DE LA SITUATION ACTUELLE

PREAMBULE

Le texte qui suit a été terminé d’écrire en octobre 2015, donc avant les carnages parisiens du 13 novembre. Il traite néanmoins de cette actualité, et c’est pourquoi je n’y ai rien changé lors de sa publication en décembre. Il en traite en ceci qu’il propose de rentrer dans le vif d’une situation que ces carnages n’ont fait que confirmer. Les questions qu’ils posent sont en effet : de quel terreau, de quel ventre sortent toutes ces bêtes immondes qui ravagent le monde contemporain, et pourquoi le ravagent-elles avec une sauvagerie et une ampleur qui ne cessent de croître[1] ? Partout en effet des guerres impérialistes, partout des populations écrasées, rendues chaque jour plus misérables, partout l’émergence de comportements et organisations néofascistes, de type FN ou Tea Party, ou théofascistes, de type Daech ou sioniste (du déjà vu dans les années 30).

Répondre à ces questions, c’est comprendre que ces faits sont des manifestations de la putréfaction avancée du monde capitaliste contemporain, dont ce texte rappellera les bases spécifiques), de son agonie qui ne trouvera de fin que dans l’abolition du capitalisme par une lutte révolutionnaire classe contre classe. Sans comprendre la situation du capitalisme contemporain, sans comprendre donc les racines de sa crise actuelle, on ne peut pas comprendre pourquoi ce monde plonge dans une telle barbarie, dans de telles catastrophes économiques, écologiques, militaires, politiques, éthiques. Et cela inéluctablement, sauf victoire de cette révolution. Sans comprendre le pourquoi fondamental, on ne peut évidemment pas trouver le comment y remédier.

Dénoncer les crimes et responsabilités des impérialismes, très bien. Etre contre l’union nationale que tonitrue la bourgeoisie, c’est à dire contre le soutien à ses agissements criminels contre les peuples, très bien. S’opposer aux différents fascismes, très bien. Mais en rester là, ce serait se contenter de renvoyer dos à dos les différents barbares. Ce qui évidemment ne résout rien. Le plus important est d’agir sur la cause profonde de la putréfaction dont les multiples catastrophes et sauvageries contemporaines sont une manifestation. Et pour cela, il faut d’abord la mettre à jour, ce pour quoi le petit texte qui suit constitue un rappel et une confirmation.

RESUME DE L’ANALYSE DE LA SITUATION DU CAPITALISME CONTEMPORAIN

En effet, ce court texte a pour objet de montrer que les derniers développements apparents de la crise, sur tous les plans, économiques, sociaux, politiques, idéologiques confirment la véracité de ses causes et caractéristiques essentielles, ainsi que de l’impossibilité d’en sortir sans sortir du capitalisme, tel qu’il m’a été possible de le montrer[2] grâce et sur la base des travaux de K. Marx. Confirmation magnifique du génie de Marx pourrait-on dire, si ce n’était aussi catastrophique quant à l’avenir immédiat.

Pour vérifier cette confirmation il convient d’abord de rappeler, très brièvement, les principales conclusions de cette analyse.

1) Il ne s’agit pas seulement d’une crise de suraccumulation de capital/sous-consommation des masses telle que le capitalisme en a déjà connue (notamment dans les années 30), s’accompagnant d’un blocage provisoire de la valorisation du capital (de son accumulation, de la « croissance »). Mais que ce blocage, ou quasi blocage, n’est plus surmontable parce que – situation historiquement nouvelle – le capitalisme, au terme de deux siècles de gains de productivité spectaculaires, en est arrivé à une telle accumulation de capital fixe, d’une machinerie hautement automatisée, qu’il a, du même coup, provoqué un épuisement de la quantité de travail social employé dans la production de plus-value (laquelle, on le sait, est « automate », c’est-à-dire inhérente au mode de production capitaliste).  Autrement dit, il a provoqué une évanescence de la valeur (qui est cette quantité), donc du capital, qu’il soit sous forme moyens de production, marchandises, argent.

Bien évidemment plus la valeur est faible, plus tend à être faible sa valorisation, seule base réelle de la croissance capitaliste. Jusqu’au point, que justement cette crise révèle être atteint, où cette croissance s’étiole, stagne, s’arrête, puis devient décroissance (destruction nette de capital), sans espoir de reprise autre que fugace, simple soubresaut dans cette tendance générale.

Toutefois cette tendance irrémédiable à l’évanescence de la valeur et à l’épuisement de la valorisation[3] n’est pas en elle-même suffisante pour abolir le capitalisme. En effet l’essence du capital est d’être un rapport d’appropriation spécifique, matériel et intellectuel, tel que tant qu’il existe, existe aussi nécessairement sa conséquence, aussi antagonique soit-elle devenue avec lui, qui est le capital comme valeur se valorisant, devant se valoriser à tout prix. Exigence absolue, condition incontournable de la reproduction de « la société » (capitaliste bien sûr), dont les exécutants, tous appelés par Marx « les fonctionnaires du capital », sont non seulement privés, mais plus encore les Etats. Loin d’être naturelle, « l’économie » est historique et politique.

2) Ces fonctionnaires vont donc agir, avec une détermination, une violence, un extrémisme, d’autant plus grands que la situation du capital est catastrophique, sa reproduction, et partant celle de la société qu’ils chérissent, qui est leur Eden, de plus en plus problématique. Ils le feront au nom de la « réalité », en fait celle des conditions d’existence de cette société particulière. Par exemple le profit et la compétitivité, comme soi-disant conditions et stimulants indispensables de l’initiative, de la croissance et du progrès, sont, entre autres arguments fallacieux, la justification de tous les coups qu’ils assènent aux prolétaires. Compétitivité, le mot fait sportif, dynamique, mais ce n’est rien d’autre que la vieille concurrence entre capitaux jouant son rôle de gendarme (un facteur externe au procès de production) obligeant les fonctionnaires du capital à l’application pleine et entière de l’exigence la valorisation maximum (phénomène interne à ce procès) sous peine d’être eux-mêmes éliminés en même temps que le capital qu’ils représentent, personnifient. Pour ce faire ils vont mettre en œuvre les deux principales catégories de mesures suivantes :

2-1) Tenter de suppléer au déclin des gains de plus-value obtenus par les gains de la productivité, maintenant très ralentis, par une augmentation de ceux obtenus par une dégradation systématique de la condition prolétaire : chômage total et chronique pour beaucoup, et pour les autres, baisse des salaires et prestations sociales, augmentation de la durée et de l’intensité du travail, précarité, flexibilité, etc. C’est une politique qui, en termes scientifiques, marxistes, cherche à suppléer le déclin de l’extraction de la plus-value sous sa forme relative, par un renforcement de son extraction sous sa forme absolue[4].

2-2) Procéder à une émission massive de crédits quasiment gratuits (autrement dit création monétaire massive), pour sauver le système financier, en urgence après le krach de 2008, puis régulièrement dans l’espoir qu’ils alimentent investissements et consommation, et aussi une inflation susceptible de faciliter le remboursement des dettes.

3) Toutes les tentatives de revigorer le procès de valorisation qui s’épuise se passent évidemment dans le cadre du capitalisme contemporain, c’est-à-dire mondialisé. Un capitalisme d’impérialismes non plus coloniaux (à l’exception notable d’Israël), comme jusqu’après la 2ème guerre mondiale[5], mais de collaboration avec les bourgeoisies au pouvoir dans les pays dominés, tandis que les inéluctables rivalités entre impérialismes, plus vives avec la crise, sont aussi contradictoirement quelque peu contrebalancées par le fait que la dite mondialisation exige aussi un ordre mondial (que les USA peinent aujourd’hui à contrôler seuls), d’où l’ébauche d’un impossible Etat mondial (organismes internationaux type ONU, FMI, etc., tentatives de gestion commune de certains problèmes mondiaux, type G20, COP21, etc.).

Plus la crise de la valorisation se développe, et plus les puissances impérialistes accroissent leur pression sur les peuples dominés. Les plus récalcitrants sont soumis à des blocus (Cuba, Iran), à des sanctions financières ruineuses (Argentine, Grèce), et, de plus en plus, des expéditions militaires massivement meurtrières (Serbie, Moyen Orient, Afrique, etc.).

Avec la crise, la concurrence n’est plus seulement le gendarme qui oblige le fonctionnaire du capital à rechercher le profit maximum. Elle est de plus en plus le militaire qui doit tuer tout ce qui gêne ou s’oppose à cette exigence : le révolté, mais aussi le rival.

4) Cette concurrence accrue entre capitaux génère une concurrence accrue entre les salariés du monde entier (mondialisation oblige) pour la vente de leur force de travail. Au nom de cette concurrence baptisée compétitivité, les fonctionnaires du capital exigent des travailleurs qu’ils acceptent une dégradation profonde de leurs conditions de travail au prétexte qu’ils se sauveraient en se sacrifiant pour « leur » entreprise, et « leur » Nation par-dessus le marché. C’est dire qu’ils exigent qu’ils rivalisent – voire qu’ils se combattent – et acceptent ces politiques dite « d’austérité », pour le plus grand bien de ceux qui les exploitent et s’engraissent à leurs dépens. Ce que beaucoup acceptent effectivement encore, en s’imaginant sauver leur peau, avant de s’apercevoir qu’ils n’obtiennent, au mieux, outre cette dégradation, qu’un petit répit pour quelques-uns dans la dégringolade pour tous, y compris eux finalement.

Voilà, très succinctement résumé en ces quatre points, l’état général de la situation du capitalisme contemporain et de l’offensive qu’il mène en conséquence contre les peuples, et particulièrement les prolétaires. Nous verrons, dans un texte ultérieur, ce que cette situation permet déjà de dire quant à la réponse qu’il est possible et nécessaire d’y apporter. Et, évidemment, cette réponse, selon qu’elle corresponde ou pas à cette situation, aux nécessités et possibilités qu’elle implique, constitue l’élément essentiel de son évolution : communisme (qui peut, pour la première fois dans l’histoire, devenir réalité) ou barbarie (déjà souvent réalisée, et qui est en cours de se réaliser à nouveau, décuplée, sous nos yeux).

Cette réponse constitue bien sûr un cinquième point s’ajoutant aux précédents puisque le niveau de la lutte de classe fait évidemment partie de la situation du capitalisme. Il faut donc rappeler ici un fait important la concernant qui découle immédiatement de l’analyse de la crise ci-dessus résumée et confirmée. Il est que les bases matérielles de l’idéologie et de la politique réformistes, dites « de gauche », qui ont jusqu’ici dominé le mouvement prolétaire, sont sapées. En effet la croissance du capitalisme moderne, fondée sur des gains de productivité[6] qui avaient permis pendant un temps (les dites « 30 glorieuses »), d’augmenter à la fois les profits, l’emploi, et le niveau de vie matériel des salariés, est maintenant bloquée. Donc le type de luttes prolétaires qui, autrefois, pouvaient obtenir ce type d’avantages, lesquels donnaient « du grain à moudre » aux syndicats et partis « de gauche » pour conforter leur influence sur les prolétaires, ne peuvent plus aujourd’hui, au mieux, qu’être défensives, c’est-à-dire freiner momentanément la tendance inexorable à la dégradation continue de la condition de prolétaire, et, au-delà, de la petite bourgeoisie aussi.

Cependant la situation idéologique de la majorité des masses populaires, prolétaires y compris, est de croire encore plus ou moins à cette possibilité réformiste[7]. Dans l’atmosphère de concurrence accrue qui prévaut, cette possibilité, sinon d’améliorer leur niveau de vie du moins de stopper sa dégringolade, leur semble passer par la nécessité de refuser cette concurrence mortifère. Mais, vivement poussés en ce sens par les politiciens « extrémistes », ils pensent pouvoir réaliser cette réelle nécessité par le protectionnisme, le nationalisme et, finalement, la xénophobie, et le mythe d’un Etat qui, gouverné par ces « extrémistes », dompterait le capital alors qu’il est, par essence, son serviteur suprême. Ils pensent donc abolir la concurrence dans le cadre même du capitalisme qui en est la cause, alors qu’elle ne peut être abolie qu’en lui opposant l’association des prolétaires de tous les pays contre le capital. Aussi l’opposition entre ces étatistes et les dits libéraux qui, eux, affirment, plus véridiquement, que le capitalisme n’a pas d’autre solution, dans la situation où il est, que toujours plus de sueur, de sang et de larmes, et après l’avenir sera meilleur, n’est qu’une opposition de pacotille.

L’idée qu’une autre voie est possible qui peut aboutir à l’abolition d’un capitalisme sénile devenu terriblement mortifère se fonde sur un fait contemporain historiquement nouveau. Il est, quelque peu caché mais bien réel, que gisent dans les causes objectives mêmes de la crise du capitalisme les potentialités matérielles permettant de construire une société communiste[8] (ce qui n’a rien à voir, il faut le redire, avec les sociétés qui se sont baptisées comme telles, et qui, en URSS ou en Chine n’avaient fait que des premiers pas dans ce sens, avant Staline, avant Deng Tsiao Ping).

Tous ces rappels faits, nous pouvons passer maintenant à l’objet de ce document : montrer que les analyses des causes de la crise sont entièrement confirmées par les faits qui ont pu être observés ces derniers temps, et qu’en les ignorant les divers fonctionnaires du capital n’ont pu que préconiser et administrer des remèdes qui, non seulement furent inefficaces, mais, pire, aggravèrent, et aggravent toujours, l’état du malade.

CONFIRMATIONS

En effet, nombre d’économistes officiels ont été amenés à constater, dans le plus grand désarroi, qu’aucun des remèdes supposés mettre fin à la crise ne fonctionne, bien qu’ils soient tous appliqués avec une ampleur exceptionnelle et une brutalité sans frein. Mais leur sagacité s’arrête, pour les moins aveugles, à ce constat dépité que cela signifie que leurs prescriptions ne s’attaquaient nullement aux racines de cette crise. C’est que, abominant Marx pour le contenu et les conséquences révolutionnaires de son œuvre, ils ignorent du même coup, par intérêt et idéologie de classe, ce qu’est le capital, ce que sont ses contradictions, comment elles évoluent en antagonismes, et donc ignorent le vrai remède à cette crise : d’où leur désarroi.

Vérifions d’abord succinctement la réalité de l’application entêtée des remèdes appliqués avant d’en voir les résultats.

1) Ampleur exceptionnelle de l’accumulation des dettes. Selon la CNUCED (ONU), l’endettement de tous les acteurs économiques (Etats, collectivités locales, entreprises, ménages) a progressé de 57.000 milliards $ de 2007 à 2014 (soit + 40%) pour atteindre un cumul de 199.000 Mds $. Lequel sera dépassé en 2015 puisque la politique des principales Banques Centrales (FED, BCE, Japon, Angleterre, etc.) continue à être d’inonder les marchés de liquidités. Il s’agit, notamment des programmes dits de « Quantitative Easing » (QE) par lesquels les dites banques rachètent massivement des titres d’Etat[9] (et aussi, hors QE, d’entreprises). Ou encore, autre forme de création monétaire massive, elles ont offert, et offrent toujours, aux banques des crédits quasi gratuits en quantité quasi illimitée. Tout ceci peut se résumer en quelques mots : une gigantesque émission monétaire.

2) Continuation des offensives généralisées d’aggravation de l’extraction de la plus-value sous sa forme absolue. Là il s’agit de faits systématiques, au nom de la « rigueur », de la « compétitivité », de la « mondialisation », de cette « réalité » qui est celle des lois du capitalisme, sur lesquels il n’est pas besoin de revenir ici tant ils sont le vécu immédiat des prolétaires, celui de la dégradation sans cesse accrue de leur quotidien : baisse des revenus salariaux et prestations sociales, augmentation de la quantité de travail à fournir (aussi bien en intensité quotidienne et annuelle qu’avec le recul du départ en retraite) pour ceux qui en ont un, multiples mesures dites de « flexibilité », « suppression des rigidités du droit du travail » (quand il y en a un !), chômage de masse (partiel et total), etc. « Vos sacrifices d’aujourd’hui sont nos bénéfices de demain, et vos miettes d’après la saint glin-glin ».

3) Dégradation particulièrement brutale de la situation des peuples des pays dominés par les principales puissances impérialistes. La concurrence décuplée par la crise oblige les multinationales à accentuer leurs pressions sur leurs sous-traitants dans les pays à bas coûts salariaux pour qu’ils les abaissent encore davantage[10]. Cela jusqu’à provoquer des masses de morts chaque année, connues (comme, par exemple, dans les effondrements d’immeubles des sous-traitants du textile au Bengladesh), ou, pour la plupart, passées sous silence (maladies létales, famines, pollutions, etc.).

A cela s’ajoute que beaucoup de ces pays se situent dans la chaîne mondialisée et segmentée de valorisation des capitaux comme simple fournisseurs de matières premières. Leurs prix s’effondrant avec la crise, c’est une paupérisation accrue de ces peuples qui en découle, tandis que s’y exacerbent les rivalités entre différentes fractions bourgeoises, s’appuyant souvent sur différentes communautés ethniques ou religieuses, pour le partage de ce qui reste du butin de l’exploitation de ces matières premières. Rivalités qui, avec l’aggravation de la crise, dégénèrent en conflits armés, qu’exploitent, après les avoir souvent stimulés eux-mêmes, les différentes puissances impérialistes elles-mêmes rivales. D’où des guerres, mélanges de guerres civiles et impérialistes, d’ampleur et de létalité grandissantes.

Restons-en à ce bref et sommaire panorama des actes des fonctionnaires du capital pour tenter de surmonter la crise. Et constatons, avec eux d’ailleurs, qu’effectivement rien n’y fait : la croissance (la valorisation du capital, son accumulation) ne repart pas. Ceci alors même que tous les économistes officiels se félicitaient de ce que les conditions qu’ils avaient déclarées être celles de la reprise étaient réunies. Par exemple en Europe ou au Japon : crédit abondant et quasi gratuit, monnaies faibles facilitant les exportations, cours des matières premières, et notamment du pétrole, effondrés. Mais cet exceptionnel « alignement des planètes », selon leur expression, n’a nullement provoqué ce boom de la croissance que leurs théories économiques promettaient. Bien au contraire. Observons en effet maintenant quelques-uns des résultats auxquels ces fonctionnaires sont parvenus.

Commençons par l’émission monétaire massive. Où sont passés, à quoi ont servi ces monceaux d’argent émis par les Banques Centrales ?

Il n’est pas très difficile de le savoir : les économistes officiels le savent eux-mêmes puisque cela fait partie des phénomènes apparents à la surface que sont les mouvements et rapports des choses (prix, salaires, profits, taux de change, rapports offre/demande, etc.) à quoi se bornent leurs études. Ces milliards sont allés, via le système financier, dans les caisses des Etats à titre d’emprunts pour combler leurs déficits budgétaires, dans celles des banques dont les bilans devaient être purgés des créances irrécouvrables, et aussi dans les entreprises, les plus grosses surtout, qui empruntaient quasi gratuitement cette manne. Mais là (pas plus que dans les mains des banques et des Etats) ils n’y ont guère été transformés en investissements productifs, ce qui était un des buts de l’émission monétaire. Ils y ont essentiellement servi à gonfler artificiellement (c’est-à-dire sans que cela corresponde à une augmentation de la plus-value) les revenus versés aux actionnaires, aussi augmentés[11] du fait que la plus grande part de la plus-value obtenue n’a pas été reconvertie en investissements (en capital additionnel) mais distribuée sous forme de dividendes. Un autre usage de ces milliards, fort prisé des financiers et rentiers, a consisté à ce que les entreprises rachètent leurs propres actions pour les annuler, ce qui augmente mathématiquement le bénéfice par action et fait monter, ou freine la descente de leur cours boursier, mais n’alimente évidemment pas la croissance (c’est au contraire une destruction de capital, un désinvestissement). Ainsi, par exemple, environ 70% des énormes flux de liquidités émises par la FED (banque centrale US) ont servi à alimenter les dividendes et rachats de titres. Mais ce ne sont pas des manœuvres pouvant se répéter longtemps.

Une autre partie de ces flux mondiaux alimente une concentration accrue du capital par le biais de fusions/acquisitions mobilisant des dizaines de milliards de dollars. Ce qui ne crée évidemment aucune capacité de production supplémentaire, mais des gigas mastodontes qui accroissent le caractère oligopolistique du capitalisme mondial et la concentration des richesses dans un nombre d’individus de plus en plus petit et toujours plus riches.

Finalement, le plus caractéristique de tout ça, et qui inquiète les économistes officiels eux-mêmes, c’est la dégradation massive et généralisée de l’investissement destinés à accroître les moyens de production, c’est cette stagnation de l’accumulation du capital qu’impliquent ces opérations financières. Pour prendre l’exemple des USA, première puissance mondiale, en 2014 les 500 premières entreprises US (classement Standard and Poor’s 500) ont fait 1000 Mds $ de bénéfices opérationnels, et en ont reversé 903,6 Mds à leurs actionnaires sous forme de dividendes (350,4 Mds) et de rachats d’actions (553,2 Mds). Donc 90% des bénéfices n’ont pas été réinvestis, mais distribués. Ce qui prolonge une tendance qui accompagne l’aggravation de la crise depuis longtemps (ce ratio ressort en moyenne à 85% depuis 1998).

Ainsi les flux de liquidités émises par les Banques Centrales, par l’usage qui vient d’en être rappelé (sans parler ici des trafics illégaux, maffias, corruptions, et autres spéculations frauduleuses en constantes et spectaculaires augmentations), ont pour résultat la création d’une nouvelle bulle de capital financier fictif, et bien plus gigantesque encore que la précédente qui a éclaté en 2007. Il va de soi en effet que la valeur de titres de dettes des Etats, comme celle de titres boursiers, soutenue par cette immense création monétaire ex-nihilo et non par la création d’une réelle richesse, n’est qu’une valeur fictive, ne correspond qu’à du capital financier fictif.

C’est au point que cette fictivité apparaît parfois, pour une part, ouvertement. Par exemple quand des Etats ne sont plus capables de rembourser leurs dettes (Grèce pour le cas le plus récent), ce qui est d’ailleurs en réalité le cas de presque tous qui font de la cavalerie[12] pour le masquer. Ou, autre exemple, si on regarde le gonflement des cours boursiers qui, malgré les manœuvres citées ci-dessus pour doper les dividendes, ont amené le rendement des actions[13] à des niveaux historiquement faibles. Les CCR sont deux à trois fois supérieurs à ce qu’ils étaient avant 2007. On assiste alors à des phénomènes paradoxaux, tel que, par exemple, sur les trois années 2012-2014 les bénéfices des entreprises de la zone euro ont chuté de 7% environ quand, dans le même temps, le cours des actions a augmenté de 40%. Ou encore, le rendement des actions des 500 premières entreprises US (Standard and Poor’s) a été de 1,87% en 2014 contre une moyenne de 4,41% sur les 130 dernières années. C’est évidemment cette dégradation des taux de profit qui entraîne celle des investissements rappelée plus haut.

Cette énorme bulle de capital fictif ne pourra, sous peu, qu’aboutir au même résultat que les précédentes : le krach. Il y aura néanmoins deux éléments nouveaux concernant cette bulle et son krach : 1°) son ampleur, qui est, elle, sans précédent, 2°) l’impossibilité pour les Etats d’empêcher qu’il ne tourne immédiatement en débâcle généralisée du système financier puisque leurs Banques Centrales ne pourront plus utiliser la planche à billets du fait que, justement, ce krach sera non seulement la constatation de l’inanité de ce moyen, mais, bien pire encore, qu’il a été un remède qui n’a fait que reculer un peu les échéances au prix d’une formidable aggravation du mal par le gigantesque accroissement de la masse de capital fictif et parasitaire auquel il a donné lieu. Comme si on avait voulu soigner un drogué en lui donnant toujours plus de drogues. Jusqu’à l’overdose fatale donc !

Or, puisque ce système financier est inhérent autant qu’indispensable au système capitaliste moderne, dont le crédit est un fondement, son écroulement sera un séisme généralisé. Monceaux de créances irrécouvrables, faillites en chaîne, effondrement des monnaies, destructions massives de capitaux, misère et chômage décuplés seront au programme, ainsi que leurs conséquences : conflits sociaux exacerbés, guerres, dictatures. Cela du moins si un mouvement révolutionnaire organisé pour l’abolition du mode de production capitaliste ne s’y oppose pas. Ce qui, hélas, ne semble pas pouvoir advenir suffisamment rapidement. D’ailleurs ce « programme » catastrophique se développe déjà partout, comme le montrent par exemple la multiplication des guerres au Moyen Orient, en Afrique, l’augmentation considérable des dépenses militaires partout dans le monde[14], la suppression rapide des droits démocratiques là où ils existaient encore un peu, la montée des théofascismes religieux (islamique, mais aussi, depuis longtemps, sioniste, ou encore, moins sanguinaire pour le moment, chrétien) comme des néofascismes « traditionnels ». Tout cela sont des signes évidents de la sénilité du capitalisme, que l’analyse de sa crise a mise à jour, qui, en pleine déliquescence, ne peut se survivre (ne peut reproduire le capital, le procès de valorisation) que dans sa putréfaction s’aggravant en permanence, du moins tant qu’une révolution politique ouvrant la voie vers une société communiste vraie n’y mettra pas un terme.

Les politiques dites « d’austérité » d’augmentation de l’extraction de la plus-value sous sa forme absolue, rappelées ci-dessus, entrent évidemment dans le cadre de ces politiques fascisantes ou déjà fascistes. Observons donc maintenant les résultats de ce deuxième type de « remède » à la crise après l’avoir fait de la politique monétaire.

Il s’agit de ce que les économistes officiels, pas toujours dupes des recettes faciles et miraculeuses de la planche à billets, rappellent être la nécessité d’un « retour aux fondamentaux », « aux réformes structurelles », à savoir à l’extraction d’une réelle plus-value pour valoriser et reproduire le capital (et la société capitaliste). Ils adjurent les Etats, avec le chœur des capitalistes actifs[15], de mettre en œuvre de vastes « réformes structurelles », c’est-à-dire qui dégradent profondément le rapport salarial au détriment des salariés. Or ces politiques « d’austérité »[16], de « flexibilité », d’intensification du travail, de destruction des droits des travailleurs et de leurs « acquis » sociaux, sont inefficaces à relancer la production de plus-value et la croissance de l’accumulation du capital, pour plusieurs raisons :

1) La réduction de la masse salariale qu’entrainent les mesures d’austérité, stimulée par l’utilisation de la hausse du chômage, de l’immigration, des délocalisations qui accroissent, à l’échelle mondiale, la concurrence pour la vente de la force de travail, aboutit évidemment à abaisser la consommation, et donc la production. Ainsi ce que doit impérativement faire, obligé par la concurrence, chaque capital pour survivre dans cette crise, c’est-à-dire abaisser ses coûts de production, finit par nuire à l’ensemble du capital global.

2) Dans le capitalisme contemporain, la faiblesse de la masse salariale relativement à l’importance du capital fixe (machinerie) dans le procès de production de la plus-value rend beaucoup moins efficace que dans le passé, quant à cette production, l’élévation du taux d’exploitation des prolétaires encore employés (ceci d’ailleurs quelles que soient les modalités d’extraction de cette plus-value, absolue ou relative).

3) Cette exploitation se fait beaucoup plus ouverte, visible et brutale quand les moyens utilisés sont ceux de l’extraction de la plus-value sous sa forme absolue[17]. Donc elle suscite des résistances également plus fortes et plus violentes de la part des prolétaires (et autres couches populaires). Ce qui ne veut pas dire cependant spontanément ni nécessairement anticapitalistes, car, sous l’effet de l’idéologie dominante, (qui a de fortes bases matérielles sur lesquelles s’appuie la propagande bourgeoise, qui dispose de sa possession dictatoriale de tous les médias de masse et d’une flopée d’intellectuels stipendiés pour sa diffusion), nombreux, et même très majoritaires pour le moment, sont les prolétaires qui placent encore leurs espoirs dans l’utopie d’un « autre » capitalisme, d’un autre gouvernement (de type FN pour certains) qui renforcerait l’Etat et saurait l’utiliser pour contraindre le capital, nommé « l’économie », à servir « les hommes », le peuple, la nation, la patrie !

Cependant, il est un autre résultat de ces politiques d’austérité, positif celui-là, qui concerne particulièrement les pays développés : la confirmation de la disparition d’une base importante de l’hégémonie de cette vieille idéologie dite «de gauche ». Comme rappelé ci-dessus, c’est celle qui existait quand le capital était dans une phase de croissance fondée sur des gains de productivité suffisants pour permettre d’augmenter les profits tout en concédant, plus ou moins en fonction de la pression gréviste, des améliorations du niveau de vie matériel des travailleurs. Ce qui nourrissait leur espoir d’une amélioration graduelle de leur condition par la seule voie de la lutte salariale, de la médiation des appareils syndicaux et du vote « de gauche ». Or la confirmation de l’analyse des caractéristiques historiquement spécifiques du fondement de la crise de reproduction du capital, telle qu’elle a été faite ci-dessus, confirme aussi l’inanité de cet espoir. En effet, les gains de productivité ont été laminés car, du fait de leurs rendements décroissants, ils intéressaient beaucoup moins les fonctionnaires du capital. Ce qu’ont enfin fini par reconnaitre de nombreux économistes officiels : « la faible croissance est essentiellement due à la grande faiblesse des gains de productivité, de l’ordre de 0,6% par an seulement »[18] ; « il n’est désormais plus possible de nier le ralentissement de la productivité, ressort premier du dynamisme économique »[19].

On connait bien la cause essentielle de cette situation : le haut degré de mécanisation de la production déjà atteint qui, ayant considérablement réduit la part du travail vivant productif de plus-value relativement à celle de la machinerie, rend finalement de moins en moins intéressant, en terme de rendement financier, un nouvel accroissement de la mécanisation puisqu’il coûterait trop par rapport à l’économie de main d’œuvre qu’il permettrait. C’est toujours ce phénomène d’évanescence de la valeur, que nous avons affirmé comme la caractéristique fondamentale de la situation du capitalisme contemporain, qui est confirmé par cet effondrement structurel des gains de productivité. Et tout ce mouvement n’est pas terminé puisque, poussés par une concurrence exacerbée[20], les capitalistes sont malgré tout, obligés d’automatiser encore un peu les procès de production même si cela ne leur procure finalement que des rendements décroissants. C’est que, l’installation de robots dans les usines est facilitée par le fait que leur coût diminue tout en étant plus efficaces. C’est que la diminution de la valeur concerne aussi bien celle des moyens de production que celle des biens de consommation (donc de la valeur de la force de travail, de plus employée en moindre quantité du fait de la robotisation). D’où cet apparent paradoxe : l’abaissement de la valeur des facteurs de la production (machinerie, approvisionnements, main d’œuvre) n’entraîne ni augmentation de la plus-value (sauf entreprise particulière et provisoirement, sous forme de plus-value extra), ni reprise de la croissance. Cela contrairement à toute l’histoire du capitalisme jusqu’à cette crise. Paradoxe qui est en fait la confirmation de ce que les difficultés de la valorisation ne trouvent leur explication que comme étant la conséquence de l’évanescence de la valeur.

Des futurologues voient le proche avenir ainsi : « le parc de machines devrait croître de 10% par an dans les 10 prochaines années » (Le Monde, 30/09/15) et « les coûts de production baisser de 20 à 25% » en Chine, « d’un tiers » aux USA, Allemagne, Corée du Sud, etc. « Un rapport de l’université d’Oxford concluait que 47% des emplois américains disparaîtront dans les 20 prochaines années à cause de la robotisation. Cette sombre prédiction est confortée par les 44% des sociétés américaines qui ont réduit leurs effectifs depuis 2008 en automatisant leurs méthodes. » (Les Echos, 09/06/15). « Selon une étude qui fait autorité, 50% des emplois sont menacés de numérisation » (D. Cohen, une des stars médiatiques française de l’économie, in Libération 04/09/15). Et le numérique, ça coûte pas cher ! Toutefois, 1) toutes ces prévisions sont celles de « spécialistes » qui se sont très souvent trompés, et 2) qui le peuvent encore ici parce qu’ils oublient que, dans les dix prochaines années, le système capitaliste sera dans de telles difficultés et déboires, s’il n’a pas été renversé avant, qu’il n’aura sans doute pas pu mettre œuvre tous ces potentiels développements robotiques. Lesquels ne touchent pas que les secteurs industriels ou agricoles, mais aussi les prolétaires du secteur dit « tertiaire » (communications, finance, commerce, administration, etc.)

Quoi qu’il en soit de l’ampleur de cette robotisation, le phénomène d’évanescence de la valeur est ainsi avéré par ces économistes officiels, bien qu’ils ne le sachent pas tout comme Mr. Jourdain ne savait pas qu’il faisait de la prose.

Il est encore avéré par un autre fait : une inflation proche de zéro des prix nominaux des marchandises alors même qu’une émission aussi massive de « liquidités » aurait dû, en toute logique selon la théorie économique officielle, la faire croître considérablement[21]. Ce qui n’a pas eu lieu puisque les flux de la création monétaire ne sont pas allés dans l’économie « réelle », mais dans les titres financiers (hyper inflation de capital fictif).

D’ailleurs cette inflation quasi nulle des prix nominaux est en fait le résultat actuel d’une diminution continue de l’inflation depuis cinq ans environ, c’est à dire d’une tendance à la déflation. Au point qu’il arrive à des financiers, chose jamais vue, de placer leur argent à des taux d’intérêt nominaux négatifs auprès d’emprunteurs considérés comme sûrs, toujours solvables (Etats, Banques Centrales). Le mieux que ces créanciers espèrent, c’est que ce rendement négatif, par exemple -0,5%, soit inférieur à la déflation qu’ils perçoivent et escomptent déjà : si celle-ci est, par exemple, de 2%, ils considéreront, à juste titre, bénéficier d’un taux réel de 1,5%. Or déjà environ 35% de l’encours des obligations dites souveraines (celles des Etats) offraient de tels rendements négatifs début 2015. Cette tendance déflationniste est suffisamment nette pour que certains économistes commencent à s’alarmer de la « vague déflationniste qui déferle actuellement sur la planète […..] (et qui) menace d’installer le monde dans une ère glaciaire. »[22] Car elle signifie effectivement la dévalorisation des capitaux, réels et fictifs, la destruction de nombre d’entre eux, l’explosion du système des crédits, avec des dettes devenues d’autant plus irremboursables que leurs montants à l’échéance seraient augmentés par cette déflation.

Evidemment, les prix peuvent varier en fonction de l’offre et de la demande. Et une reprise momentanée de la croissance pourrait créer de l’inflation, notamment à partir d’une hausse des prix des matières premières (pétrole, gaz, minerais, etc.), laquelle hausse laminant davantage consommation et profits ne durerait pas. De toute façon la tendance de fond est bien déflationniste puisque, comme nous l’avons vu, les coûts de production et la valeur des marchandises ne cessent de baisser avec les perfectionnements de la machinerie. D’ailleurs, cette tendance s’accélère avec la crise puisque l’exacerbation de la concurrence qu’elle implique ne laisse subsister, dans chaque branche, que les entreprises qui y ont les plus bas coûts de production, notamment salariaux. Cette tendance déflationniste, n’est pas autre chose qu’une autre manifestation de cette érosion, de cette évanescence de la valeur en général.

On peut tirer trois conclusions de l’actualisation de la situation du capitalisme contemporain qui vient d’être présentée dans les pages ci-dessus.

1) Elle constitue une confirmation éclatante de l’analyse de cette situation proposée dans de précédents ouvrages sur la base des travaux scientifiques de K. Marx. Notamment que la racine la plus profonde, la plus essentielle et la plus caractéristique de la crise actuelle se trouve dans l’abaissement drastique de la quantité de travail social que le capital général peut employer (c’est-à-dire avec un taux de profit suffisant). Autrement dit dans l’évanescence de la valeur.

2) C’est par là même une confirmation magnifique de la véracité de l’analyse faite par Marx du mode de production capitaliste. Laquelle l’avait notamment amené à cette conclusion que le capital était « contradiction en acte » puisqu’en développant sans cesse la productivité, l’efficacité (la valeur d’usage) de la machinerie, il sapait lui-même son existence de valeur se valorisant par le travail vivant.

3) Hors de se baser sur cette théorie, c’est-à-dire hors de son application à l’analyse concrète de la situation concrète du capital contemporain telle que révélée par sa crise, et rappelée ici brièvement, les luttes prolétaires, qui évidemment font partie de cette situation, ne peuvent aboutir qu’à freiner la dégringolade, mais non à la stopper. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne doivent pas être menées, et durement, mais qu’elles n’empêchent pas le capital de se perpétuer dans une crise chronique, qu’elles n’en empêchent donc pas les inéluctables effets catastrophiques et barbares. Les fondements spécifiques de cette crise impliquent qu’est devenu obsolète le type de luttes qui a été celui de la plupart des mouvements prolétaires des 19ème et 20ème siècles, qui portaient essentiellement , du moins dans leur majorité, sur des objectifs, devenus inaccessibles dans le cadre du capitalisme actuel, de « réforme » vue comme plein emploi, amélioration progressive des conditions de vie, c’est-à-dire aussi finalement comme reproduction de la condition, plus ou moins matériellement améliorée, de prolétaire, ainsi que, concomitamment, du capital.

Certes, l’évanescence de la valeur, si elle est bien à la base des insurmontables difficultés que rencontre aujourd’hui l’accumulation du capital et de sa putréfaction, n’explique pas à elle seule toutes ses manifestations concrètes, toute la réalité. Il y toutes sortes de médiations, toutes sortes de données historiques, économiques, culturelles, géographiques, toutes sortes de circonstances, et même parfois le hasard, qui participent à la fabrication du concret, et qui font que cette putréfaction apparait sous toutes sortes d’aspects différents, ici, ailleurs, à différents moments. Les effets de la crise ne sont pas uniformes, mais divers et multiples (économiques, écologiques, urbains, agricoles, idéologiques, politiques, militaires, etc.). Et bien sûr les luttes partent toujours des effets concrets contre lesquels s’élèvent ceux qui les subissent, et ne visent pas d’abord leurs racines. Mais pour réussir nous savons bien que toutes ces résistances, toutes ces luttes doivent s’unir, et pour cela se découvrir un ennemi et un but commun. Pour y parvenir l’expérience ne suffit pas, ni la volonté. Il faut aussi que le plus possible de combattants acquièrent la compréhension de ce qui fonde ce commun, de ce qui est le commun de tous ces concrets divers : leur commune racine dans l’effondrement de la quantité de travail social productif de plus-value (soit en terme théorique dans l’effondrement de la valeur), et leur commune solution dans une révolution politique abolissant l’Etat bourgeois et permettant d’instaurer un véritable pouvoir du prolétariat sur la base de la très possible formidable augmentation du temps libre, du temps pour s’éduquer, contrôler, diriger, et, but final, abolir la condition de prolétaire en s’appropriant les conditions de la production, celles de son libre développement.

Ceux qui aujourd’hui se veulent militants pour le communisme n’ont guère d’utilité s’ils ne cherchent pas à enrichir et propager cette connaissance concrète des causes afin qu’elle puisse s’affirmer comme connaissance par et pour les prolétaires, comme connaissance des nécessités qui s’imposent à eux s’ils veulent ne pas choir dans le toujours pire, et connaissance des possibilités de maîtriser leur destin eux-mêmes. Ne jurant que par « la pratique », affirmant que les prolétaires ne sauraient jamais s’intéresser à la théorie (donc en fait à l’analyse concrète), la plupart de ces militants, certes hélas un tout petit nombre aujourd’hui, y renoncent. Ce qui est encourager les prolétaires à en rester à une pratique aveugle, sans résultat autre, au mieux, que de freiner plus ou moins les offensives du capital, au pire de s’engager sur les voies catastrophiques du nationalisme et du néofascisme.  Les partisans de la révolution communiste ont donc pour obligation, s’ils veulent être conséquents, d’unir et organiser les résistances, de travailler à rattacher tous les divers effets concrets de la putréfaction du capitalisme à ce qui les unit, à la cause de celle-ci, à sa crise dans ses caractéristiques historiques particulières, et de là à pouvoir travailler à déceler et stimuler dans les luttes tout ce qui apparaît, même si c’est encore sous forme embryonnaire, comme répondant adéquatement à cette situation, comme permettant d’approcher des buts communs définis par les nécessités et possibilités qu’elle implique, et ainsi d’unir les prolétaires en prolétariat.

[1] Encore qu’on puisse légitimement estimer que la sauvagerie d’aujourd’hui n’est pas pire que celles d’hier : massacres coloniaux, guerres mondiales, etc.

[2] Voir mes ouvrages précédents sur cette question.

[3] Il y a d’autres causes à cet épuisement, et qui l’amplifient fortement, que cette évanescence, voir T. Thomas, Démanteler le capital où être broyés, édition Page Deux, Lausanne.

[4] Voir T. Thomas, La Crise. Laquelle ? Pourquoi ? édition Contradictions, p. 87-94.

[5] Voir T. Thomas sur la distinction des 3 grandes époques de la mondialisation, in Les Mondialisations, édition Contradictions.

[6] Extraction de la plus-value sous sa forme relative.

[7] Croyance qui est fondée sur les fétichismes de la marchandise et de l’Etat, qui subsistent comme base fondamentale de l’idéologie bourgeoise. Sur ce point voir T. Thomas, Etatisme contre Libéralisme, c’est toujours le Capitalisme, éd. Contradictions ; La montée des extrêmes, éd. Jubarte ; Les racines du fascisme, éd. Albatroz.

[8] Sur ce point, voir T. Thomas, Nécessité et Possibilité du Communisme, éd. Jubarte.

[9] La seule BCE en rachète pour 60 milliards d’euros par mois depuis mars 2015, et s’est engagée à le faire au moins jusqu’en 2016. La monnaie ainsi émise n’est évidemment que de la monnaie de singe.

[10] La société chinoise Foxconn, plus d’un million de prolétaires employés, s’est rendue célèbre pour ses « performances » dans ce domaine (voir « La machine est ton seigneur et maître », édition Agone). Mais c’est loin d’être la seule, ni même la pire.

[11] Ceux-ci peuvent aussi augmenter, pour les entreprises ayant des filiales à l’étranger, du fait des variations de taux de change (ce qui explique par exemple une hausse d’environ 5% des profits des entreprises du CAC40 en 2015). Mais nous n’en parlerons pas ici du fait qu’au niveau du capital global c’est un jeu à somme nulle.

[12] Emprunter à nouveau pour rembourser ce qui arrive à échéance.

[13] Mesuré par les CCR, coefficients de capitalisation des résultats (ou PER, price earning ratio), i.e. les rapports cours/bénéfices par action.

[14] Voir l’article de Jules Dufour : http://www.mondialisation.ca/le-grand-réarmement-planétaire-2015/5488806

[15] Managers, chefs d’entreprises, par distinction des capitalistes « passifs », les financiers, rentiers.

[16] Qui ne s’appliquent évidemment pas aux vastes castes politiciennes et médiatiques, ni aux innombrables, et toujours proliférantes, et toujours plus avides castes de hauts fonctionnaires, publics ou privés, du capital, ni aux paradis fiscaux, ni aux évasions fiscales (l’ancien chef du Luxembourg, grand spécialiste dans ce domaine, a même été nommé à la tête de l’Europe !), ni etc.

[17] Cf. T. Thomas, La crise. Laquelle. Et après, éd. Contradictions, p.85-94.

[18] Patrick Artus, Les Echos 28-29/05/2014.

[19] J.M. Vittori, Les Echos 07/10/2015.

[20] Et par la possibilité d’obtenir une « plus-value extra », c’est-à-dire temporaire, comme résultat d’une avance technologique (donc temporaire) sur leurs concurrents.

[21] Ce qui était d’ailleurs, et est encore recherché par les Etats, l’inflation étant un moyen de se débarrasser des dettes en les remboursant ainsi en « monnaie de singe » tandis que le pouvoir d’achat des salaires diminue subrepticement. Toutefois une inflation trop forte ruinerait cette autre fonction de la monnaie qui est de représenter et conserver la valeur dans le temps. En effet cela ruinerait alors le système du crédit, et par là le système capitaliste contemporain qui repose sur le crédit. C’est pourquoi, écartelés entre les avantages et les inconvénients de l’inflation des prix des marchandises, les économistes officiels la souhaitent « limitée », de l’ordre de 2 à 4% par an. Un peu, mais pas trop, voilà toute leur science ! Or, peu importe car, comme nous l’avons vu, l’hyper inflation de capital financier fictif ruine déjà le système capitaliste contemporain.

[22] G. Maujean, Les Echos, 21/09/15.

 


1 commentaire

  1. cyril

    Sortir du capitalisme, de l’économie et du politique, voilà notre destin.

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