LA MONTEE DES EXTREMES

INTRODUCTION du dernier livre de Tom Thomas « La montée des extrêmes »

A propos du « populisme »

La crise économique génère rapidement sous nos yeux une crise politique. Crise relative à l’État donc, qui ne peut plus, comme le peuple croit généralement que c’est son rôle, assurer la croissance, l’emploi, le niveau de vie, la santé, bref « le progrès » dans le bien-être général. Les partis traditionnels dits de droite ou de gauche qui se succèdent régulièrement au gouvernement, et plus généralement les « élites » politico-médiatiques et patronales, sont déconsidérés chaque jour davantage.

Des membres de cette bourgeoisie dirigeante constatent eux-mêmes, non sans une certaine inquiétude, que «les extrêmes se renforcent», «l’extrémisme politique est devenu l’une des plus grandes craintes des analystes financiers» observait l’éditorialiste du journal économique Les Échos (J.M. Vittori, 17/12/2012). Il citait plusieurs études mondiales commanditées sur ce sujet (pris au sérieux donc par les capitalistes). Par exemple, une enquête du Crédit Suisse montrant «le lien mécanique entre taux de chômage et vote pour les partis extrémistes» (quel scoop !). Ou une autre de la banque américaine Citi disant redouter «la poussée des N.E.A.P. (partis nouveaux extrêmes et/ou alternatifs)». Et bien d’autres encore allant toutes dans le même sens.

Ces élites bourgeoises stigmatisent souvent cet extrémisme comme « populiste ». Ce qu’elles énoncent par-là n’est que le constat que le peuple les rejette, au profit d’autres dirigeants politiques qui lui promettent de satisfaire aux bienfaits qu’il attend de l’État. Ces autres seraient des démagogues flattant l’esprit simpliste des masses, et jusqu’aux bas instincts qui leur seraient propres. Car ce que ces masses attendent de l’État serait des exigences tout à fait irrationnelles, irréalisables, produits de leur ignorance des soi-disant lois économiques que seules connaissent ces élites, manifestation de leur refus de se soumettre sagement à l’incontournable réalité (capitaliste), aux nécessités de l’inéluctable mondialisation (capitaliste), lesquelles imposent les « réformes » pour plus de « rigueur », « d’austérité », de « compétitivité ». Aussi dodues que sûres de leurs grands mérites, ce qui n’est pas peu dire, ces élites affirment haut et fort qu’en refusant ces réformes, de fait régressives, le peuple se rend responsable de la crise, empêchant les investisseurs, les entrepreneurs, les créateurs, petits et grands capitalistes, de déployer tous leurs talents (on en connaît pourtant les résultats désastreux !) au service de la croissance et de l’emploi.

Bref, lorsque le peuple, « populiste », fustige et récuse les élites bourgeoises en votant pour des démagogues extrémistes, il ne fait, selon elles, qu’émettre un vote « protestataire », autrement dit purement négatif, n’exprimant aucun projet réaliste, rationnel. Certes, mais cette critique provenant de soi-disant élites qui ont si bien dirigé les affaires qu’elles n’ont rien su faire pour parer à la plus grande crise de tous les temps, dont elles n’ont d’ailleurs strictement rien compris aux causes, cela prêterait à rire si ce n’était si dramatique pour des milliards d’individus. Protester n’est pas savoir quoi faire, mais c’est bien la moindre des choses face à l’incapacité aussi notoire que l’enrichissement et la corruption de ces élites faillies, aussi arrogantes que cyniques et décadentes. Au fond, l’ignorance, les illusions, voire la bêtise qui sous-tendent les votes « populistes » ne sont pas pires que celles dont font preuve ces élites.

C’est qu’au fond, en effet, ledit populisme n’est qu’un avatar de l’idéologie bourgeoise. Quand l’un des idéologues stipendiés du capital déclare : «Le populisme consiste à flatter ce qui se passe dans l’esprit des classes populaires»1, il ignore que ce qui s’y passe n’est qu’une manifestation des fétichismes – pour reprendre le mot de Marx – dont l’idéologie bourgeoise est le reflet explicitement développé. Fétichismes de la marchandise et de l’État notamment, dont nous reparlerons dans cet ouvrage tant ils sont à la base de tous les « extrémismes populistes », aussi bien que de l’idéologie et de la propagande bourgeoises en général.

Nous verrons que ces extrémismes dits populistes ne sont en effet que des extrémismes de l’idéologie bourgeoise. S’ils mettent en cause le pouvoir politique et médiatique des élites en place, voire certains capitalistes particuliers, ils ne le font pas de l’État, et encore moins du capitalisme lui-même qu’ils se proposent seulement de mieux diriger et d’améliorer en faveur du peuple. Il est donc juste de considérer qu’ils ne forment qu’un pôle de contestation interne au système. Ils ne sont qu’un pur produit du capitalisme (des rapports sociaux qui sont le capitalisme), et c’est là la critique fondamentale qui doit leur être faite. Le simple rejet des élites traditionnelles ne produit, dans ledit populisme, que la soumission à d’autres soi-disant élites, d’autres chefs, sans aucune sérieuse remise en question des rapports sociaux capitalistes qui sont la cause réelle de cette crise, de la dégradation de toutes les conditions de vie des peuples. C’est le cas en France des deux extrémismes bourgeois que nous prendrons comme exemple : le Front de gauche et le Front national.

Mais la crise amène aussi un certain nombre d’individus, encore réduit certes, mais qui, l’expérience aidant, grandira, à réfléchir davantage et à réaliser qu’elle ne relève pas d’une question d’hommes à la tête de l’État, mais de ce système capitaliste dont l’État fait intrinsèquement partie, en est un rouage essentiel. Or il a été amené, au fil de l’histoire de l’accumulation du capital, à s’occuper aujourd’hui de tout – à être en ce sens totalitaire. Il est alors compris par ces individus comme un pouvoir total les dominant, parasitaire, et d’autant plus insupportable qu’il s’avère impuissant à garantir la vie des dominés, qu’il n’agit que pour imposer une exploitation accrue des prolétaires, une misère généralisée et grandissante, des désastres écologiques, urbanistiques, sanitaires, s’aggravant sans cesse. État despotique en même temps qu’impuissant, tentaculaire en même temps que vampire dépossédant le peuple, non seulement des richesses qu’il produit, mais, pire encore, de toute maîtrise de ses conditions de vie. Peuple considéré comme un troupeau « d’usagers » et autres « assistés », redevables de tout à l’État, formatés et mis en situation de tout attendre de lui.

Le but de cet ouvrage est de montrer que l’enjeu des luttes prolétaires de la période actuelle est de décider laquelle de ces deux voies va l’emporter. Celle de tel ou tel extrémisme bourgeois prônant un étatisme renforcé qui, soi-disant, permettrait un capitalisme revigoré et « populaire », sous la houlette d’un personnel politique se présentant comme neuf, vertueux, bien décidé à dompter la finance et à relancer la croissance (du capital), tout en les mettant au service de l’amélioration de la situation matérielle des prolétaires. Ou celle d’une abolition de l’État bourgeois permettant d’entamer le processus d’appropriation par tous les dépossédés, les prolétaires, des conditions de la production de leur vie, c’est-à-dire un processus révolutionnaire, communiste.

 


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