ETATISME CONTRE LIBERALISME?

Introduction au dernier livre de Tom Thomas

La plupart des commentateurs ont affirmé que la cause de la crise contemporaine était les « excès » d’une finance débridée et mondialisée que des gouvernements libéraux auraient volontairement favorisée et laissée libre de ses mouvements erratiques et spéculatifs. Les libéraux auraient mis l’Etat au service de la finance (appelée aussi « les marchés ») au lieu de le conserver et de l’utiliser comme serviteur de « l’intérêt général » pour les uns, de « l’intérêt national » pour les autres (ce qui est à peu près la même chose!). Ainsi de tous côtés, au Front de Gauche comme au Front National, on en appelle à un Etat qui régulerait les marchés, dompterait la finance (ce mauvais capital parasite) tout en assurant la croissance (celle du bon capital productif), et par là l’emploi, les salaires, etc. Bref, il faudrait, et il suffirait, pour sortir de la crise que l’Etat ait à sa tête un gouvernement qui lui redonne toute sa puissance, l’accroisse même, afin qu’il joue son rôle de régulateur de l’économie, de protecteur de la Nation, d’arbitre équitable et social de la répartition des richesses. Il suffirait donc de changer les hommes à la tête de l’Etat!

Le but de ce livre est de combattre cette utopie, qu’on appellera étatisme. Il montrera que l’Etat ne peut nullement être le moyen d’une solution à la crise et à ses effets catastrophiques, pour la raison qu’il ne peut pas être autre chose que l’organisateur essentiel de la reproduction du capitalisme (i.e., des rapports sociaux capitalistes) et de plus en plus essentiel au fur et à mesure de son développement historique. Il montrera que, pire encore, tout renforcement du rôle de l’Etat ne peut être qu’un renforcement de la dépossession des travailleurs des moyens de leur vie, un renforcement de la domination sur eux du capital (éventuellement étatisé) et de ses représentants, les bourgeois (appelée par Marx « les fonctionnaires du capital » parce qu’ils ne font qu’en exécuter les lois). Cela quelles que soient les promesses de démocratie « participative », « citoyenne », « républicaine », ou autres qualificatifs qu’on y adjoint comme pour admettre qu’elle n’est rien! Il montrera que cet étatisme contemporain n’est pas un fait du hasard, un choix parmi d’autres, mais qu’il manifeste une tendance au totalitarisme inhérente à l’essence même de l’Etat et dont le plein développement accompagne nécessairement celui du capital arrivant à son âge sénile. C’est donc une idéologie particulièrement néfaste en ce sens que, poussée à ses extrémités logiques, elle mène au fascisme1.

Ainsi, c’est parce que cette idéologie est non seulement trompeuse dans ses promesses mais très dangereuse dans ses effets qu’elle sera ici combattue sans complaisance aucune, y compris quand elle se pare des qualificatifs de « socialiste », « communiste », ou plus généralement, « de gauche ». Parce qu’alors, c’est bien au cœur de l’urgence d’aujourd’hui, qui est que les prolétaires conquièrent leur indépendance en s’organisant en classe révolutionnaire, que se situe le combat contre l’étatisme. Car si les prolétaires n’y parviennent pas, et ils n’y parviendront que contre l’Etat qui fera tout pour les en empêcher – y compris avec des gouvernements de gauche comme l’histoire l’a constamment montré – alors les pires catastrophes sont certaines.

Il ne s’agit donc pas ici d’un livre sur l’Etat, qui analyserait toutes ses déterminations, fonctions, moyens, institutions, etc. L’analyse de l’Etat y sera limitée: 1°) en ce qu’elle sera seulement basée sur l’exemple français (néanmoins, il présente des caractères généraux propres à tous les Etats modernes); 2°) en ce qu’il ne sera pas procédé à l’examen de toutes les strates, et leurs rapports, qui composent le gigantesque millefeuille qu’est cet Etat, depuis les municipalités jusqu’à l’étage européen, des diverses administrations jusqu’aux multiples Comités, Hautes Autorités, Commissions et innombrables organismes parapublics; 3°) en ce qu’elle se bornera à exposer seulement ce qui est nécessaire à la compréhension de l’étatisme comme idéologie et comme pratique tout aussi capitaliste que le libéralisme (deux faces de la même médaille en réalité). Ainsi qu’à exposer les bases de son influence sur les masses populaires. Lesquelles sont ce qui induit ce qu’on appellera le fétichisme de l’Etat (en référence et en correspondance avec la fameuse analyse de Marx dans le premier chapitre du Capital sur le fétichisme de la marchandise). Bref, ce livre se limite à exposer pourquoi il faut combattre fermement l’étatisme et quelles en sont les racines.

 


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