméraires dans des « cités » en périphérie des métropoles, ou dans des zones urbaines type bidonvilles, ou encore à la rue, inutiles au capital et n’ayant à connaître de ses agents que ceux de la police.

Désertification des campagnes et croissance massive, récente par son ampleur, et continue d’hyper-agglomérations, c’est là un phénomène général qui manifeste l’inscription dans l’espace des rapports sociaux du capitalisme contemporain, qui est un effet, un résultat du procès d’accumulation et de concentration du capital dans sa course permanente à sa valorisation. En même temps les extrêmes divisions du travail qui caractérisent ce procès de valorisation, depuis les hautes fonctions dirigeantes jusqu’à la mise sur le marché de la marchandise finale en passant par toutes les étapes intermédiaires de la production, se traduisent par une segmentation, à l’échelle mondiale, de son espace. Là le capital aura avantage à concentrer les puissances et moyens scientifiques, ailleurs les plus bas salaires possibles pour les tâches les plus simples, ailleurs encore à profiter de la proximité de ressources minières ou d’une énergie à bon marché, etc. Ces divisions fondées sur des avantages économiques « objectifs », auxquels il faut ajouter des critères davantage politiques (protection d’un Etat stable, avantages fiscaux, etc.), se traduisent par une segmentation poussée de l’espace, des lieux de ce procès de valorisation, laquelle se manifeste aussi par une hiérarchie des hyperagglos allant des plus riches et puissantes métropoles des pays impérialistes aux mégapoles largement faites de bidonvilles des pays dominés. Ici une vaste zone urbaine type celle de la baie de San Francisco avec sa Silicon Valley et ses universités prestigieuses, ailleurs type celles des Nairobi ou Dacca avec leurs bidonvilles millionnaires en habitants.

La désertification des campagnes et l’hyper croissance des mégapoles, dans un processus mondialisé, se sont donc accompagnées d’une segmentation poussée, très hiérarchisée de l’espace, catastrophique comme nous le verrons plus loin. Mais il est une deuxième remarque d’ordre général qui doit être faite concernant les transformations du rapport villes-campagnes entraînées par celles des rapports de production devenant capitalistes. Il s’agit de son inversion.

Avant l’époque capitaliste, la richesse provenait essentiellement de l’agriculture (« labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France ») et bien des métiers non agricoles étaient étroitement liés à l’agriculture. Les villes étaient alors le prolongement politique (polis = ville) de la campagne, un centre de pouvoir qui organisait, protégeait le monde rural et ses activités. Les rapports de production étaient essentiellement ceux de la propriété foncière nobiliaire et ecclésiastique, et la richesse et le pouvoir accaparés par ces propriétaires.

Marx et Engel avaient déjà noté dans le Manifeste du Parti Communiste (1848) qu’avec le capitalisme « la bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d’énormes cités…. », et, dans l’Idéologie Allemande, que le développement de la grande industrie « parachève la victoire de la ville sur la campagne »[15]. Ils avaient bien vu l’inversion du rapport villes-campagne concomitant à l’essor de l’industrie et des villes industrielles[16]. Mais ils n’en avaient vu que les modestes débuts ! En effet aujourd’hui cette victoire est planétaire et intégrale. Dans un pays comme la France, en 2011, 61 millions de personnes, soit 95% de la population vivait « sous influence urbaine » selon l’INSEE[17], c’était moins de 20% à l’époque de Marx. Tout le territoire est structuré par de « grands projets », des aménagements, une organisation de l’espace répondant quasi exclusivement à des besoins générés par les grandes agglomérations et nécessaires à leur existence : autoroutes, TGV, centrales nucléaires, aéroports, centres commerciaux géants, zones touristiques[18], etc. sont le prolongement de l’urbain dans les campagnes Et cela sans compter l’agriculture nécessairement industrielle et chimique parce que structurée pour nourrir les masses urbaines, et qui donc n’a plus rien d’autarcique ni de « circuit court » vers les marchés locaux. Tout ce qui faisait la sociabilité particulière de la vie rurale a disparu, ou n’est plus que folklore pour urbains. Le paysan y est à la tête d’exploitations de plus en plus grosses et capitalistiques. Mais il y est aussi de plus en plus reclus, isolé. Les radios, les télés, internet transmettent aux ruraux la même propagande, les mêmes modes, la même « culture » de pacotille que celles adressées aux urbains. L’éducation, les modes de vie et de consommation sont du même type. De sorte que la séparation villes/campagnes n’est plus « la plus grande division du travail matériel et intellectuel » comme autrefois.

Jusqu’ici nous n’avons énoncé que les caractéristiques les plus générales concernant les rapports villes-campagne à l’époque du capitalisme sénile contemporain. Elles confirment déjà cette loi bien établie que chaque mode de production produit l’espace qui convient le mieux possible à son fonctionnement. Nous allons poursuivre en analysant plus particulièrement comment les hyperagglos répondent à cette loi, puisqu’elles sont une caractéristique essentielle de cette structuration de l’espace propre au capitalisme contemporain, et qu’elles concentrent aujourd’hui toutes les fonctions dirigeantes de la valorisation du capital, c’est-à-dire de la reproduction de la société capitaliste, ainsi qu’une part importante de la population mondiale qui ne cesse de venir les grossir davantage. Et nous verrons alors qu’elles concentrent aussi les contradictions et antagonismes de ce capital devenu sénile et de sa société moribonde.

 

CHAPITRE 2. VILLE ET VALORISATION DU CAPITAL.

2.1 Pourquoi les hyperagglos ?

Le capital n’existe que dans la valorisation et l’accumulation. Cela doit nécessairement se traduire dans son organisation de l’espace. Le fort et rapide accroissement de l’urbanisation débute en Europe au 19ème siècle avec l’industrialisation. Plus se développaient et se concentraient les industries, et plus aussi évidemment ses besoins en main d’œuvre. La grande industrie entrainait dans son sillage toutes sortes de métiers, sous-traitants fournisseurs, transports (ferroviaires notamment), administratifs, commerciaux, qui contribuaient à la concentration urbaine des populations. Les grandes métropoles capitales comme Londres ou Paris concentraient en outre les fonctions supérieures, privées et étatiques, d’organisation et de gestion de la valorisation du capital. Ces fonctionnaires avaient eux-mêmes un intérêt personnel à s’y concentrer pour y tisser les relations, constituer les réseaux d’influence nécessaires à leurs carrières, à leur capacité à s’approprier le maximum de pouvoir et de richesse.

Le développement continu de l’accumulation capitaliste s’est aussi accompagné d’une croissance du rôle des banques, des assurances, de la Bourse, bref du capital financier, ainsi que de celui de l’Etat, tant dans le financement que dans l’organisation des conditions des conditions de la valorisation du capital : transports et autres infrastructures, logement et formation de la main d’œuvre, ordre public, droit des affaires et justice de classe, monnaie, commerce extérieur, etc. L’organisation et la gestion de cette valorisation exigeaient toujours plus de concertation, de coordination entre les états-majors des grandes firmes, les banques, l’Etat. Concertation parfois étendue à un niveau supranational (par exemple Union Européenne, O.N.U., F.M.I., Banque Mondiale, etc.). De sorte que ces fonctions nécessitaient une concentration accrue des hauts fonctionnaires du capital en quelques grandes capitales où se développaient les organismes officiels, officieux, ou secrets, les réseaux, clubs, lobbys, cartels, maffias, s’occupant, pour certains, de promouvoir les mesures favorables au capital en général, pour d’autres, contradictoirement, celles favorables à telle ou telle branche industrielle, telle ou telle multinationale.

Cette concentration des fonctions dirigeantes du capital dans quelques capitales a un effet cumulatif intrinsèque. En effet, plus une métropole concentre de fonctions supérieures, plus son pouvoir d’attraction augmente, plus il est efficace d’y être pour les hauts fonctionnaires du capital, plus aussi s’y précipitent tous les Rastignac, petits ambitieux ou grands prédateurs, et plus s’y développent en même temps les services dont tout cela, capital et capitalistes, a besoin : employés de toute sorte, entretien des bâtiments, transports, santé, enseignement, loisirs, hôtels et restaurants hauts de gamme, commerces de luxe, etc. Tous ces « services à la personne » ou aux entreprises emploient une nombreuse main d’œuvre très bon marché, souvent précarisée, qui constitue aujourd’hui, logée le plus souvent à leur périphérie, la majorité des habitants de ces métropoles d’où les activités industrielles ont quasiment disparues, mondialisation oblige !

Bref, le mouvement historique de la valorisation du capital s’accompagne d’un développement de villes de plus en plus grandes, devenant finalement les hyperagglos d’aujourd’hui. Ce phénomène est bien connu ayant été souvent décrit dans de nombreux ouvrages d’universitaires. Il n’est donc pas nécessaire de le développer davantage ici. Ce qui l’est moins, c’est en quoi en devenant hyperagglos ces villes sont devenues un obstacle à ce mouvement de valorisation qui les a engendrées, en quoi, donc, de facteur favorable du développement du MPC, cette urbanisation, récemment, presque soudainement démesurée, est devenue un facteur important de la crise contemporaine. C’est cette action en retour de la ville sur le capital, dont elle est un reflet dans l’organisation de l’espace, c’est ce rapport dialectique, réciproque que nous allons examiner maintenant, du moins sous quelques aspects principaux.

2.2 Hyper urbanisation et valorisation du capital.

L’hyperagglo contemporaine est un amoncellement de capital fixe, immobilisé (bâtiments, infrastructures), qui absorbe pour son entretien et usage une masse considérable d’approvisionnements (énergie notamment, matériaux). Ceux-ci, ajoutés à ce capital fixe, forment ce que Marx a appelé « capital constant » (Cc), et dont il a démontré que l’accroissement continuel dans l’histoire du capital était une cause fondamentale de baisse du taux de profit. Ce point étant acquis, il est intéressant de préciser un certain nombre de faits qui montrent que la ville concoure, non seulement de cette façon, mais aussi pour d’autres raisons qui lui sont propres à cette baisse. Raisons qui ont pris une ampleur particulière aujourd’hui au point qu’elles participent très efficacement au mouvement de blocage de la valorisation qui caractérise la crise actuelle[19].

Analysons quelques-unes de ces raisons, en commençant par ce qui, au premier coup d’œil du moins, caractérise la ville : le bâtiment et, tout particulièrement le logement.

Comment se fait-il que, alors que le coût de construction moyen d’un immeuble neuf dans une ville comme Paris est, en 2017, de l’ordre, profits inclus, de 1500 euros le m2 (environ 1700 s’il s’agit d’un immeuble de « standing »), le prix de vente se situera aux environs de 10.000 euros le m2 minimum, et bien plus encore dans certains quartiers huppés ? Il y a bien sûr des frais de notaire, d’architectes, de commercialisation, d’assurances, des intérêts versés aux banques, des taxes, de rachats de bâtiments existants et de leur démolition, mais beaucoup de cet écart provient du coût foncier « pur », l’argent que reçoit le propriétaire du sol avant tous travaux. Il représente environ 25 à 30% du prix des logements neufs, et peut aller jusqu’à 50%, voire au-delà pour les immeubles de grand standing[20] (bureaux notamment). Et c’est ce coût foncier qu’il est intéressant d’analyser. Comment est-il déterminé ? Qu’est-ce qui fait qu’un même m2 de terrain nu, d’égales qualités quant à sa constructibilité, vaudra aujourd’hui 17 fois plus dans l’Ouest parisien que dans une banlieue « populaire » ? Qu’est-ce qui fait que le même immeuble, construit dans des conditions techniques et financières identiques, sera vendu 10.000 euros le m2 à Paris et 2.000 dans une ville de province ? Ce qui donne une idée du tribut foncier dans la métropole.

Pour le comprendre on ne peut se contenter de l’explication passe-partout de la loi de l’offre et de la demande. Car que recouvre-t-elle en l’occurrence ? C’est-à-dire comment se fait-il que le sol nu, qui n’est qu’un élément naturel ne contenant aucune quantité de travail[21], et qui donc n’a aucune valeur, ait néanmoins un prix[22] ? S’il a un prix c’est uniquement en tant qu’il est la condition d’un certain usage, celui qu’en fait l’acheteur. Qu’il veuille le cultiver ou en faire tel ou tel type logement, ou des bureaux pour multinationales, cet usage, comme tous les autres usages en régime capitaliste, a un prix, est source de revenu pour celui qui le vend parce qu’il en possède juridiquement une condition, en l’occurrence le sol. Ainsi, par exemple, le promoteur qui vendra avec une plus-value les logements qu’il a fait construire en aura cédé préalablement une partie au propriétaire foncier qui lui aura vendu le terrain.

Le fait que ce soit l’usage qui est fait du sol qui détermine son prix peut seul expliquer pourquoi il sera plus élevé lorsque ce sol servira de support à des immeubles de luxe pouvant être vendus très chers que lorsqu’il le sera d’immeubles meilleurs marché destinés aux classes populaires. Pareil suivant qu’il s’agira d’immeubles de bureaux de prestige pour multinationales ou qu’il s’agira d’entrepôts pour marchandises banales.

Ainsi, au fond, ce n’est pas le haut prix du sol qui chasse les couches populaires de Paris (et de toutes les autres métropoles), mais l’usage de ce sol, à savoir l’occupation de Paris par les classes bourgeoises (se répartissant elles-mêmes en différents quartiers suivant le niveau de leur richesse) et les bureaux des hauts dirigeants capitalistes qui y crée les hauts prix du sol, avec toutes les conséquences qui en découlent nécessairement : le haut prix des logements par exemple. C’est toujours la hausse des prix de l’immobilier du fait de son usage spécifique qui induit celle des prix du sol et non l’inverse. Et nous verrons que cette hausse n’est due qu’aux rapports sociaux capitalistes et à la reproduction des classes qu’ils impliquent.

Le phénomène est d’ailleurs cumulatif, s’auto-développe : plus un quartier est cher et chic parce qu’occupé par des riches, et plus il attire les riches, et inversement, plus un quartier est pauvre et plus il se délabre et absorbe de plus pauvres encore, ceux qui le peuvent le fuyant. De sorte que les différenciations de classe entre quartiers s’accentuent de plus en plus. Le même type de phénomène s’étend dans l’espace entre villes-métropoles, zones périurbaines pavillonnaires et villes dortoirs dans leurs périphéries (par exemple jusqu’à une centaine de kilomètres autour de Paris), villes de province aux fonctions subalternes, bidonvilles autour des mégapoles des PED, etc. Mais de cela on reparlera plus loin (chapitre 3, section 2).

Revenons à notre propriétaire foncier. On a vu que c’est seulement un titre juridique de propriété qui lui permet de recevoir de l’argent. Or un bout de papier ne produit pas d’argent. D’où vient-il donc ? Un capitaliste reçoit une part du produit du travail des ouvriers qu’il emploie, appelée plus-value. Mais notre propriétaire foncier n’emploie personne ni ne travaille lui-même. Il ne produit rien ! Simplement, en cédant au promoteur son titre de propriété, il lui cède une condition qui permet à celui-ci de construire et, ce faisant, de réaliser une plus-value lors de la vente du bâtiment. C’est une fraction de cette pl que s’adjuge le propriétaire foncier. Il prélève ainsi une rente foncière, ou plutôt un tribut foncier[23] puisqu’il s’agit en général d’une vente et non d’une location. Ce faisant il n’est pas un capitaliste, il est un parasite qui touche de l’argent sans rien faire !

Cet argent ne représente pas un moment dans un procès de production capitaliste, un procès de croissance de la production, d’accumulation de forces productives et de capital. Ce n’est que parce que la propriété foncière « permet à son propriétaire d’enlever au capitaliste une partie [de sa pl qu’il] apparait comme si la propriété foncière était source de valeur. » [24] Ce qui est d’ailleurs parfaitement en accord avec l’idéologie de l’individu du capitalisme pour qui toute propriété, ne serait-ce que d’un simple titre juridique de propriété détenu par le roi des fainéants, doit produire des revenus « comme le poirier produit des poires » ! Il n’ira pas chercher les raisons de ce mystère.

Mais une conséquence de ce tribut est que le capitaliste qui l’acquitte doit, pour maintenir son profit au niveau moyen, « normal » (et plus si possible), augmenter d’autant le prix de vente de son immeuble. Ses usagers paieront plus, que ce soit sous forme d’achat ou de location. D’où, nouvelle conséquence s’il s’agit de logement : une augmentation du prix de la force de travail[25], autrement dit des salaires, donc une baisse de la pl qui revient aux capitalistes de la zone d’emploi concernée. Bien entendu ceux-ci tenteront d’abord de conserver leur taux de profit en n’augmentant pas les salaires ou/et en augmentant la pl qu’ils extorquent. Mais cette baisse de niveau de vie des salariés ainsi engendrée, de même que cette exploitation renforcée rencontrent nécessairement des limites : non seulement il faut bien que les forces de travail soient reproduites, mais des luttes sociales éclatent toujours tôt ou tard pour s’y opposer. Quoi qu’il en soit, ce qu’il convient de retenir ici c’est que le tribut foncier est toujours un prélèvement sur de la pl[26], c’est-à-dire sur une quantité de travail non payé, effectué dans un processus au sujet duquel le propriétaire foncier n’est strictement pour rien. On vient de voir que pour les logements cela induisait une augmentation des salaires ou/et du taux d’exploitation des salariés, et s’il s’agit d’immeubles à usage professionnel (bureaux, commerces, entrepôts), ce prélèvement est directement opéré sur la pl du capital concerné, lequel le répercutera sur ses salariés comme dit ci-dessus ou/et sur les consommateurs de ses produits en augmentant leurs prix.

Bien évidemment on voit alors que le tribut foncier vient entraver la valorisation du capital puisque cette masse de pl qu’il prélève ponctionne le capital au lieu de l’accroître, ne contribue pas à son mouvement pour lui vital de valorisation et d’accumulation. C’est une contradiction qui ne cesse de s’approfondir en même temps que croissent les coûts fonciers avec l’expansion des villes, et donc particulièrement de nos jours avec le caractère effréné que cela prend dans les hyperagglos. Coûts qui ne comprennent pas seulement les terrains à bâtir, mais s’élargissent à tous ceux qui sont nécessaires aux infrastructures toujours plus étendues et complexes dont elles ont besoin (métros, trains, aéroports, autoroutes, stations d’épuration, réseaux divers, etc.).

Puisque la propriété foncière est en contradiction avec la valorisation du capital, les capitalistes devraient estimer, à la suite de Marx que « dans le mode de production capitaliste le propriétaire foncier est tout à fait superflu ». Mais ils ne peuvent se résoudre à l’éliminer car ce serait la porte ouverte à une contestation de la propriété privée en général, y compris celle des conditions de la production qui est le fondement du capitalisme. Quelle qu’elle soit, même contraire aux intérêts du capital, elle doit donc rester intouchable ! « En outre, le bourgeois a lui-même acquis de la fortune territoriale »[27], ce qui est une raison supplémentaire pour qu’il défende la propriété foncière.

Aussi, et au fur et à mesure que cette contradiction s’accentue avec le développement historique du capital, la bourgeoisie va se contenter de chercher à diminuer le prélèvement qu’opère le tribut foncier sur la pl. Ce sera, notamment, l’œuvre de l’Etat en tant que représentant les intérêts du capital en général. Elle utilisera pour cela deux moyens essentiels, dictés par le but immédiat d’abaisser les prix de l’immobilier, ou du moins de freiner leur hausse, afin de maintenir les salaires au plus bas possible.

Déjà, dès la fin du 19ème siècle, autant par nécessité que le capital puisse disposer chaque jour d’une main d’œuvre apte à travailler, donc en bonne santé, éduquée en tant que de besoin, que pressé par les luttes ouvrières, l’Etat a été amené à assainir les quartiers ouvriers rongés par une extrême misère, une hygiène inexistante et les pandémies afférentes. Petit à petit fût aussi développée une politique dite de « logement social » par le moyen de financements publics permettant d’abaisser les loyers (en France par exemple, les HBM puis HLM)[28]. Ce qui revenait à socialiser, via les impôts et taxes, le coût d’un abaissement des loyers pour les bénéficiaires, en général prolétaires, de ces logements sociaux, donc aussi d’abaisser le prix de leur force de travail, en même temps qu’ils avaient ainsi accès à des logements plus « hygiéniques ».

Mais cette politique de logement social ne réglait pas, par le simple fait qu’ils étaient payés par l’Etat, le problème des coûts fonciers, lesquels augmentaient en même temps que la croissance vertigineuse des villes. D’ailleurs des impôts et taxes, c’est toujours de la pl (du travail non payé), qu’elle soit prélevée directement sur les entreprises ou indirectement sur les salariés qui réclament alors d’être augmentés, et doivent l’être tôt ou tard pour pouvoir reproduire leur force de travail[29]. Socialiser une charge via l’Etat n’est pas la supprimer, et en l’occurrence le tribut foncier reste toujours un prélèvement sur la pl, du travail non payé.

Aussi pour tenter d’amoindrir réellement les coûts fonciers une autre politique a été mise en œuvre : acheter à bas prix, à la périphérie des grandes villes, des terrains agricoles non constructibles, ou peu construits, puis de les doter d’une importante constructibilité, d’abord par des moyens administratifs : les règlements d’urbanisme par lesquels l’Etat (souvent les municipalités) définit ce qui peut être construit, en quelles quantités, hauteurs, etc., ensuite par des moyens techniques (aménagements de voiries, réseaux divers, transports et équipement publics). Toutes choses qui nécessitent l’intervention de l’Etat (de divers organismes étatiques ou para étatiques). Par exemple en France, c’est lui qui dans les années 50-60, et par l’intermédiaire du puissant groupe financier d’Etat Caisse des Dépôts et Consignations[30], développa les ZUP (zones à urbaniser en priorité) où furent construits[31] sur des terres agricoles éloignées des centres ville des centaines de milliers de logements dans des barres et tours sinistres qui, encore aujourd’hui, marquent, à la façon d’immensément tristes casernements, les paysages des périphéries urbaines. Puis avec les ZAD (zone d’aménagement différé) permettant de constituer des réserves foncières à bas prix (et à l’aide d’expropriations) à partir de terres agricoles ou peu construites, sur lesquelles pouvaient se développer ensuite les ZAC (zone d’aménagement concerté) qui permettaient de viabiliser ces terrains, grâce à des financements publics le plus souvent, et de les doter d’une constructibilité importante. Ils étaient revendus à prix coutants aux promoteurs-constructeurs, qui ainsi achetaient le foncier constructible à bas prix, l’Etat finançant en outre les équipements publics nécessaires (écoles, stades, hôpitaux, etc.) à ces nouvelles zones urbanisées.

Une fois ces nouvelles zones urbaines terminées elles étaient évidemment dotées d’un tribut foncier bien supérieur à celui des terres agricoles initiales. Ce sont les promoteurs-constructeurs qui le récupéraient lors de la vente de leurs immeubles. C’est toujours le cas aujourd’hui. Le procédé s’est même étendu à des opérations immobilières diverses avec les PPP (partenariats public-privé).

Ces opérations qui contournent en quelque sorte les tributs fonciers élevés des centres urbains peuvent aussi créer de nouveaux centres d’affaire comme la Défense à Paris, les Docks à Londres. Ou encore des « Villes Nouvelles » périphériques, comme les cinq créées autour de Paris dans les années 60-80.

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la dénomination de ces opérations créant de nouvelles zones urbanisées, il y a création de tributs fonciers plus élevés une fois qu’elles sont terminées et occupées, même s’ils sont le plus souvent moindres que dans les zones déjà urbanisées[32]. Et comme l’expansion des hyperagglos est, comme nous l’avons vu, auto-entretenue et constante, les coûts fonciers ne cessent d’y former une masse en augmentation. Ce qui fait que cette politique visant à abaisser la masse de tribut foncier, d’amenuiser ainsi son opposition à la valorisation du capital par la création de nouvelles zones urbaines trouve là une limite immédiate.

Ces opérations urbaines de grande ampleur mobilisent évidemment d’importants moyens techniques et d’énormes capitaux. Elles ont donc stimulé la concentration des entreprises du secteur BTP (bâtiments et travaux publics) ainsi que leur association ou fusion avec les banques. De sorte que l’essentiel du développement urbain (à l’exception de l’habitat « sauvage » des bidonvilles) est devenu l’affaire d’un partenariat associant étroitement l’Etat (central, régions, municipalités, etc.), qui détient notamment l’arme, si puissante en matière d’urbanisme, qu’est le pouvoir réglementaire ainsi que celui d’engager les indispensables investissements en équipements publics, avec de puissants conglomérats[33] formés des diverses entreprises intervenant sur les différents segments de l’urbanisation (financement, travaux publics, construction, commercialisation, etc.). Ces oligopoles sont non seulement des puissances financières capables de créer de toutes pièces des quartiers entiers, mais leur étroit partenariat avec l’Etat (acoquinement source de multiples et juteuses occasions de corruption) présente l’avantage de pouvoir organiser une certaine régulation de la production urbaine. Elle est une nécessité vu les machines sophistiquées utilisées, autrement dit la masse de capital fixe immobilisé dans les entreprises du secteur des BTP moderne. Il importe donc pour leurs profits que toutes ces machines soient utilisées au maximum en continu, donc aussi que la production de terrains constructibles soit autant que possible régulière, continue.

L’amortissement des investissements mobilisés par ces opérations d’urbanisation est long (long temps de rotation du capital). Ce qui donne une importance toute particulière au crédit. A chaque étape du processus, de l’achat foncier jusqu’à la vente finale de la construction, l’acteur qui s’en charge paie le précédent grâce au crédit qu’il obtient et que l’acteur suivant lui permet de rembourser grâce au crédit qu’il obtient à son tour pour le payer, et il revient finalement à l’acheteur du produit final, le logement par exemple, de rembourser. De sorte que la banque, le capital financier en général, sont devenus à travers ces cascades de crédits les puissances dominantes dans les processus d’urbanisation. L’accumulation des crédits dans le secteur immobilier est telle qu’il n’est pas étonnant que, bien souvent, ce soient les bulles financières ainsi formées qui aient déclenché les krachs contemporains (par exemple celui dit des « subprimes » aux USA en 2007).

Finalement seul le BTP est producteur de pl dans ces processus. Mais, comme tous les autres secteurs du capital contemporain, il use de technologies performantes au point d’en tarir la source, le travail vivant. On peut considérer qu’une part de l’ordre, au moins, de 70% des revenus qui y sont générés, tribut foncier, intérêts bancaires, revenus commerciaux, impôts et taxes, frais juridiques, sont des prélèvements sur de la pl produite dans les différentes branches industrielles du capitalisme. Donc, dans l’ensemble, les processus d’urbanisation ajoutés aux considérables coûts fonciers déjà existants, font un obstacle formidable à la valorisation du capital.

Remarquons que, dans le cas des bidonvilles, les profits sont particulièrement exorbitants du fait que l’investissement avancé par les propriétaires est quasi nul. Ainsi M. Davis écrit[34] qu’à Nairobi, selon des chercheurs de l’ONU, en 1990 « 57% des logements de l’un des bidonvilles sont possédés par des politiciens et des hauts fonctionnaires [……] et un propriétaire peut récupérer l’ensemble de sa mise en à peine quelque mois. » Une rotation de l’investissement à vitesse supersonique ! En Chine post maoïste où la corruption est particulièrement déchainée, « des fermiers se voient offrir 3040 dollars par mu[35] pour voir ensuite ces mêmes parcelles revendues par des responsables de la ville à des entrepreneurs au prix de 122.000 dollars chacune. »[36]avec autorisation de ces politiciens d’y construire densément. Les pouvoirs réglementaires des dirigeants de l’Etat sur l’urbanisme et l’immobilier étant particulièrement décisifs, ils ont, souvent et partout, été la source d’importants enrichissements à base de corruptions. Ces spéculations maffieuses sont de purs prélèvements sur le travail, sur les richesses produites par les populations qui en sont les victimes, des tributs, des rentes qui non seulement ne sont même pas du capital, mais qui freinent ou empêchent l’émergence et l’accumulation d’un vrai capital, qui transforment les rapports sociaux en rapports d’escroqueries et de violences, sur la base desquels la société ne peut que pourrir et périr s’ils se généralisent un tant soit peu.

Mais revenons au tribut foncier « normal » tel qu’il se forme comme nous l’avons vu dans les grandes agglomérations. C’est évidemment dans les métropoles les plus attractives, les capitales des plus puissants pays impérialistes que les tributs fonciers, qui peuvent y monter jusqu’à 50% et parfois plus du prix de vente de l’immeuble construit, représentent les prélèvements les plus massifs sur la plus-value. Or, par l’effet cumulatif du pouvoir d’attraction dont nous avons déjà parlé, ils tendent à y augmenter plus vite qu’ailleurs, ce qui ne fait qu’aggraver les écarts sociaux dans la segmentation de l’espace mondial et la répartition des pouvoirs et des richesses[37]. Et, aussi, qu’aggraver la densité de ces métropoles. On y construit alors des tours de plus en plus hautes (aussi, pour des raisons de prestige, sortes de cathédrales capitalistes), qui sont un désastre tant sur le plan économique (le m2 y coûte 20% plus cher, les dépenses de fonctionnement y sont 15 fois supérieures) qu’écologique (énorme consommation d’énergie)[38].

Cette tendance à une augmentation particulièrement forte des prix fonciers et immobiliers dans les métropoles[39] y a été encore accentuée par les émissions de gigantesques monceaux de monnaies qu’ont effectuées les Banques Centrales pour tenter de relancer la croissance du capital. Ses possibilités de valorisation (qui est sa croissance) étant aujourd’hui très amoindries, voire bloquées, ces masses d’argent ont fait baisser les taux du crédit à près de zéro, ce qui a surtout servi à relancer la hausse des cours boursiers (via notamment les rachats d’actions) ainsi que les prix des biens immobiliers sur lesquels se précipitaient les acheteurs pour qui « la pierre » a toujours été un placement sûr, une « valeur refuge »[40].

On voit donc que, non seulement le tribut foncier constitue aujourd’hui un gigantesque prélèvement sur la pl, un puissant obstacle à la valorisation du capital qui ne cesse de s’accentuer du fait de l’accroissement des hyperagglos qui accompagne inexorablement l’accumulation du capital, mais que cet obstacle s’auto accroît en poussant les investisseurs vers l’immobilier « valeur refuge ». Tout cela est une manifestation parmi d’autres des puissantes tendances à la dévalorisation[41] du capital qui caractérisent le capitalisme contemporain (dont la base est la diminution de la quantité de travail vivant productif de pl). Ce que les krachs des bulles immobilières, tel celui de 2007 (« subprimes »), qui voient s’évaporer des millions de milliards de dollars, exécutent et confirment.

Mais ce n’est pas tout. L’urbanisation intensive entraîne bien d’autres dépenses qui entravent elles aussi la valorisation du capital. Elles sont mieux connues, et on n’en citera ici que quelques-unes.

Il y a les coûts, devenus exorbitants avec l’étalement urbain, des transports, tant pour construire leurs infrastructures que pour leur entretien, tant pour les trajets domicile-travail que pour les divers approvisionnements qu’ils consomment, tant pour l’automobile que pour les transports en commun. Par exemple le seul coût de construction, tribut foncier inclus, des 200 kilomètres des nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express est aujourd’hui estimé devoir atteindre au moins 40 milliards d’euros, soit 200.000 euros le mètre ! Le prolongement en cours de 5 kilomètres de la ligne de métro n°11 coutera 1,5 milliards d’euros, soit 300.000 euros le mètre. Les coûts de fonctionnement et d’entretien sont bien sûr à rajouter. Certes les hyperagglos fournissent ainsi l’occasion de bons profits pour les entreprises du BTP et des transports. Mais tous les autres secteurs de l’économie subissent de plein fouet la hausse du prix de la force de travail que ces coûts faramineux entraînent. Il faut y rajouter le temps perdu (100 minutes par jour en moyenne en 2018 pour les travailleurs de la région parisienne, donc bien plus pour les banlieusards[42]). « Selon le cabinet d’analyse Inrix, les heures perdues et l’essence gaspillée ont enlevé près de 17 milliards de dollars à l’économie new-yorkaise en 2016, soit presque autant que le PIB de l’Islande. »[43]

De plus toutes ces dépenses ne font que suivre poussivement des besoins en transports sans cesse augmentés par l’expansion urbaine : elles n’améliorent même pas leur satisfaction, les différents réseaux étant toujours autant, voire plus saturés. C’est que plus on cherche à améliorer la situation, plus augmente l’attractivité de l’agglomération et plus la congestion s’aggrave. Lewis Mumford écrivait en 1989 : « D’après les résultats d’une enquête datant de 1907 les voitures à chevaux se déplaçaient à New-York à une vitesse moyenne de 18,5 km/h. Actuellement on voit les voitures automobiles se trainer quotidiennement à une moyenne de 10km/h…. »[44] Il ajoutait que si le coût de ces congestions urbaines était très important, celui des tentatives de décongestion l’était tout autant, sinon plus !

Il y a aussi, pour partie lié aux transports, de formidables coûts de santé engendrés par les hyperagglos (stress, maladies dues aux pollutions, mode vie, etc.)[45]. Rappelons qu’en Europe l’estimation[46] des coûts de santé liés à la pollution de l’air sont dans une fourchette de 330 à 940 milliards d’euros chaque année et de 100 milliards pour la France[47].Evidemment ces dégâts sont démultipliés dans les bidonvilles et autres quartiers insalubres des mégapoles des pays pauvres (eaux usées et ordures non évacuées, sanitaires inexistants, eaux non potables, etc.).

Certes, toutes ces dépenses en faveur des transports et de la santé constituent autant d’affaires juteuses pour les entreprises concernées. Mais elles sont aussi facteurs d’augmentation des coûts d’approvisionnement (Cc) et des forces de travail (Cv) pour toutes les entreprises de tous les secteurs de l’économie. Ces augmentations considérables du capital constant (Cc) et variable (Cv) qu’elles doivent engager sont au détriment de leur productivité et rentabilité. Autrement dit, elles sont un obstacle à leur production de pl.

Bref, si on additionne tous ces coûts, devenus exorbitants à l’époque des hyperagglos, dont nous venons de donner un aperçu, tribut foncier, transports, pollutions, et autres nombreux gaspillages, on voit que tous ces « faux-frais », pour reprendre une expression de Marx à une époque où ils étaient bien moindres, constituent une ponction sur la pl générale, une sérieuse entrave à la valorisation du capital, même si quelques-unes de ses branches particulières en tirent profit. Il s’agit d’un procès de dévalorisation au sein d’un procès de valorisation qui est lui-même en profonde crise générale du fait de la diminution de la quantité de travail social productif de pl contenue dans les marchandises. Il y a cumul des facteurs défavorables, rien pour compenser les facteurs de dévalorisation, excepté la baisse, y compris absolue (et non plus seulement relativement au « cout de la vie ») des salaires. C’est pourquoi les capitalistes sont nécessairement amenés à cette solution : baisse des salaires directs, comme indirects (les « charges sociales »). D’où accentuation des conflits sociaux, émeutes, révoltes, autres obstacle venant alors s’opposer, d’une autre façon, à la valorisation du capital.

Il n’y a là au fond rien d’étonnant. La ville, en tant qu’elle est devenue au cours de l’histoire un reflet du capital, inscription du capital dans l’espace, reflète aussi, fait partie des contradictions de ce mode de production qui, aujourd’hui, à l’âge de sa sénilité, deviennent des antagonismes. D’abord plutôt facteur de valorisation (de « progrès ») parce qu’elle favorisait les échanges, notamment intellectuels, qui favorisaient un développement des sciences et des techniques alors facteurs de hausses de productivité[48], brisaient l’étroitesse abrutissante du monde rural et la domination cléricale, tout cela sans encore produire à un même niveau qu’aujourd’hui tous les « faux-frais » dévalorisant dont nous venons de parler, la ville est devenue au fil du 20ème siècle, en se transformant en quelques hyperagglos, essentiellement facteur de dévalorisation, de dégradations et désastres multiples, de chaos. Ce phénomène urbain n’est d’ailleurs qu’un aspect particulier du mouvement historique du capital au cours duquel il engendre lui-même les facteurs de sa propre perte.

Ce processus historique atteint aujourd’hui un sommet tel qu’il n’est plus « soutenable », ni par les populations urbaines, ni même par les capitalistes eux-mêmes qui ne maîtrisent plus rien de ce développement urbain insensé. Mégapoles congestionnées, apoplectiques, gouffres financiers, peuplées de vivants presque morts, campagnes désertifiées mais tout aussi polluées que les villes. Villes où des millions se côtoient sans se voir, ni s’entendre ni, et encore bien moins, posséder la ville. La cause de tout cela ne relève nullement de dysfonctionnements que des solutions techniques pourraient résoudre, ni d’erreurs de dirigeants politiques qu’on pourrait corriger en en changeant. Elle est bien plus profonde. Elle est dans le mouvement « automate » et inexorable du capital que chaque capitaliste met en œuvre du mieux qu’il peut, et qui l’oblige à rechercher les conditions de profit maximum pour le capital particulier qu’il représente en divisant spatialement le travail de cette façon que nous avons vue et qui aboutit aux hyperagglos d’aujourd’hui qui sapent les bases du profit. Malgré cela elles continuent à croître inexorablement, automatiquement. Partout, toujours les actes de chaque capitaliste particulier finissent par nuire au développement du capital en général et par le conduire, crise après crise, à sa ruine[49]. Il en est exactement ainsi en ce qui concerne la croissance de la ville du MPC.

Après avoir ainsi examiné le rôle des hyperagglos dans la crise que connaît aujourd’hui la valorisation du capital, c’est-à-dire sa reproduction, nous allons maintenant voir le rôle qu’elles jouent dans les conditions idéologiques de cette reproduction.

2.2 La ville et la reproduction de l’idéologie bourgeoise.

Capitales du capital les hyperagglos le sont donc aussi des fétichismes qu’il engendre, et qui se manifestent sous la dénomination d’idéologie bourgeoise, que des agents et organismes spécialisés (médias divers, enseignants, littérateurs, artistes, etc.) s’emploient à mettre en forme, à justifier et à diffuser, adaptant leurs discours aux différentes classes de la population.

Ces capitales facilitent leur travail puisqu’elles concentrent à la fois les populations qui en sont la cible, les puissances qui le dirigent et les divers spécialistes qui l’exécutent. Patrons, journalistes, universitaires, politiciens, stars du « showbiz », « communicants » peuvent s’y rencontrer aisément, se coordonner, élaborer et diffuser les différents discours, campagnes, débats, spectacles chargés de fabriquer « l’opinion publique », de la maintenir dans l’acceptation du capitalisme appelée « consensus républicain ».

Ces capitales peuvent notamment être le lieu de toutes sortes de rassemblements de masse, à propos d’évènements festifs ou sportifs, spectacles qui ont le double avantage pour le capital de transférer des milliards d’euros d’impôts dans les coffres des entreprises du BTP (comme, par exemple, pour les jeux olympiques), de la télévision, de la publicité, etc. tout en étant en même temps un puissant moyen d’abrutissement grégaire.

Cimenter la population en créant une atmosphère où tous partagent une émotion commune, chantent la Marseillaise, applaudissent des héros de pacotille : quel bonheur pour une bourgeoisie plus que jamais hantée par « l’unité nationale », la « création de lien social », le « vivre ensemble », alors même que la crise du système capitaliste qu’elle sert et défend par tous les pires moyens ne fait qu’accentuer les antagonismes de classe. Les défilés militaires type 14 juillet et autres célébrations d’évènements historiques, la panthéonisation de grands serviteurs du capital, sont aussi d’autres moyens urbains qui œuvrent en ce sens.

Distraire est l’autre fonction de ces « grands évènements » agglomérant les foules que ces villes permettent. Distraire dans tous les sens du terme : ôter, détourner, faire oublier. Ôter aux individus les moyens de décider et de s’organiser par eux-mêmes, de s’approprier leur vie. Car ils ne s’approprient évidemment rien par et dans ces évènements. Détourner leur attention non seulement de leurs problèmes, mais de la possibilité d’y faire face et de les résoudre en s’organisant et luttant par eux-mêmes. Les leur faire oublier, ne serait-ce qu’un moment, quitte à multiplier ces moments. Il n’y a pas que la religion qui soit « l’opium du peuple ». « Qu’est-ce qu’une société disneylandisée ? Peut être appelée ainsi toute société où les maîtres sont maîtres des attractions et les esclaves spectateurs ou acteurs de celle-ci »[50].

Car les spectateurs sont aussi acteurs d’une certaine façon. En effet la ville capitaliste produit des individus ayant des besoins et comportements plus ou moins en adéquation avec les distractions qu’elle offre. Elle agglutine les foules mais isole les individus[51]. Pire, l’entassement les rend souvent méfiants, et même agressifs les uns vis-à-vis des autres. On se croise, on se côtoie, mais sans guère se parler ni même se voir. La foule n’est pas l’association, la communauté. Néanmoins le besoin de cette condition d’une existence riche et maitrisée n’en est pas aboli pour autant. Mais comment le faire s’exprimer et triompher ? Poser cette question, c’est aussi poser celle de savoir si la mégapole peut être le lieu d’une réponse satisfaisante, et pas seulement celui du problème.

Certes, de nombreuses associations locales s’occupent de tenter de résoudre des problèmes urbains. Des luttes ponctuelles ont ainsi remporté de notables succès, comme par exemple récemment en France celle contre l’aéroport Notre Dame des Landes. Toutes ces activités ont leur utilité. Mais leur limite est vite atteinte du fait qu’elles ne s’attaquent qu’à certains défauts, « excès » de l’urbanisation outrancière sans la remettre globalement en cause en tant qu’inscription dans l’espace des rapports sociaux capitalistes et du mouvement automate du capital. Une telle remise en cause ne peut évidemment qu’être l’œuvre d’une lutte de classe abolissant le capital. Or justement l’hyperagglo n’est pas que lieu et moyen de domination de la bourgeoisie. Produit du capital, elle est aussi lieu et moyen de la reproduction des classes, de leurs antagonismes et de leurs luttes.

 

2.3 La ville et la reproduction des classes.

 

On a souvent l’habitude de considérer que les lieux et moments de la reproduction des classes sont ceux du travail salarié, là et quand le prolétaire se reproduit lui-même et la bourgeoisie en reproduisant le capital grossi de la pl. Certes, sans travail productif de pl, pas de capital, pas de classes, c’est le fond de l’affaire. Cependant il ne faut pas négliger d’autres lieux et moments comme, par exemple, ceux de la transmission des différentes possessions bourgeoises (patrimoniales, intellectuelles, insertion dans des réseaux sociaux spécifiques) aux « héritiers », dont la ville est un moyen, comme nous allons le voir. Transmission qui est[52] reproduction de la classe dirigeante et accroissement de ses accaparements. Et il faut d’autant moins le négliger aujourd’hui que l’époque du capitalisme est aussi celle de l’étiolement de la fraction ouvrière du prolétariat, précarisée ou/et mise au chômage, ainsi que de l’écrasement des couches petites bourgeoises dont beaucoup des membres sont précipités dans le prolétariat et la paupérisation par le déploiement des NTIC[53] et la disparition afférente des métiers « routiniers » d’exécution intermédiaires. Or tous ceux-là se retrouvent et se reproduisent en tant que classe non plus dans les usines, mais dans les différents quartiers des hyperagglos, soit qu’ils y étaient déjà, soit qu’ils y arrivent de plus ou moins loin dans l’espoir de trouver un emploi, aussi médiocre soit-il. De sorte aussi que c’est dans ces villes, dans leurs différents quartiers, que tendent à se cristalliser les classes, leurs antagonismes et leurs luttes.

Constater que dans ces villes la « fracture sociale » se manifeste ainsi, et de plus en plus, comme « fracture spatiale » est un fait souvent décrit par des géographes et sociologues. Il suffit donc ici de rappeler que la croissance urbaine s’est accompagnée de la ségrégation urbaine. Des plus riches bourgeois aux plus pauvres prolétaires, en passant par les diverses « couches moyennes », chaque catégorie est venue habiter des quartiers spécifiques[54]. Des quartiers autrefois populaires ont été accaparés par la bourgeoisie (les anglophiles parlent de leur « gentrification »), y compris selon une ségrégation fine entre ses différentes fractions, tandis que les populations moins riches étaient repoussées plus loin, dans les périphéries. Parfois c’est l’inverse, comme aux U.S.A. où il arrive que les plus aisés aillent s’enfermer dans des « gated communities » ultra sécurisées, situées au vert, loin de centres laissés alors aux couches populaires, noires souvent, et plus ou moins à l’abandon. Quoi qu’il en soit un résultat de ce mouvement est la création d’un tribut urbain fortement augmenté dans les zones ainsi embourgeoisées, « boboisées », qui en éloigne inexorablement les populations plus pauvres.

Cette division de l’espace urbain, dont nous avons vu que le mécanisme du tribut foncier créé par l’usage qui en est fait en constituait le moyen essentiel, est un reflet évident des rapports de classe. L’Etat en est un instrument essentiel par ses réglementations et ses investissements. Par exemple la qualité des services publics varie beaucoup selon les quartiers, et les logements sociaux sont concentrés dans certaines zones qui en sont bien moins dotées.

Mais cette division n’est pas qu’un reflet passif des rapports de classe, elle participe activement à leur reproduction et amplification. Dans les « beaux quartiers » sont rassemblés de multiples moyens de la reproduction de la bourgeoisie, comme les relations, les réseaux, les mariages, les écoles « d’élite »[55], souvent coûteuses, qui forment les « héritiers » et leur font partager les mêmes modes, les mêmes idées, la même conception du monde et de leur vocation à être cette « élite » dont ils apprennent ainsi les codes, les goûts, les comportements. Bref, dans ces quartiers ils peuvent acquérir tout un héritage qui est loin de n’être que financier.

Dans les quartiers prolétaires cet héritage est évidemment tout autre. Tant les conditions d’habitat, que les conditions scolaires et d’éducation en général, ne permettent pas autre chose, sauf exception rarissime, que de s’y reproduire comme prolétaire, et, possiblement, prolétaire luttant pour l’abolition du prolétariat, prolétaire révolutionnaire. De sorte que l’enclavement spatial des populations plus ou moins paupérisées, l’assignation qui leur est faite de devoir résider dans des quartiers spécifiques confirme et reproduit leur condition de classe, génération après génération. Ce n’est pas cette assignation spatiale qui crée les prolétaires, mais elle contribue puissamment à les reproduire comme tels, dans les conditions spécifiques de chaque stade du capitalisme.

Il s’est récemment développé considérablement autour des métropoles une zone urbaine particulière : le périurbain. Il y a le périurbain chaotique et laid qui est fait d’entrepôts en forme de boîtes de conserve, de centres commerciaux avec leurs vastes parkings, de dépôts de matériaux et machines diverses, de zones industrielles. Il y a le périurbain vaste étalement de pavillons avec leurs petits jardins. Pour prendre l’exemple de la France, environ 15 millions d’habitants sont des pavillonnaires, dont 12 millions le sont « au sein des couronnes des grandes aires urbaines »[56]. A ce périurbain pavillonnaire il faut ajouter celui fait des bourgs et petites villes dépendant des grandes agglomérations. Dans ces vastes zones résident des couches sociales diverses. Souvent il s’agit de retraités ou actifs (chômeurs inclus) de la petite bourgeoisie inférieure, s’étant installés là pour pouvoir se loger, souvent en tant que propriétaires endettés, à des prix plus bas que dans des zones plus proches de la ville-centre, dont ils dépendent néanmoins, que ce soit pour travailler ou pour accéder aux services publics essentiels (d’où la coûteuse nécessité d’avoir deux voitures, parfois trois). S’étant aussi souvent installés là au motif de fuir les incivilités, difficultés et nuisances qui pourrissent la vie dans les « cités » des banlieues dégradées, mornes et plus ou moins gangrenées par les « bandes » et les trafics, ils ont vu leurs rêves de vie tranquille « à la campagne »[57]mis à bas par la crise. Mais il leur apparut un jour, la crise venue, qu’ils ne pouvaient plus rembourser les emprunts pour le pavillon, que les frais croissants des voitures (carburant, contrôle technique, entretien) devenaient insupportables, qu’il était d’autant plus difficile de trouver du travail qu’on habitait loin des centres urbains. Bref la crise se manifestait ainsi à eux à travers les inconvénients du périurbain soudain devenu plus enfer que paradis, sans qu’ils la perçoivent comme la vraie cause de leurs problèmes. Pourtant le fait que la crise du capitalisme frappe de façon spécifique la population qui réside dans le périurbain tient à ce que sont localisées là des couches sociales qui, en général, exercent, ou exerçaient, des métiers parmi les plus en voie de disparition du fait de l’évolution du capitalisme moderne, lequel tend à éliminer tout particulièrement ceux du milieu de gamme inférieur[58]. Brutalement précipitées dans le paupérisme, ou menacées de l’être sous peu, ces couches de « petits blancs » ont été saisies d’une violente et bien compréhensible colère. D’où, par exemple, le mouvement des « Gilets Jaunes » en France. Il n’est pas du tout l’objet de ce livre de l’analyser dans ses origines, ses composantes, ses objectifs divers, son avenir. Mais simplement de noter que, là encore, une ségrégation spatiale particulière a joué un rôle important dans l’agrégation d’individus en une masse particulière, menant une lutte particulière, bien que pourtant de composition très diverse, et alors même que de ce fait les revendications y étaient aussi variées que cette composition. Ce n’est pas leur localisation périurbaine qui est la cause des malheurs de ces individus, mais c’est elle qui, en ayant rassemblé, et ce fût son seul rôle, des gens confrontés, de par leurs situations professionnelles dans le niveau inférieur du milieu de l’échelle sociale, au même problème de chute dans la paupérisation, aux même façons spécifiques dont ce problème leur apparaissait dans le périurbain, a favorisé leur coagulation en une masse révoltée, à laquelle ont pu se joindre toutes sortes d’autres laissés pour compte de la même catégorie « petit blanc », aussi vaste que variée dans un vieux pays impérialiste comme la France.

On voit finalement que la ville, en étant une traduction dans l’espace des rapports sociaux qui sont l’essence du capital (et de la société capitaliste), est elle-même un facteur actif important de reproduction de ces rapports, de l’élargissement des écarts de classe, de l’accroissement de leurs antagonismes, et des luttes qui en découlent. Nous en reparlerons chapitre 4.

 

CHAPITRE 3. VILLE CAPITALISTE ET DOMINATION BOURGEOISE.

Les premières grandes villes capitalistes, au 19ème siècle en Europe, furent le siège de nombreuses émeutes et insurrections, jusqu’au point culminant de la Commune de Paris en 1871. Ces villes étaient aussi le siège de pandémies que favorisait l’insalubrité inouïe des quartiers populaires[59]. En même temps les journées de travail interminables dans des atmosphères pestilentielles, y compris pour les jeunes enfants, les conditions de logement sordides, tendaient à épuiser et avilir (alcoolisme notamment) la classe ouvrière jusqu’à la rendre inapte au travail. Toutes choses qui amenèrent la bourgeoisie, via l’Etat, l’organe chargé de son intérêt général, à s’intéresser de beaucoup plus près à l’urbanisme, à apporter des améliorations à « la question du logement », à l’hygiène publique et à la salubrité des villes, en même temps qu’elle perfectionnait aussi à l’occasion des opérations urbaines qu’elle entreprit alors ses moyens de contrôle et de répression des « classes dangereuses ».

On ne rendra pas compte ici de tous ces efforts. Il suffit de citer pour mémoire l’œuvre d’Hausmann, emblématique de l’urbanisme bourgeois « éclairé » en ce qu’elle a remarquablement associé une sérieuse amélioration de la salubrité de Paris (égouts, parcs, destruction des ilots insalubres, larges avenues) avec la création des conditions d’une répression plus aisée des émeutes, grâce à cette nouvelle voirie, et à l’expulsion et la déportation à la périphérie des couches populaires, dont les bastions dans de vieux quartiers compliqués difficilement pénétrables par la police étaient détruits à l’occasion de ce renouveau urbain.

Depuis la politique bourgeoise en matière d’urbanisme a toujours, grosso modo, poursuivi les principaux objectifs suivant : 1) reproduire un prolétariat juste apte à travailler, contrôlé par divers « organismes sociaux » dans sa vie quotidienne, et bien sûr par la police en tant que de besoin  ; 2) contenir quelque peu le prix de sa force de travail et ses revendications par une politique de « logement social »  ; 3) s’assurer l’appui de couches intellectuelles et artistiques stipendiées chargées de promouvoir sa domination idéologique, et leur en donner les moyens (locaux, fêtes et autres évènements urbains)  ; 4) se reproduire en tant que bourgeoisie dans des quartiers ad hoc  ; 5) assurer le meilleur « accueil » possible aux plus hautes fonctions dirigeantes du capital (sièges sociaux, enseignement supérieur de formation des « élites », etc.), à leurs titulaires, aux capitaux qu’ils gèrent, aux pl afférentes.

C’est une politique despotique, organisée, voire planifiée par des technocrates, et mise en forme par des architectes starifiés, rivalisant d’esbroufe visuelle, de clinquant, pour être encore plus star. Beaucoup desquels n’eurent aucun mal à prendre place dans les mouvements fascistes des années 30, comme alors l’ensemble du courant dit « planiste »[60], au nom d’un rationalisme dont ils auraient été les détenteurs. L’architecte Le Corbusier, toujours célébré aujourd’hui, en fut un exemple emblématique[61]. Aujourd’hui encore les membres de cette camarilla incarneraient seuls, le savoir de faire la ville, et ils la font, seuls. Ce despotisme soi-disant éclairé et rationnel produit les résultats catastrophiques que l’on sait.

Car cette politique urbaine n’est jamais qu’une inscription dans l’espace des rapports sociaux capitalistes, de l’exigence du capital d’avoir à se valoriser. Elle a donc à affronter les obstacles que la ville oppose à cette valorisation qui, comme nous l’avons vu, sont devenus aujourd’hui insurmontables, les hyperagglos contemporaines étant des facteurs de dévalorisation. Il suffit de reprendre ceux de ces obstacles que nous avons identifiés chapitre 2 pour constater, en effet, combien sont vaines les mesures que met en œuvre la politique urbaine actuelle pour les surmonter.

Prenons par exemple le tribut foncier urbain et les prix exorbitants du logement qu’il induit. Malgré tous les moyens mis en œuvre, et que nous avons rappelés, rien n’y fait, tribut foncier et prix des logements ne cessent de monter dans les grandes agglomérations. Par exemple, en France, ces derniers ont augmenté, en monnaie constante, de 69% entre 2000 et 2018, et bien davantage encore dans les seules grandes villes (dans le même temps le revenu disponible par ménage n’augmentait que de 3%)[62].

Tous les capitalistes (rappelons que le propriétaire foncier n’est pas un capitaliste) sont favorables à une diminution du prix des logements. Parce que ça diminue le prix de la force de travail pour chacun d’eux, que ça facilite leur vente pour ceux qui les produisent, que ça facilite l’accès à la propriété privée d’un grand nombre de gens (qui alors la soutiennent, en même temps qu’ils deviennent prisonniers de leurs emprunts), ainsi que la pacification des prolétaires qui apprécient des loyers plus bas. De sorte qu’il peut se former un consensus de toutes ces classes pour réclamer un abaissement des prix du logement par abaissement, ou même suppression, du tribut foncier[63]. Et malgré cela, ça ne se produit pas !

Ainsi, par exemple, la politique de logements sociaux à loyers modérés n’abaisse pas plus les coûts de construction, ce qui ne dépend que de la productivité du capital qui s’investit dans cette branche, qu’elle ne supprime le tribut foncier. C’est que, concernant ce tribut, la subvention publique qui sous-tend cette politique revient seulement à en socialiser le paiement via les impôts et taxes qui la financent. Or ces impôts et taxes ne sont rien d’autre qu’une part de la pl sociale générale. Cela signifie que c’est cette quantité de travail social non payé qui, récupérée par l’Etat, finance le tribut foncier (plus toute la bureaucratie chargée de gérer le système du logement social). Le montant de ce tribut foncier reste évidemment fixé, comme il a été rappelé précédemment, par l’usage qui est fait du sol qui en est le support. Dans le système du logement social, c’est donc comme si les travailleurs productifs de pl finançaient tous ensemble ce tribut, quand bien même seule une partie d’entre eux bénéficient d’un logement social et sont ainsi aidés. Grâce à quoi les capitalistes bénéficient d’une force de travail à meilleur prix.

Notons que, dans le cas où un Etat subventionne directement le locataire d’un logement social (par exemple en France l’APL), c’est surtout le propriétaire du logement qui en profitera en pouvant louer plus cher, quelles que soient les tentatives de plafonnement des loyers. Et derrière ce propriétaire il y a le propriétaire foncier dont le tribut s’élèvera également.

Bref, le seul moyen de faire baisser le tribut foncier et, partant, les prix des logements, est, comme nous l’avons vu, d’aller les construire dans des zones périphériques. C’est ce qui induit la ségrégation spatiale urbaine comme reflet, et aussi reproduction et stimulant de la ségrégation sociale, de la reproduction des classes.

Il y a cependant toujours eu des bourgeois « socialistes » qui, brandissant l’étendard de la baisse des prix du logement, s’affichent comme très radicaux en réclamant jusqu’à la nationalisation (ou la municipalisation) du sol afin d’abaisser, voire supprimer le tribut foncier.

Citons à nouveau Marx. Il écrit que pour le capitaliste « ….le propriétaire foncier est tout à fait superflu. Tout ce qui est nécessaire pour lui est que le sol ne soit pas propriété commune, qu’il affronte la classe ouvrière comme condition de la production ne lui appartenant pas, et ce but est parfaitement atteint lorsqu’il devient propriété d’Etat, donc lorsque c’est l’Etat qui perçoit la rente foncière. Le propriétaire foncier, agent essentiel de la production dans le monde antique et médiéval, est, dans le monde industriel une excroissance inutile. Le bourgeois radical [….] en arrive ainsi, sur le plan théorique, à nier toute propriété privée du sol, dont il voudrait faire, sous la forme de propriété d’Etat, la propriété commune de la classe bourgeoise, du capital. Dans la pratique cependant, il n’en a pas le courage, car la contestation d’une forme de propriété – d’une des formes de la propriété privée des conditions de travail – serait très risquée pour l’autre forme. En outre le bourgeois a lui-même acquis de la fortune territoriale. » [64]

Observons d’ailleurs que l’Etat contemporain est déjà en grande partie le possesseur réel du sol urbain, ou à urbaniser. C’est lui, en effet, qui, par des règlements nombreux et par sa maîtrise des infrastructures essentielles à la vie urbaine, décide de l’usage qui sera fait de tel ou tel sol. Or, en matière de propriété, la maîtrise de l’usage, autrement dit la possession, la propriété réelle, est l’essentiel, bien plus que la seule propriété juridique[65], qui, comme nous l’avons vu ne crée même pas le tribut foncier.

Comme Marx le disait aussi, la nationalisation du sol n’est qu’un « mot d’ordre conséquent de la bourgeoisie » souhaitant pouvoir libérer le capital du fardeau du tribut foncier[66]. Il n’est donc pas étonnant que quelque défenseur du capital s’en fasse de temps à autre, en général très vaguement, l’écho. Par exemple le maire adjoint « communiste » (PCF) de Paris qui préconise de créer un OSF (organisme de foncier solidaire) qui financerait l’achat du sol puis le revendrait via un paiement de 2.000 à 5.000 euros le m2 constructible au départ (selon les critères de la ségrégation de classe des quartiers donc) puis, pour le solde, échelonné sur 20 à 99 ans[67]. Rien d’autre qu’un crédit municipal, très partiel de surcroît, pour payer le tribut foncier ! Le même ridicule banquier municipal et grotesque charlatan, car il faut appeler un chat un chat, préconise aussi une limitation autoritaire des hausses de loyer, qui, si elle était appliquée sérieusement, ne ferait qu’aboutir à une baisse des investissements immobiliers et, finalement, à une hausse des prix. A Proudhon qui déclarait : « l’abolition du loyer est une des entreprises les plus fécondes et les plus grandioses qu’ait enfantée l’idée révolutionnaire », Engels répondait : « c’est là tout à fait le genre de démagogie chère au maître Proudhon, chez qui le caquetage est toujours en proportion de la taille des œufs pondus. »[68]

Non seulement les politiciens bourgeois, « communistes » ou autres, ne pondent que des œufs minuscules (une simple limitation des hausses), non seulement le caquetage auquel ils se livrent se résume, au fond, à des propositions qui ne serviraient finalement qu’à abaisser, un peu, l’obstacle, devenu très puissant dans les grandes agglomérations, que constitue le tribut foncier à la valorisation du capital mais de plus, ils ne peuvent qu’échouer lamentablement face à cette dynamique implacable du capital à l’élever sans cesse.

Echouer, il en va de même en ce qui concerne leurs tentatives d’abaisser les autres obstacles que l’hyperagglo oppose à cette valorisation.

Prenons par exemple les transports. Pour attirer le maximum des fonctions supérieures qui gèrent, possèdent le capital et attirent de leur côté les profits issus de toutes les parties du monde, la ville métropole doit, entre autre, organiser la meilleure circulation possible des flux, humains notamment (mais aussi financiers, de marchandises, d’informations, etc.). Mieux elle y parvient et plus elle est attractive, mais plus aussi alors elle croît, et cela à la façon capitaliste, c’est-à-dire en découpant l’espace urbain en différentes zones spécialisées. Ce qui produit en particulier des « quartiers d’affaire » pour multinationales, comme celui de La Défense à Paris, où s’accumulent, pour 3,6 millions de m2, des tours de bureaux, rivalisant de hauteur et d’esbroufe avec celle des métropoles concurrentes, où travaillent 200.000 salariés, dont plus des 3/4 habitent loin de là, au point que métros, trains, bus qui les y amènent sont complétement saturés malgré leur nombre et leurs débits élevés[69]. Idem dans toutes les autres métropoles mondiales. Des sommes astronomiques sont sans cesse dépensées (principalement ou totalement par la puissance publique) qui ne font, au mieux, que maintenir le système à flot, à la limite du naufrage.

En effet, pour quels résultats ces faramineuse dépenses ? Des usagers qui payent très cher le coût de ces transports (directement ou via les impôts). Des investissements qui ne réduisent pas les monstrueux et coûteux embouteillages, ni ne réduisent le temps perdu[70], qui souvent s’allonge au contraire avec la croissance urbaine, ni la fatigue accumulée dans des trains ou bus saturés. Et pour les entreprises aussi la note est salée (seules celles du secteur BTP peuvent se réjouir). Par exemple, en Hollande, pourtant réputée paradis du vélo, « la facture des embouteillages n’en finit pas de s’alourdir. Directement touchées par ce phénomène grandissant, ces entreprises(du secteur des transports, de la logistique, de la distribution) ont constaté un manque à gagner de 1,3 milliards d’euros. Un chiffre en hausse de 3% en un an [……]. La construction de nouvelles routes a eu l’effet d’un coup d’épée dans l’eau […….]. Les arrêts de chaînes de production du fait de retards de livraison [……..] et les pertes de chiffre d’affaires à cause d’un manque d’approvisionnements en temps utile dans les magasins [……] le coût global des encombrements est estimé à 3,7 milliards d’euros par an pour l’économie du royaume. »[71] L’accroissement urbain délirant et les flux tendus en vue d’économiser sur les stocks, il y a comme une contradiction concernant la valorisation du capital !

Prenons, autre exemple, « l’écologie urbaine ». Un oxymore ! Les politiciens essayent de faire croire qu’ils luttent contre les gigantesques pollutions engendrées par les hyperagglos, ils vantent sans vergogne les mérites de la « végétalisation » des villes, des « fermes urbaines », des « écoquartiers », de la voiture électrique[72], etc. Non seulement il ne s’agit là que de minables gadgets, mais, à côté et à grande échelle, ils font tout le contraire que d’aérer et dépolluer la ville, ne cessant de favoriser la densification et l’accroissement urbain[73]. Dans l’hyperagglo, la contradiction est partout, jusque dans les moindres détails comme, par exemple, la climatisation : en ville les effets du réchauffement climatique sont augmentés puisque les murs retiennent la chaleur, donc on y multiplie les climatiseurs, notamment dans les immeubles de bureaux. Or « les climatiseurs d’aujourd’hui, qui contiennent les gaz à effet de serre les plus nocifs qui soient, sont un désastre : ils accélèrent le réchauffement de la planète »[74], et ils l’accélèrent d’autant plus qu’ils consomment beaucoup d’énergie. Ainsi pour refroidir, on réchauffe davantage !

Quelles que soient les nuisances urbaines que la bourgeoisie tente de réduire, elle n’y parvient pas. Au contraire, elles ne cessent de croître inexorablement en même temps que le fait la croissance urbaine sous l’impulsion masquée du capital automate. Au mieux, elle ne s’en prend qu’à certains effets particuliers d’une urbanisation que non seulement elle ne maîtrise pas, mais qu’elle amplifie. Elle lui parait naturelle, inéluctable parce qu’elle n’en connait pas les causes[75], qui sont dans la façon dont les rapports sociaux capitalistes s’inscrivent dans l’espace terrestre. Et, plus précisément, dans la façon dont ils s’y inscrivent aujourd’hui, à l’époque du capitalisme sénile. Ce qu’ils font non seulement, comme nous venons de le voir dans les chapitres précédents, en développant l’hyperagglo comme facteur amplifiant la dévalorisation générale propre à cette époque, mais aussi en y concentrant et localisant les classes dans différentes zones urbaines.

Ignorante des causes, la bourgeoisie est amenée à considérer que les problèmes urbains proviennent de dysfonctionnements dus à des erreurs techniques, à des financements mal affectés ou insuffisants, à des choix inappropriés qui pourraient être corrigés par d’autres choix. Ce que des politiciens et des technocrates auraient mal fait, d’autres pourraient le corriger, faire mieux. De fait l’hyperagglo, de par sa dimension et sa complexité, est un terrain où prospère facilement le pouvoir opaque des « élites », en l’occurrence une petite oligarchie de politiciens, de technocrates, d’architectes de cour, de banquiers et de dirigeants des oligopoles du BTP. Elle est propice à l’exercice d’un pouvoir despotique (et opaque tant les enjeux financiers, et les magouilles afférentes, y jouent un rôle important). Pouvoir qui, comme nous venons de le voir, ne peut rien résoudre des problèmes urbains dont il ignore les causes. Mais pouvoir qui – ce qui est normal puisqu’il s’agit de l’action du capital dont ces « élites » sont seulement les agents – est une totale dépossession des « citoyens » de cette importante condition de leur vie qu’est l’organisation de son espace. Cela malgré l’intense propagande des politiciens sur la « participation » (qui, au mieux, comme dans le Paris de Mme. Hidalgo, ne porte que sur d’ultra infimes détails). S’approprier cette condition est évidemment un objectif essentiel pour « changer la vie ». L’importance de l’urbain aujourd’hui en fait le centre de cette lutte.

 

CHAPITRE 4. VILLE ET LUTTE DE CLASSE.

Ce n’est pas l’objet de ce bref ouvrage d’analyser dans leurs forces, formes, contenus, objectifs, limites les émeutes et insurrections urbaines qui ont jalonné le cours de l’histoire du capitalisme, et continuent aujourd’hui à la marquer. Il est seulement de dire comment la ville d’aujourd’hui contribue à les façonner, en quoi elle joue dans ce domaine, à l’époque du capitalisme sénile, un rôle spécifique.

Il ne suffit pas de remarquer que les luttes sociales ont été de plus en plus urbaines avec le développement du capitalisme, alors qu’avant elles étaient à base essentiellement rurales (comme ce fût encore le cas tout au long du 20ème siècle dans les pays colonisés, ou semi colonisés comme la Chine). Il faut aller plus loin. Constater qu’au 20ème siècle, dans les pays à la pointe du développement capitaliste, les luttes sociales d’une classe ouvrière également alors en pleine croissance, sont le plus souvent localisées dans usines où sont alors groupées les masses ouvrières (à quelques exceptions révolutionnaires prés comme les révolutions bolcheviques et spartakistes), tandis que le 21ème siècle commence comme celui des émeutes et insurrections urbaines, massives et planétaires. Les mouvements migratoires et l’urbanisation de la pauvreté mondiale ont aussi produit l’urbanisation des insurrections, la concentration des hautes fonctions du capital y a aussi produit le lieu d’un face à face fonctionnaires du capital/paupérisés.

Il y a bien sûr plusieurs types de luttes urbaines, qui ont des motifs immédiats variés, mettent en scène des couches sociales différentes, suivant les spécificités des situations.

Certaines de ces luttes – ce qui est nouveau – ont pour objet la ville, remettent en cause la ville elle-même dans certaines de ses tares. Par exemple pour obtenir des logements, de l’eau potable, de meilleures conditions de transports, etc. Des luttes se développent aussi contre les G.P.I. (les grands projets inutiles), qui, où qu’ils se situent, sont des excroissances de l’urbain, aussi coûteuses que catastrophiques sur le plan écologique, comme, par exemple, l’aéroport de Notre des Landes en France, le TGV Lyon-Turin, les centrales nucléaires.

Il y a aussi des luttes émeutières et insurrectionnelles, qui, bien que localisées dans les villes, n’ont pas pour objet la ville, mais de s’opposer à une situation sociale particulière. Par exemple contre le racisme et les assassinats policiers aux Etats-Unis ou en France, contre une dégradation devenue insupportable des conditions de vie (les « Gilets Jaunes » en France en 2018), contre un pouvoir despotique et corrompu (par exemple les « printemps arabes » à Tunis, au Caire, etc.). De telles luttes s’attaquent, peu ou prou, directement au pouvoir d’Etat en place. Elles sont soudaines, éclatent de façon imprévisible, souvent à propos d’une goutte d’eau qui fait déborder un énorme vase rempli à ras bord de motifs de mécontentement et de colère. Elles sont, au moins au début, concentrées dans les zones où ces motifs se sont accumulés : « cités » des banlieues populaires, zones périurbaines déshéritées notamment.

Néanmoins, parler de « quartiers sensibles », de « cités », de « périurbain » à propos des émeutes présente le risque de rendre ces types de territoires responsables de problèmes qui sont sociaux et politiques. Ce n’est pas le « cadre de vie » plus ou moins dégradé qui provoque par lui-même les émeutes, mais des rapports sociaux qui, dans telle ou telle zone de la ségrégation spatiale qui les reflète, se tendent en antagonismes de plus en plus aigus avec la crise qui caractérise le capitalisme sénile. D’ailleurs elles ne s’en prennent en général pas à la question du cadre de vie dégradé, elles n’ont pas la ville pour objet.

Le fait que les antagonismes sociaux surgissent comme émeutes dans certaines zones de la ville ne veut pas dire qu’elles en sont la cause : elles n’en sont que la localisation. Elles s’y manifestent comme luttes à propos des problèmes propres à la classe, ou fraction de classe particulière, qui a été là concentrée par le capital. Et c’est cette relative homogénéité sociale (voire parfois ethnique ou religieuse) qui est la base d’une possible lutte commune. Les lieux où sont concentrées les catégories de la population qui subissent les violences particulières que le capital et ses fonctionnaires font peser sur elles sont évidemment aussi ceux où elles sont obligées d’y répondre, de s’y opposer. Et aujourd’hui ces lieux sont plus des zones urbaines que des usines, nous y reviendrons.

Il faut ici observer que, comme ces lieux sont, bien souvent, dans les pays à la pointe du capitalisme, des zones habitées par des populations immigrées ou issues de l’immigration, ou, comme aux U.S.A., par des populations autochtones, mais noires, leurs révoltes prennent une apparence « ethnique ». Ce qui devient un facteur de racialisation des émeutes de la part d’individus qui prétendent que la cause des problèmes qui les suscitent est à rechercher dans les mentalités, les cultures, les coutumes particulières de ces populations refusant de « s’intégrer », hostiles aux « valeurs de la République » (dont, pourtant, la réalité quotidienne montre l’absolue fictivité puisqu’elle est faite de despotisme, inégalités, agressions), et, finalement, ennemis de la Nation.

Une loi démontrée par Marx, et remarquablement confirmée par les faits, établit « une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de la richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »[76] Le capital n’est qu’accumulations, de richesses, de misères, de marchandises, de pollutions, de destructions, de morts. L’organisation de l’espace capitaliste n’échappe pas à cette loi. Les pôles opposés de l’accumulation conjointe de la richesse et de la misère sont à la fois sociaux et spatiaux. Les luttes qui découlent de cette opposition le sont aussi.

Au 20ème siècle, dans les grandes métropoles comme l’agglomération parisienne, les zones ouvrières étaient aussi des zones d’intégration sociale, de solidarité de classe. On parlait des « banlieues rouges » qui ceinturaient Paris et qui étaient en grande partie tenues par des municipalités (soi-disant) communistes qui y déployaient tout un encadrement serré d’activités sportives, culturelles, syndicales, d’associations féminines, de jeunesses, de secours aux plus démunis, etc. En ce début du 21ème siècle, tout ce système formant société (« contre-société » alternative disaient certains sociologues) s’est effondré, disloqué tant par l’échec de la politique « communiste » de compromission avec le capital (qu’elle prétendait pouvoir « humaniser »), que par l’affaiblissement numérique de la classe ouvrière « française » sur laquelle il s’appuyait. Si cet affaiblissement est bien réel, les « classes dangereuses » n’en ont pas disparu pour autant. Et la bourgeoisie le sait bien. Elle sait que si le prolétariat n’est plus à dominante ouvrière, il n’en est pas moins de plus en plus nombreux[77]. Et aussi que la sénilité du capital aggrave les antagonismes sociaux, au point qu’elle en devient fébrile. Elle ne cesse en effet d’en appeler, jour après jour, discours après discours, à l’unité de la Nation, au « consensus républicain », au « vivre ensemble », à « retisser les liens sociaux », c’est-à-dire aux compromis de classe qu’organisait la démocratie bourgeoise au moyen de ses médiateurs appointés, syndicats, partis et idéologues de gauche notamment dont elle déplore tant aujourd’hui la déqualification et la perte d’influence sur les couches populaires qui, maintenant, instruites par l’expérience, s’abstiennent massivement, tant de se syndiquer que de participer aux élections.

Tout ce qui vient d’être dit à propos des zones urbaines de relégation où sont parquées les couches populaires, appelées par la bourgeoisie zones de « non-droit » alors que « sans-droits » serait plus adapté à leur situation, amène à confirmer que les luttes sociales investissent davantage ce terrain que celui des usines où les ouvriers sont de moins en moins nombreux (même dans des pays de développement capitaliste plus récent, comme la Chine, où ce processus ne fait que commencer).

Déjà en son temps Marx parlait des prolétaires comme étant « une classe expulsée de la société »[78] lorsqu’il s’agit de jouir « des avantages » que, pourtant, ils ont contribué au premier chef à créer. Aujourd’hui l’expulsion va au-delà. Elle est qu’une quantité de plus en plus importante d’individus sont devenus carrément inutiles au capital, n’existent plus à ses yeux que comme poids morts, et comme danger. Autrefois les chômeurs formaient pour le capital une « armée de réserve » : ils étaient utilisés dans les périodes d’expansion. Mais avec la sénilité du capital arrive aussi l’époque où le chômage devient permanent pour beaucoup qui, dès lors, par centaines de millions dans le monde, ne sont pas même « en réserve », mais « en trop ».

Dans les années d’après-guerre dites des « 30 glorieuses » on appelait les zones urbaines périphériques[79] des métropoles où logeaient les prolétaires des « cités dortoirs ». Voués au Metro-Boulot-Dodo : ils y étaient surtout pour dormir. Aujourd’hui beaucoup, chômeurs, y restent 24 heures sur 24, ou en tout cas beaucoup de temps étant travailleurs intermittents, précaires. Prolétaires sans travail et « cités » non plus dortoirs mais jours et nuits pleines de monde. Dans les bidonvilles des mégapoles, ce phénomène est encore bien plus marqué.

Ces prolétaires ne peuvent donc pas nouer de liens sociaux sur les lieux d’un travail qu’ils n’ont pas, ou des liens ténus quand ils n’y sont qu’épisodiquement. Ces liens se nouent alors essentiellement dans leurs quartiers. Cela va d’activités illicites (drogue notamment), jusqu’aux émeutes et insurrections, en passant par des phénomènes de « bandes », des associations religieuses, culturelles, éducatives, sportives, voire politiques. Mais ce n’est pas le contenu, la forme, les buts de ces liens sociaux plus ou moins organisés que nous analysons ici. C’est ce phénomène, nouveau par son ampleur, du changement en cours du terrain principal de la formation des liens, des solidarités et du développement des luttes prolétaires, et donc de la possible formation d’une conscience politique révolutionnaire. Car une telle conscience ne peut se former que dans l’affrontement au pouvoir politique bourgeois, à l’Etat bourgeois. Au sein de l’usine les luttes ouvrières étaient souvent limitées à l’affrontement au seul patron, ne portaient pas immédiatement le caractère de luttes contre l’Etat. Les émeutes urbaines l’affrontent plus directement, à commencer en s’en prenant à ses représentants les plus actifs et les plus visibles sur le terrain, la police. Certes c’est encore loin à ce stade élémentaire d’être une lutte pour l’abolition de l’Etat et du capital, mais c’est déjà immédiatement une lutte politique.

Que certaines zones de l’espace urbain soient les domaines des « classes dangereuses », des espaces de luttes permanent – et pas seulement les jours d’émeutes ou d’insurrection – la bourgeoisie le sait bien aussi de son côté. Elle s’efforce d’en garder le contrôle par les moyens qui sont les siens : subventions à certaines associations « pacificatrices », attributions de logements et d’aides sociales sous conditions strictes, propagande, corruption. Mais comme il lui est impossible de répondre par de tels moyens aux besoins élémentaires de ces populations, son moyen quotidien essentiel est « sécuritaire », policier et carcéral, militaire aussi en cas de besoin. Toujours à la recherche des meilleures façons de mener ses luttes urbaines elle déploie d’ailleurs une coopération internationale. Stephen Graham[80] a montré que le maître en la matière, le plus consulté, était l’Etat israélien, fort de son expérience de guerre urbaine et des technologies sophistiquées mises au point pour la mener et parachever son appropriation de la Palestine.

S’il faut tirer une conclusion d’ordre général de ces 4 chapitres, elle est que l’importance prise par le développement récent d’hyperagglos dans le monde manifeste à sa façon, dans le domaine de l’organisation de l’espace mondial où se déploie le capital, les contradictions caractéristiques de celui-ci à l’époque de sa sénilité. Dont ces deux principales :

1) L’affaiblissement de la valorisation du capital (dont la cause fondamentale est l’évanescence de la valeur, la quantité de travail social productif de pl). On a vu que les hyperagglos y contribuent amplement en dressant des obstacles particuliers à cette valorisation, tels que : tributs fonciers, pollutions, coûts des transports, temps perdu, coûts de santé publique et autres multiples gaspillages. Obstacles grandissants avec elles, quelles que soient les tentatives faites par la bourgeoisie pour les abaisser quand ils sont ressentis par la population ou par le capital lui-même comme des nuisances insupportables.

2) La croissance de ces hyperagglos est aussi celle d’une extrême ségrégation de l’espace urbain. Des zones spécifiques regroupent, concentrent massivement les prolétaires, dont beaucoup sont, de plus en plus, plus ou moins définitivement, plus ou moins totalement, des « exclus » du travail. Des individus dont le capital n’a plus besoin, ou peu. Dès lors, se forment dans ces territoires, ou à partir d’eux, des groupes, des solidarités, des résistances, des émeutes, et, possiblement, une organisation et une conscience politique révolutionnaire. En développant les hyperagglos le capital développe donc en même temps des bases où peuvent se former les forces capables de l’abolir.

Au total, 1), il s’auto-affaiblit, 2), tout en renforçant son ennemi.

 

CHAPITRE 5. QUEL AVENIR POUR LA VILLE ?

Avec le capitalisme, l’urbain n’a aucun autre avenir que de continuer à refléter et accentuer le pourrissement du monde capitaliste, ainsi que les antagonismes de classe qu’il génère. Un avenir qui, donc, ne serait que l’aggravation du présent.

Et avec le communisme qui, seul, pourrait lui succéder ? Dans ce cas la question ne se pose pas ainsi, quel avenir pour la ville ?

D’abord parce que personne ne peut faire aujourd’hui de prophétie sur l’avenir communiste, car il sera le fait d’hommes nouveaux, aux besoins et aux rapports sociaux nouveaux, profondément transformés dans et par le processus révolutionnaire au cours duquel ils s’approprieront les conditions de la production de leurs vies. D’hommes donc dont nous ne pouvons pas connaître aujourd’hui les décisions.

Ensuite, puisqu’il est certain qu’une révolution communiste sera dissolution des rapports sociaux capitalistes, il l’est aussi que les monstrueuses mégapoles d’aujourd’hui seront dissoutes au cours de ce processus puisqu’elles en sont l’inscription dans l’espace. Mais alors il ne s’agit pas que de la ville, mais bien d’une organisation de l’espace. Donc, et pour en rester à la question urbaine[81], il ne s’agit pas de l’avenir de la ville seule, mais de nouveaux rapports villes/campagne, de l’extinction de cette antique segmentation spatiale et sociale, et avec elle de la création de nouveaux rapports hommes/nature, dont on ne peut concevoir aujourd’hui que quelques prémices.

C’est pourquoi, donner aujourd’hui aux luttes populaires l’objectif du « droit à la ville », de s’approprier la ville, comme l’ont fait des universitaires médiatisés comme feu H. Lefebvre, D. Harvey, et bien d’autres après eux, indépendamment de celui d’abolir les rapports villes/campagne tels que structurés par le capital (et caractérisés dès le début, nous l’avons rappelé, par l’instauration de la domination de la ville sur la campagne), c’est en rester à une tentative d’améliorer la ville sans abolir les rapports sociaux, et donc aussi spatiaux, qui la font ce qu’elle est.

Ce n’est que dans le cours même du processus révolutionnaire par lequel les prolétaires s’approprieront leurs vies qu’ils s’approprieront non pas la ville mais toute l’organisation de l’espace et des rapports hommes/nature qui sont constitutifs de la vie. Ceci doit être compris afin que les luttes, justifiées, nécessaires, qui ont pour objet l’urbain dans certains de ses effets tels que la pollution, les logements, la densification, l’étalement urbain, les transports, puissent s’insérer dans la lutte ayant pour objet leur cause : les rapports sociaux capitalistes, la puissance automate du capital qui en découle et qui, entre autres effets, génère les hyperagglos d’aujourd’hui.

En son temps Marx observait que « la plus grande division du travail matériel et intellectuel est la séparation de la ville et de la campagne »[82] Aujourd’hui cette séparation n’entraine pas une division du travail aussi marquée. La campagne est devenue le prolongement de la ville, l’éducation et les techniques agricoles s’y sont développées, du moins dans de plus en plus de pays, et le travail y est moins matériel et plus intellectuel qu’autrefois. Cette grande division concerne aujourd’hui l’ensemble de la population, toutes les activités qu’elles soient industrielles, agricoles, ou autres, et ce à l’échelle mondiale.

Du point de vue de l’organisation de l’espace aujourd’hui, ce qui est significatif et en développement à des degrés divers partout dans le monde, c’est moins cette vieille division travail matériel/travail intellectuel qui était le pendant de la division ville/campagne, mais l’emprise du MPC sur tout l’espace mondial, rural comme urbain. Il amène, entre autres effets, l’accumulation des fonctions et fonctionnaires dirigeants du capital dans certaines zones de monstrueuses hyperagglos, la concentration des exécutants dans d’autres, et ailleurs la désertification des campagnes. Avec, des deux côtés, des dégâts aussi considérables que catastrophiques. Nous l’avons vu pour le côté urbain, et ils sont bien connus côté campagnes : dégâts de l’agriculture chimique et des élevages industrialisés à la façon capitaliste, du tourisme, des infrastructures nécessaires aux villes (centrales nucléaires, TGV, autoroutes, aéroports, etc.).

La segmentation de l’espace est donc partout une segmentation des fonctions capitalistes et de leurs agents. Les campagnes elles-mêmes, à l’exception peut-être de de quelques pays les moins développés, ne sont plus que des zones où sont localisées des activités capitalistes et les agents afférents (plus de nombreux retraités ex-urbains). Partout, donc, la segmentation spatiale et la segmentation sociale (ou division sociale de la propriété et du travail) qui la génère sont le produit d’une même cause, le mouvement automate du capital. On ne peut donc pas séparer la question urbaine de la question rurale.

Finalement on voit que poser la question : quel avenir pour la ville ? amène à aller jusqu’à celle des rapports des hommes à la nature. La richesse de la nature est la richesse des hommes s’ils savent l’utiliser, en jouir, se l’approprier sans la dévaster. A l’époque du capitalisme sénile les rapports hommes/nature sont devenus, à un très haut et inédit niveau de puissance, destruction des hommes détruisant la nature. C’est qu’ils ne sont en rapport avec elle que comme agents du capital qui, dans son mouvement automate, inexorable de valorisation permanente, les a amené à ne la considérer, ainsi qu’eux-mêmes d’ailleurs, que comme moyens de celle-ci. Il faut donc changer les hommes, c’est-à-dire changer les rapports sociaux qui les construisent comme agents du capital, pour changer leurs rapports à la nature. Ce qui est le processus révolutionnaire menant au communisme.

Pourtant le « besoin de nature » est bien présent. Il suffit de voir comme les urbains fuient la mégapole dès qu’ils le peuvent. Mais alors ils n’aboutissent le plus souvent que dans une nature plus ou moins dégradée, ne font que prolonger l’urbain à la campagne et consommer de la nature comme une marchandise, ce qui contribue évidemment à la dégrader davantage. Il n’y a en effet nulle symbiose avec la nature dans le tourisme, la visite de zoos ou de réserves animales, dans les séjours en « clubs Med », les activités ludiques ou sportives faites spécialement pour urbains (stations de ski, cheval, ports de plaisance, VTT, saut à l’élastique, etc.).

Maîtriser correctement leurs rapports avec la nature est évidemment une condition de l’appropriation des conditions de la construction de leur vie par les hommes. Correctement veut dire : comprendre, saisir, cultiver toutes les richesses, la diversité, les beautés de la nature afin de savoir en faire des moyens du développement humain, des qualités humaines, sans la ruiner, en sachant au contraire qu’il y aura toujours de nouvelles richesses à y découvrir, des liens scientifiques, utilitaires, artistiques à inventer et développer si on préserve sa diversité. Bref, la question de l’avenir de la ville ne peut pas être détachée d’un processus révolutionnaire communiste (menant au communisme, communisant), et celui-ci inclut la « production », l’émergence d’hommes qui, entre autres qualités, sauront « maitriser correctement leurs rapports avec la nature ».

[1] K. Marx, I. A., p.49.

[2] Ibidem, p.50.

[3] On voit très bien le lien étroit entre l’industrialisation et le grand et rapide essor des villes au 19ème siècle en Europe. Par exemple en France : Saint Etienne (mines, métallurgie, textile) 30.000 habitants en 1831, 120.000 en 1891, Roubaix (laine, coton), 4.500 habitants en 1811, 100.000 en 1891. Bien d’autres exemples existent d’augmentations aussi spectaculaires de villes industrielles en France, Angleterre, aux USA, etc.

[4] Voir, par exemple, « La Cité à travers l’histoire », Lewis Mumford, ed. Agone, 2011.

[5] Selon l’ONU, ce n’est qu’en 2008 que la population urbaine mondiale a égalé la population rurale. L. Mumford, op. cité p. 66, note 1. En Chine, la population urbaine est passée de 77 millions en 1953 à 700 millions (plus 150 millions d’immigrés de l’intérieur non comptabilisés comme urbains) en 2012. T. Paquot, Désastres Urbains, éd. La Découverte, 2015, p.11.

[6] Capital automate » : cette expression désigne le fait que le capital n’existe que comme « valeur se valorisant » ((K. Marx). De même qu’un automate reproduit toujours mécaniquement le même mouvement, le capital reproduit sans cesse, comme de lui-même, le mouvement de sa valorisation. Mouvement dont les hommes ne sont alors que les agents, plus ou moins habiles pour les patrons, plus ou moins consentants pour les subalternes. Quand bien même les dirigeants, ou candidats à l’être par le moyen de l’Etat, croient pouvoir le diriger à leur guise, ils n’en sont que « les fonctionnaires » chargés d’exécuter, du mieux qu’ils peuvent, le mouvement de sa valorisation. Cf. TT 2017 pour une explication.

[7] Aussi bien dans les pays les plus développés que dans ceux qui le sont moins, mais dont l’agriculture vivrière a été submergée par les produits agricoles des premiers, et remplacée par de grandes cultures d’exportation (par exemple soja pour les élevages industriels, café, cacao, fruits, jusqu’aux fleurs exportées en masse par avion du Keynia vers l’Europe)

[8] Ces ruraux venant grossir les populations urbaines ont, pour une part, migré des pays pauvres vers les pays capitalistes les plus riches. Par exemple en France 380.000 étrangers en 1851 (1,3% de la population) et déjà un bond à 1.103.000 en 1891 (dont 420.000 nés en France) – selon J.P. Flamand, Loger le Peuple, éd. La Découverte, 1989, p.23. Et ce mouvement s’est bien sûr accru considérablement en même temps que l’origine de ces migrants s’est diversifiée avec la mondialisation coloniale et post coloniale.

[9] Problèmes Economiques n° 3093, août 2014, p.11

[10] La troisième en fait, cf. TT 2003.

[11] Mike Davis. « Le pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global », éd. La Découverte, 2006.

[12] Tout recensement ne peut être qu’incertain en la matière, mais ils donnent des estimations dans une fourchette de 1 à 2 milliards d’individus dans les bidonvilles, squats, ou à la rue.

[13] Cf. M. Davis, opus cité p. 207.

[14] Problèmes Economiques n°3093, août 2014, p. 32.

[15] I.A., p.58.

[16] L’abolition en Angleterre des Corn Laws, votée en 1815 et effective en 1846, peut être considérée comme la première grande victoire des capitalistes sur les propriétaires fonciers. Par cette déclaration unilatérale de « libre échange » les premiers, qui voulaient abaisser par là le prix de la force de travail, et qui s’étaient ralliés les ouvriers en leur faisant miroiter l’abaissement du prix du pain, faisaient triompher la priorité de la valorisation du capital industriel contre les intérêts des propriétaires fonciers qui dominaient depuis des siècles et soutenaient mordicus le protectionnisme.

[17] INSEE Première n°1374, octobre 2011.

[18] Voir par exemple en France le bétonnage de la côte du Languedoc pour le tourisme de masse, et celui de la côte d’Azur pour les plus riches, tandis que yachts et les bateaux de loisir ont remplacé les bateaux de pêche dans les ports bretons et que les Alpes ou les Pyrénées ne sont plus, pour une large part, que des stations de sports d’hiver ou autres loisirs montagnards pour urbains.

[19] Dont le fondement réside dans la baisse des gains de productivité et de la quantité de travail productif de pl. Cf. TT 2004, TT 2009, TT 2014.

[20] Dans les centres de villes comme Tokyo ou Séoul ce pourcentage peut monter jusqu’à 70, voire 80%. A Manhattan des appartements limitrophes de Central Park ont été vendus 100.000 euros le m2 en 2018 (Le Monde 26.01.19).

[21] Sauf bien sûr s’il y a du avoir au préalable des indemnités d’éviction, des coûts de démolition, de dépollution des sols, etc. qui s’ajoutent au coût foncier « pur ».

[22] « ….la propriété privée d’objets de la nature tel que le sol, l’eau, la mine, etc., la propriété […..] de cette condition naturelle de la production, n’est donc pas une source d’où découle de la valeur, puisque la valeur n’est égale qu’à du travail matérialisé ; non plus qu’une source d’où découle une plus-value supplémentaire […..] pourtant cette propriété est une source de revenu. » K. Marx, TPV, 2, p.39.

[23] Formule proposée par A. Lipietz dans Le Tribut Foncier Urbain, éd. Maspéro, 1974, l’ouvrage le plus complet sur cette question.

[24] K. Marx, TPV, 2, p.40.

[25] Prix que le capital doit consentir pour que les différents travailleurs qu’il emploie puissent satisfaire les besoins qui leur permettent de se reproduire en tant que tels. Prix qui a donc un caractère social (niveau de qualification notamment) et historique (les besoins variant avec les époques).

[26] « Toute rente foncière est de la plus-value, le produit de surtravail » K. III, 3, 26.

[27] TPV, 2, 42.

[28] Cf. Jean Paul Flamand, Loger le Peuple. Essai sur l’histoire du logement social. Ed. La Découverte, 1989.

[29] « Doivent » ? Du moins tant que le capital a besoin d’eux, ce qui tend à être de moins en moins le cas aujourd’hui !

[30] Via ses filiales la SCET et la SCIC.

[31] En général suivant la méthode de construction « à la chaîne » dite du « chemin de grue » (déplacements minimums et rectilignes des grues). Ainsi à Rome le « Corviale » est une immense barre de 957 mètres de long où logent plus de 8.000 habitants. Cf. Thierry Paquot, « Désastres urbains. Les villes meurent aussi », éd. La Découverte, 2015, p.44.

[32] Dans ces zones les opérations de « rénovation urbaines » aboutissent aussi à une élévation du tribut foncier, mais à partir de niveaux plus élevés que celui des terres agricoles : donc elles chassent et repoussent au loin vers les nouvelles zones urbaines périphériques les populations initiales au profit de plus riches prenant leur place.

[33] En France on peut citer par exemple Bouyghes, Vinci, Eiffage.

[34] Op. cité, p. 92-93.

[35] Un mu = environ 667 m2 selon Wikipédia.

[36] M. Davis, op. cité p. 93-94.

[37] Preuve, une fois encore, de ce que l’organisation capitaliste de l’espace reflète les rapports sociaux spécifiques de ce mode de production. Notons que cet accroissement des écarts concerne aussi les principales métropoles qui rivalisent pour attirer les fonctions dominantes du capital. Dans ce jeu concurrentiel certaines peuvent d’ailleurs perdre leur rang, tomber à un étage subalterne.

[38] Cf. T. Paquot, op. cité, p. 116.

[39] Selon le site politiquedulogement.com le coût foncier (incluant ici tous les coûts avant début de la construction : les divers frais de transaction, de « libération » du terrain (rachat de bâtiments, éviction, démolition, relogement), de réalisation d’éventuelles infrastructures), était, en France, en moyenne inférieur à 10% du coût global du logement au début du 20ème siècle, pour atteindre 25% au début du 21ème, mais pouvant alors « atteindre 50% dans les grandes villes, voire dépasser 60% parfois à Paris ». Quant aux prix des logements à Paris, ils ont plus que triplés dans les 20 dernières années.

[40] Cf. TT 2014.

[41] Cf. TT 2009 chapitre 2 et TT 2017.

[42] Et jusqu’à 3 heures par jour pour ceux des bidonvilles des mégapoles, aux moyens de transports publics inexistants ou défaillants.

[43] Cité dans Les Echos 27-12­17.

[44] Op. cité, p. 765. Selon les Echos (27-12-17) 10 km/h est la vitesse moyenne des véhicules dans le quartier de Manhattan aux heures de pointe.

[45] Voir en annexe la contribution de P. Meneton sur ce sujet.

[46] Selon la Commission Européenne (Le Monde 12-09-18).

[47] Selon une enquête sénatoriale (Le Monde 28-11-18).

[48] Hausse aujourd’hui très faible du fait du niveau très élevé déjà atteint par la mécanisation.

[49] On en connait l’exemple le plus flagrant qui est, qu’en développant sans cesse la productivité (le machinisme) pour augmenter ses profits, chaque capitaliste y réussit si bien que, tous ensemble, ils réduisent le travail vivant productif de pl au point qu’elle diminue. Chacun, à vouloir l’augmenter pour lui, a contribué à la faire diminuer pour tous.

[50] Philippe Muray, cité par J.P. Garnier dans Espaces et Sociétés n°134, p.67.

[51] Ce qui est particulièrement vrai des vastes zones pavillonnaires périurbaines qui se sont récemment étalées autour des métropoles (rien que sur les dix dernières années, 660.000 hectares de sols ont été artificialisés en France du fait de cet étalement, des autoroutes, des TGV, etc.). Si l’isolement peut être, là comme ailleurs, surmonté à l’occasion de luttes communes (exemple des « gilets jaunes » en France), il n‘en reste pas moins que l’individualisme et la mentalité de petit propriétaire, souvent endetté et en situation difficile et qui attend tout de l’Etat, exigeant de lui un capitalisme sans les tares inhérentes au capitalisme, sont stimulés par ce type d’urbanisme.

[52] Sauf quelques cas d’échecs, comme il y a aussi quelques cas inverses de réussites à partir du bas de l’échelle sociale.

[53] Cf. TT 2018.

[54] Jusque vers la fin du 19ème siècle, avant l’invention et l’expansion de l’ascenseur, la ségrégation sociale urbaine était, pour une part, verticale, dans chaque immeuble (les pauvres en haut dans les mansardes, les plus aisés aux premier et deuxième étages).

[55] Et on sait combien en France les urbains aisés qui le peuvent déploient d’efforts pour contourner la carte scolaire afin d’accéder aux plus réputées.

[56] Pour plus de détails, voir H. Marchal, J.M. Stebé, La France périurbaine, Que sais-je ? 2018. Citation tirée de la page 33.

[57] Voir Le cauchemar pavillonnaire, J.L. Debry, éd. L’Echappée, 2012.

[58] D’où une répartition des populations dite « en sablier » : Plus d’emplois dans les couches supérieures et inférieures, tandis que le milieu, composé d’ouvriers et employés qualifiés, petits entrepreneurs et artisans divers, petits fonctionnaires, et autres métiers dits « routiniers » par les sociologues, est amaigri. « Pour l’ensemble des pays de l’OCDE, en 20 ans l’emploi dans l’industrie a baissé de 23%, l’emploi dans les services domestiques a augmenté de 24% ». P. Artus. Les Echos 27.12.17.

[59] Notamment les épidémies de choléra. Celle de 1832 fit 18.602 morts rien qu’à Paris, et il fallut attendre la fin du siècle, 1892, pour la dernière. J.P. Flamand, op. cité.

[60] Voir TT 1996, chapitre 2, section 4.

[61] Cf. Xavier de Jarcy, Le Corbusier, un fascisme français, éd. Albin Michel, 2015.

[62] Les Echos, 14.01.19.

[63] Par exemple on a vu un des principaux promoteurs français, Nexity, se plaindre, fin 2018, au moyen de pages entières de publicité dans les journaux, de ce que « le prix du foncier a été multiplié par quatre en dix ans ».

[64] TPV, 2, 42. Et Marx, plus loin, enfonce le clou : « Comme le remarque James Mill, la production pourrait se poursuivre sans perturbation si le bénéficiaire de la rente foncière disparaissait et que l’Etat prenne sa place. Il – le propriétaire foncier privé – n’est pas un agent de la production nécessaire pour la production capitaliste, bien que, pour celle-ci, il soit nécessaire que la terre appartienne à quelqu’un – à condition que ce ne soit pas au travailleur – donc à l’Etat par exemple. » (TPV, 2, 167). Comme on le voit, Marx réaffirme une position constante : la nationalisation n’est pas synonyme de d’appropriation réelle par les individus associés des conditions de la production de leurs vies.

[65] Cf. TT 2006.

[66] Quand, dans le Manifeste du PC, il préconise comme mesure immédiate « l’expropriation de la propriété foncière et l’affectation de la rente foncière aux dépenses de l’Etat », ce n’est qu’en tant qu’elle est le début d’un processus au cours duquel cette mesure« se dépasse d’elle-même » (« d’elle-même » est évidemment discutable !); et c’est, surtout, à une date (1848) où il n’a pas encore étudié vraiment la question de la rente foncière.

[67] Journal du Dimanche, 25.11.18.

[68] Engels, La Question du Logement.

[69] En Ile de France, le RER A transporte 308 millions de voyageurs par an (augmentation de 20% en 10 ans) dans des rames se suivant toutes les 2 minutes aux heures de pointe.

[70] Le trajet domicile-travail dans l’agglomération parisienne est, en moyenne, de 100 minutes par jour.

[71] Les Echos, 04.12.18.

[72] Sur le caractère non écologique de la voiture électrique, voir G. Pitron, La guerre des métaux rares, éd. Les liens qui libèrent, 2018.

[73] A Paris la maire, Mme. Hidalgo, et ses alliés de gauche, écologistes compris, sont à compter parmi les champions toutes catégories des actes opposés aux discours écologiquement vertueux : nul avant eux n’a autant férocement et systématiquement bétonné et densifié la ville par tous les moyens, notamment en y détruisant des stades et des espaces verts, en y faisant construire toujours plus serré, et toujours plus haut (voir La folie des hauteurs. Pourquoi s’obstiner à construire des tours ? T. Paquot, éd. La Découverte, 2018). Hidalgo atteint un sommet de l’hypocrisie et de la propagande en publiant un livre intitulé « aérer Paris ».

[74] O. Sidler, Le Parisien, 07.08.18.

[75] Engels remarquait déjà, dans La Question du Logement, que : « C’est le caractère essentiel du socialisme bourgeois de chercher à maintenir la base de tous les maux de la société actuelle et de vouloir en même temps les abolir. » Avait-il lu Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » ?

[76] K. I, 3, 88.

[77] Voir TT 2011.

[78] I.A., p. 37.

[79] Ces zup étaient souvent issues des ZUP (zones à urbaniser en priorité) que nous avons évoquées chapitre 1.

[80] S. Graham, Villes sous contrôle, la militarisation de l’espace urbain, éd. La Découverte, 2012.

[81] De façon plus générale cette réorganisation de l’espace concernera évidemment la totalité de l’espace mondial, sera l’abolition de la segmentation capitaliste de cet espace (dont une analyse a été donnée dans TT 2003).

[82] I.A. p.49.

 

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