LES PROBLÈMES DE SANTÉ LIÉS À L’URBANISATION

Quel est l’état de santé des citadins à travers le monde ? Est-ce mieux ou pire que dans les régions rurales ? En fait, les villes ne sont pas des îlots de vie saine malgré un accès aux soins globalement meilleur que dans les campagnes. Les problèmes de santé que l’on y trouve sont généralement les mêmes que ceux que l’on rencontre en milieu rural mais ils sont plus fréquents et plus marqués. Il y a également des différences importantes entre les villes des pays du centre capitaliste et celles des pays de la périphérie, les secondes reproduisant en partie la situation des premières avant le XXe siècle.

La construction rapide, souvent non planifiée et parfois illégale de logements de mauvaise qualité est une caractéristique de nombreux centres urbains dans les pays périphériques. Ces logements mal construits, ces cabanes et dans certains cas ces tentes sont une réponse aux demandes de plus en plus pressante d’un nombre toujours croissant de citadins pauvres. Les conséquences sont désastreuses en cas de catastrophes naturelles : ainsi par exemple, plus de la moitié de la population urbaine turque vit dans des logements de ce type et la majorité des gens qui sont morts lors des récents tremblements de terre en faisaient partie.

Une autre caractéristique de la vie urbaine est la promiscuité des gens entre eux. La pauvreté aggrave ce surpeuplement, par exemple lorsque plusieurs familles doivent vivre dans le même petit espace parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement. De ce fait, les gens sont fréquemment en contact avec l’air et les surfaces que d’autres personnes respirent et touchent, ce qui augmente la fréquence des maladies transmises par voie respiratoire et fécale-orale comme les infections helminthiques1, la tuberculose ou les maladies cardiaques rhumatismales causées par des espèces de streptocoques. Le stress lié au fait de vivre avec une intimité limitée dans des espaces restreints contribue également aux taux élevés de blessures intentionnelles, suicides et homicides, ainsi qu’aux maladies mentales en général.

La pollution atmosphérique est une cause majeure de morbidité et de mortalité, aussi bien respiratoire, que cardiovasculaire ou d’origine cancéreuse, et ses effets se font principalement sentir dans les endroits où la pollution est la plus importante, c’est-à-dire souvent dans les villes. La pollution de l’air peut avoir des sources tant intérieures qu’extérieures. Les sources extérieures de particules et de polluants organiques ou inorganiques sont principalement les émissions des automobiles et des sites industriels. À Mexico City par exemple, les trois-quarts de la pollution atmosphérique sont causés par l’automobile. L’empoisonnement au plomb à cause de l’air contaminé est un problème significatif dans les pays où l’essence contient toujours du plomb et où des petites raffineries locales sont souvent très proches des habitations. Les sources intérieures de polluants sont le plus souvent liées à l’utilisation de combustibles : charbon, bois, bouse d’animaux et kérosène, bien que la fumée de tabac à l’intérieur soit aussi un facteur important. Dans les villes chinoises, l’utilisation domestique des combustibles contribue aussi à environ 30 % de la pollution atmosphérique extérieure par les particules et le dioxyde de soufre, l’utilisation industrielle contribuant à 50 %. La pollution de l’air, tant de source intérieure qu’extérieure, est l’un des principaux facteurs de risque de développer des infections respiratoires aiguës qui sont la cause la plus importante de décès chez les enfants de 1 à 5 ans dans les pays de la périphérie.

Outre la pollution atmosphérique importante qu’elle cause, la circulation automobile constitue un danger physique majeur dans les villes. L’étalement urbain, combiné à l’attrait du symbole du statut de l’automobile, a contribué à l’augmentation considérable du nombre de véhicules motorisés et les accidents de la route figurent désormais parmi les principales causes de décès et même la première chez les adolescents et les jeunes adultes. Une situation particulièrement marquée dans les pays de la périphérie où les lois sur la circulation ne sont pas toujours respectées et où la conception des véhicules est encore déficiente pour la protection des conducteurs et des piétons. La circulation automobile et les embouteillages contribuent également de façon significative à la pollution sonore dans les villes, par le klaxon et le bruit des moteurs, et sont une source importante de stress qui augmente le risque cardiovasculaire.

L’urbanisation entraîne une demande excessive d’eau à laquelle les stations d’épuration pour les approvisionnements municipaux ont parfois du mal à répondre. Dans les quartiers et les banlieues les plus pauvres, le coût de l’eau peut pousser les habitants à détourner l’eau des conduites produisant des interruptions fréquentes de la distribution. Ce qui augmente le nombre de bactéries à cause de la stagnation de l’eau et des contaminations introduites lors des détournements. Encore pire est la situation où il n’y a pas un accès direct à l’eau courante et où les gens doivent compter sur une pompe commune, source majeure de contamination. En effet, le risque d’infection par des agents pathogènes gastro-intestinaux est fortement associé à l’absence d’eau courante, ce qui limite le lavage des mains, le nettoyage des aliments et des ustensiles, la baignade et le lavage du linge. Les études sur les maladies et la gale transmises par les poux montrent ainsi une forte prévalence de ces maladies dans les ménages ayant un accès limité à l’eau.

La gestion d’une masse considérable de déchets est une autre caractéristique du milieu urbain. Les déchets fécaux humains sont une source importante de maladies infectieuses et constituent probablement le polluant le plus dangereux dans les approvisionnements en eau de surface. Un assainissement insuffisant est un facteur de risque majeur pour les maladies diarrhéiques et parasitaires, y compris la schistosomiase2. La collecte inadéquate des déchets solides est également un problème présentant une variété de dangers, en particulier dans les bidonvilles souvent érigés rapidement dans n’importe quel espace disponible dans et autour des villes. Souvent, ces déchets s’accumulent très près des zones d’habitation et offrent des opportunités de recyclage aux plus pauvres avec les risques de blessures dues aux objets tranchants, aux poisons et aux morsures d’animaux. Les déchets solides non collectés peuvent également empêcher un drainage adéquat de l’eau et contribuer à la pollution aquatique. De plus, ils peuvent servir de sites de reproduction pour divers vecteurs de maladies infectieuses. Les pneus ou les canettes constituent autant de petits réservoirs d’eau qui peuvent servir de lieux de reproduction pour des moustiques comme Aedes sp. et Anopheles stephensi. La résurgence d’Aedes aegypti et la dissémination rapide du moustique tigre asiatique Aedes albopictus ont ainsi contribué à de très grandes épidémies de dengue aux Amériques. Les solutions de rechange à l’enfouissement des déchets, comme l’incinération, existent parfois mais elles accroissent la pollution atmosphérique et créent de nouveaux polluants comme la dioxine. Un autre danger est représenté par les installations industrielles de plus en plus fréquentes qui ne fonctionnent plus mais qui sont trop coûteuses à nettoyer. Ces friches industrielles, en plus d’occuper des terres potentiellement précieuses et de perturber le paysage visuel, représentent un risque pour les gens pauvres qui tentent de s’y installer en s’exposant aux produits chimiques utilisés précédemment dans les procédés de fabrication.

Les vecteurs de maladies, comme les rongeurs et les insectes, trouvent de nouveaux habitats dans le milieu urbain. L’urbanisation rapide, avec empiètement dans des zones antérieurement sauvages, en particulier près de la forêt tropicale pluviale, amène les villes à proximité de la nature, permettant un contact étroit entre les vecteurs, leurs hôtes animaux naturels et leurs nouveaux hôtes humains. Les maladies relativement rares parce qu’il fallait que des humains pénètrent dans la forêt pour entrer en contact avec ces vecteurs sont de plus en plus fréquentes. La leishmaniose3 dans les Amériques était largement confinée aux tapeurs de caoutchouc dans la forêt tropicale, mais est maintenant un problème de plus en plus urbain dans toute l’Amérique latine à cause des simulies4 qui y trouvent de nouveaux habitats. La fièvre jaune augmente dans les communautés urbaines à la périphérie des forêts tropicales car le moustique qui transmet le mieux la maladie a une reproduction favorisée par les petits réservoirs d’eau de toutes sortes que l’on trouve dans les habitats urbains tout en gardant le contact avec les animaux forestiers ayant suffisamment de virus dans leur sang pour les transmettre aux humains. La mouche tsé-tsé fait des percées dans l’habitat urbain, entraînant une augmentation de la maladie du sommeil en Afrique. L’agriculture urbaine, bien qu’étant une source d’alimentation de plus en plus importante pour les citadins, crée aussi des opportunités pour la multiplication des moustiques transmettant le paludisme qui devient ainsi une maladie urbaine.

Enfin, la vie urbaine est en général plus sédentaire que la vie rurale, même en l’absence d’ascenseurs, d’escaliers mécaniques ou de véhicules. Cette faible activité physique, que les gens travaillent ou non, combinée à l’accès facile à des aliments transformés riches en calories et peu nutritifs, contribue de manière importante à l’épidémie croissante d’obésité et de diabète dans le monde entier.

On voit ainsi que l’urbanisation joue un rôle majeur dans la survenue de nombreuses maladies qui, en plus d’être des drames humains, ont des conséquences économiques importantes. D’une part, elles occasionnent des frais de santé parfois considérables qui dans beaucoup de pays sont payés par des impôts grevant d’autant la plus value générée par le capital. D’autre part, en affaiblissant ou handicapant les salariés, quand elles ne les font pas disparaître de manière prématurée, elles participent à réduire la productivité du travail. A titre d’exemples, les dépenses de santé liées à l’obésité en France ont été chiffrées à près de 5 milliards d’euros par an et la perte de productivité à près de 7 milliards au Royaume-Uni, dont 2 milliards liés à l’absentéisme. A l’échelle mondiale, l’obésité amputerait la croissance annuelle de 2,8 points de PIB, soit 2000 milliards de dollars et la pollution de l’air de 1,3 point, soit 900 milliards.

  • Les helminthes sont des vers qui parasitent l’intestin de l’homme et des animaux. Le ténia ou vers solitaire est le plus connu.
  • La schistosomiase ou bilharziose est causée par des vers plats qui parasitent l’intestin ou le tractus gastro-intestinal.
  • La leishmaniose est causée par des parasites unicellulaires transmis par les piqûres d’insectes et qui colonisent la peau ou les viscères.
  • Les simulies sont des petites mouches dont les femelles sucent le sang à l’instar des moustiques.

 


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