BREF REGARD SUR LE PASSÉ

CHAPITRE 1 du dernier livre de Tom Thomas « 2015 – Situation et perspectives »

Selon Marx et Engels, les bourgeoisies d’autrefois craignaient fort « un spectre qui hante l’Europe : le spectre du communisme ». Aujourd’hui encore elles ont et donnent du communisme une image d’autant plus diaboliquement spectrale qu’elles ont bien cru qu’il les anéantirait, et que la crise pourrait bien le faire sortir de sa léthargie.

En écrivant Le Manifeste du parti communiste en 1848, les deux amis démolirent ces « contes » débiles de la bourgeoisie. Ils le firent avec brio en montrant les fondements réels du communisme, ses caractéristiques générales, sa nécessité historique. Cependant, et pour son plus grand malheur [1], le mouvement communiste prit d’abord le pouvoir d’État dans des situations impossibles (l’éphémère Commune de Paris) ou terriblement défavorables (URSS, Chine) pour qu’il puisse aller jusqu’à son terme : l’abolition de la condition de prolétaire (qui est évidemment en même temps celle de la bourgeoisie). Autrement dit, l’abolition du rapport social spécifique de domination et d’appropriation qu’est le capital.

Ces conditions défavorables ne résidaient pas seulement dans l’isolement face à des forces bourgeoises nationales et internationales encore extrêmement vivaces et puissantes. Elles n’étaient pas seulement dues à une conscience plus ou moins erronée des situations, des nécessités et possibilités qui en découlaient. Elles étaient surtout dues au fait qu’il s’agissait de pays où la productivité du travail était encore très faible, où donc une quantité importante de travail contraint, industriel et agricole, était encore nécessaire. C’est-à-dire que l’immense majorité de la population, prolétaires et paysans pauvres, ne pouvaient pas disposer du temps libre nécessaire à ce qu’ils puissent, par une lutte de classe adéquate, s’approprier les conditions matérielles et intellectuelles de la production et de l’exercice collectif du pouvoir. Appropriation qui est le fondement d’une société communiste.

Marx et Engels avaient d’ailleurs lucidement prévu que dans de telles situations de pénurie, il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de sortir de la « vieille gadoue » de la domination du travail contraint, répulsif, aliénant, sur le peuple [2]. Mais, contrairement aux dires de certains théoriciens, ce n’est pas parce que ces premières tentatives étaient très difficiles que cela justifiait d’y renoncer, c’eût été trahir les intérêts les plus immédiats des peuples en lutte (tels que la paix, le pain, la terre, la répartition des richesses, de nouveaux pouvoirs, etc.). D’ailleurs ces révolutions furent non seulement héroïques, mais obtinrent des résultats considérables avant d’échouer complètement dans la poursuite d’un processus vers le communisme. « Il serait fort commode de faire l’histoire universelle si on n’engageait la lutte qu’à condition d’avoir des chances infailliblement favorables. » [3]

En URSS comme en Chine, on n’a pas assisté à l’échec du communisme : il n’y a jamais été atteint, loin de là, mais à l’interruption et à l’échec d’un processus révolutionnaire (sur la base du développement d’une bourgeoisie d’État) avant qu’il n’ait pu abolir, ni même profondément entamer les rapports sociaux capitalistes (notamment la division politico-sociale puissances intellectuelles/exécutants à laquelle la Révolution culturelle chinoise avait tenté, plus ou moins confusément, de s’attaquer). Que la bourgeoisie, via tous ses idéologues intensément mobilisés, occupant seuls tous les médias, n’ait cessé d’exploiter les tares et les crimes du soi-disant « socialisme réel » stalinien pour y amalgamer le communisme, c’est de bonne guerre. Mais comme la planète est aujourd’hui sous le joug d’États totalitaires et criminels, de mafias politico-financières à côté desquelles un Al Capone n’est qu’un petit amateur, ce serait donc qu’il y aurait des régimes communistes partout !

« L’anatomie de l’homme est la clef de l’anatomie du singe » [4]. Ce n’est pas tant le passé qui explique le présent, que le présent qui explique le passé, les développements modernes du capitalisme qui permettent de comprendre les situations antérieures. En particulier, c’est au vu de la diminution drastique, de l’épuisement de la quantité de travail social nécessaire à la production d’une masse énorme de produits les plus divers et les plus performants (pour une bonne part d’ailleurs superflus, voire nuisibles du point de vue du développement humain) qu’on peut réaliser combien les révolutions du xxe siècle étaient loin de pouvoir bénéficier de cette situation « d’abondance » (je préciserai plus loin) nécessaire au communisme. Elles devaient dès lors commencer par la créer (en inventant un procès de développement des forces productives compatible – et là était la grande difficulté – avec l’accroissement de la puissance politique et sociale des prolétaires maintenus nécessairement en tant que tels dans ces circonstances de « règne de la nécessité » [5]).

Dans la première moitié du xxe siècle, cette situation où dominait encore l’ampleur du travail contraint [6] était aussi celle, même si c’était dans une moindre mesure, des pays aux forces productives alors les plus développées. Finalement les circonstances ne pouvaient qu’engendrer un mouvement prolétaire qui peut être caractérisé aujourd’hui de globalement et majoritairement « réformiste ».

[1]  « La révolution pourrait venir plus tôt que nous le souhaiterions. Le comble du malheur, c’est lorsque les révolutionnaires doivent se soucier du pain des gens. » Lettre de Marx à Engels, 9 août 1852.

[2]  Cf. note 1. Ou encore : « Le développement des forces productives est une condition pratique préalable absolument indispensable, car, sans lui, c’est la pénurie qui deviendrait générale et, avec le besoin, c’est aussi la lutte pour le nécessaire qui recommencerait et l’on retomberait dans la même vieille gadoue. » (I. A., p. 33, note 1). Pour une discussion critique sur le processus révolutionnaire communiste dans les pays aux forces productives insuffisamment développées, voir T. Thomas, K. Marx et la transition au communisme, éd. Albatroz, Paris, 2000.

[3]  K. Marx, lettre à L. Kugelmann du 17 avril 1871.

[4]  K. Marx, Critique de l’économie politique, E. S., p. 169.

[5]  Sur l’opposition règne de la nécessité et règne de la liberté, cf. K., III, 3, 198-199.

[6]  « Ici encore le travail est la chose capitale, la puissance sur les individus, et aussi longtemps que cette puissance existera il y aura aussi une propriété privée. » (I. A., p. 49). Donc il y aura un mouvement prolétaire borné dans ce rapport social, un mouvement réformiste s’il accepte cette limite en ne s’engageant pas sur la voie de son abolition.

 


1 commentaire

  1. Sur le cas d’URSS.Le prolétariat n’a pris le pouvoir politique en Octobre.

    Dans touts les régimes politiques passés, la condition de subordination de l’Etat aux intérêts de la classe dominante est que les moyens de production sont toujours effectivement contrôlés par cette classe.Par exemple, sous le capitalisme, les entreprises sont soit contrôlés par les sociétés d’actions, soit par des familles.
    Et l’Etat est l’instrument subordonnée à ces intérêts.
    La division du travail productif et du travail politique était donc adaptée aux aux classes dominantes(capitalisme, féodalisme).

    Dans les tentatives de révolution prolétarienne passée, au siècle précédent, les moyens de production étaient contrôlés par des spécialistes d’Etat séparé du travail productif, étaient contrôlés par des membres dirigeants du Parti communiste.
    Cela créait une contradiction: le prolétariat doit prendre le pouvoir économique pour dominer politiquement mais, à cause de sa subordination à la division du travail, ce sont des intellectuels(les dirigeants du Parti) séparé de la condition de prolétaire, qui contrôlent effectivement les moyens de production « au nom du prolétariat ».

    Il est donc clair que la séparation des ouvriers de la direction de la production est une conséquence de la séparation du travail productif et du travail politique.Caractère de la classe prolétarienne hérité des régimes sociaux passés(féodalisme, capitalisme).

    Donc l’organisation du Parti communiste, du siècle précédent(et même de maintenant), porte en germe cette contradiction.

    Cette contradiction se manifeste au sein du prolétariat, par la séparation des ouvriers de la direction du Parti.

    C’est à dire que l’organisation du Parti communiste est calquée sur l’organisation des partis bourgeois(division entre travail productif et le travail politique aux seins des bourgeois) comme si les ouvriers détiennent(contrôlent) les moyens de production.C’est pourquoi, cet type d’organisation est adaptée à la bourgeoisie mais anéantie toute révolution communiste.

    Donc la révolution d’Octobre partait d’une base scientifique révolutionnaire erronée.L’organisation du Parti communiste, l’organisation de la classe prolétaire ne lui permettait pas d’être économiquement et politiquement dominant.
    Au lieu que l’Etat lui soit subordonnée, c’est elle qui était subordonnée à l’Etat(au corps d’intellectuels dirigeants issus du Parti) et cela à cause de la division entre le travail productif et le travail politique.

    Tant que cette division persiste, la prise de pouvoir du Parti communiste ne sera pas révolutionnaire jusqu’au bout.Le Parti se transforme en classe exploiteuse détenant les moyens de production et séparé du travail productif.

    La révolution actuelle nécessite donc que les ouvriers, employés,etc. fassent de la politique, non pas passif, mais doivent participer à la direction du parti sans renoncer à leur travail productif.

    Cette nécessite créera un nouveau type d’organisation politique en harmonie avec le travail productif des prolétaires.C’est cet organisation qui fera la révolution jusqu’au bout.

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    En ce qui concerne l’histoire économique d’URSS, la plus grande trahison du Parti communiste en URSS(sous Lénine même!) est le maintien artificiel de l’ancienne division du travail malgré la contradiction, démontré par Marx, entre la grande industrie et le travail spécialisé.A cela les membres de l’ancien Parti en URSS ou même la plupart des communistes communistes actuels(ou ne se posent même pas cette question fondamentale du communisme) disent :

    qu’il fallait d’abord augmenter la productivité(développer les forces productives) et ensuite diminuer le temps de travail pour augmenter le temps libre des travailleurs ! Et donc la suppression de l’ancienne division du travail est renvoyé à avenir lointain…très lointain.Cette théorie est une théorie intellectuelle petite-bourgeoise mais non communiste.

    Engels a répondu à cela dans l’antiduhring.
    En effet pour Engels et Marx lorsque touts les travailleurs participent au travail productif, le temps de travail est rendu à son minimum ce qui permet le libre développement des travailleurs pour supprimer l’ancienne division du travail.

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