INTRODUCTION
Cet ouvrage ne refera pas l’analyse de la crise actuelle. Elle l’a déjà été dans mes ouvrages précédents, et les faits ont prouvé combien seule l’analyse marxiste avait alors permis d’en dire la vérité, à l’encontre des commentaires spécieux de la très large majorité des économistes sur son caractère purement financier, ses causes dans de simples « exagérations » financières, des spéculations trop hasardeuses.
Il s’attachera à montrer ce que cette crise manifeste de spécifique, relativement aux nombreuses précédentes de l’histoire du capitalisme, quant à la reproduction élargie du capital et, partant, quant à celle de la société capitaliste. La reproduction du capital, c’est sa valorisation et son accumulation. C’est un mouvement historique contradictoire dans lequel se développent conjointement les facteurs de valorisation et de dévalorisation du capital. En analysant le développement de ces différents facteurs, cet ouvrage montrera que la spécificité de la situation actuelle, telle que révélée au grand jour par cette crise, réside dans le fait que nous sommes entrés dans une époque où les facteurs de dévalorisation prennent, structurellement, tendanciellement mais de façon néanmoins irréversible, progressivement le dessus. C’est pourquoi la crise ne peut être que chronique, au-delà d’éventuelles courtes périodes de reprises aussi éphémères que superficielles. De sorte que le capitalisme ne pourra plus se survivre que dans la dégradation de toutes les conditions de la vie, le pourrissement et les destructions, du moins pour la très large majorité de la population mondiale et pour l’écosphère. La « croissance » (l’accumulation du capital) est définitivement ralentie, stagnante, et tend même à devenir décroissance avec les destructions massives de capitaux. Autrement dit, non seulement « l’emploi » capitaliste diminue et la situation des prolétaires se dégrade, de même que celle des couches petites bourgeoises, mais il est vain de réclamer encore et encore de la croissance et de l’emploi au capital comme s’y emploie plus ou moins mollement la gauche.
Mondialisation oblige, cette situation est peu ou prou celle du capital social mondial. Cela ne saurait être démenti par les chiffres de croissance de quelques PIB de pays « émergents » tels la Chine, l’Inde, le Brésil, etc. Non seulement parce que ces pays n’abritent qu’une part malgré tout encore minoritaire du capital social mondial. Mais surtout parce qu’ils ne peuvent pas rester longtemps en dehors de la crise: ils font partie du capital qui est aujourd’hui un tout mondialisé de capitaux interdépendants, dont les profits sont une part de la plus-value mondiale issue d’un procès mondial de valorisation dont les différentes phases participent d’une division mondiale du travail, que la concentration et centralisation du capital confirment à leur façon. Ce n’est pas parce que la situation des différents capitaux n’est pas exactement la même partout, au même moment, dans chacune de ces phases, qu’ils ne sont pas tous soumis à la tendance qui caractérise le capital social mondial dans cette époque de son histoire, dont nous montrerons ici les grandes lignes générales.
Mais ce qui est aussi remarquable dans cette situation du capitalisme contemporain, et que cet ouvrage rappellera, est que les causes mêmes qui ralentissent et dégradent le procès de valorisation du capital1, c’est-à-dire sa reproduction, son existence même, sont tout aussi bien des moyens et des forces qui permettent de détruire la domination du capital sur les hommes, et ses prétendues « lois naturelles de l’économie » (les « lois du marché »), c’est-à-dire détruire en fin de compte l’appropriation privée des moyens intellectuels et matériels de la production de la vie. De sorte qu’on doit aboutir à cette conclusion pratique que deux voies antagoniques sont aujourd’hui en présence.
1°) L’une qui, sous des formes et nuances diverses, est préconisée par la bourgeoisie dans son ensemble, gauche et droite confondues. Il s’agirait de relancer « la croissance » – c’est-à-dire l’accumulation capitaliste – grâce à l’Etat. Il régulerait l’économie, mettrait la finance à son service et par là à celui des hommes, développant par exemple un nouveau capitalisme « vert », propre, humain, ou encore « l’ordre juste » et autres fadaises. Or non seulement une telle croissance de l’accumulation capitaliste ne pourrait qu’être aussi celle de l’antagonisme de ses contradictions, et notamment nécessiter une paupérisation absolue de fractions majoritaires des peuples, mais elle est impossible sans destructions massives, planétaires, des capitaux excédentaires, donc sans guerres à côté desquelles celles de 1940-46 paraîtront moyenâgeuses. Certains partisans de la décroissance s’en trouveraient peut-être satisfaits puisque telle est la seule décroissance du capital qui lui soit possible, et même inévitable (elle a d’ailleurs déjà commencée!).
2°) L’autre voie, à l’opposé, est évidemment – mais c’est une évidence qui crève tellement les yeux que beaucoup ne la voient pas – la lutte révolutionnaire pour que tout le temps libre que crée l’automatisation poussée de la production, que le capital ne peut que transformer en temps de chômage partiel ou total, devienne un temps de lutte pour détruire le capital, c’est-à-dire cette appropriation des moyens de la production, un temps pour libérer la puissance, les qualités de tous les hommes.
Il ne s’agit pas de réclamer plus de travail prolétaire, mais moins. Il ne s’agit pas de maintenir l’existence du prolétaire, mais de l’abolir. Il s’agit de décider en fin de compte quelle destruction on veut: celle des prolétaires, et au-delà, de l’humanité par le capital, ou celle du capital par les prolétaires, qui alors s’abolissent en même temps comme prolétaires en s’élevant à des besoins et activités riches de qualités les plus diverses possibles.
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ABREVIATIONS UTILISEES DANS CET OUVRAGE
A: capital argent (A’: ce capital augmenté de la pl réalisée).
Cc: capital constant, somme du capital fixe (machinerie, bâtiments) et du capital qui achète les intrants (matières premières ou semi-finies, énergie).
Cv: capital variable, part du capital qui achète la force de travail (coût salarial, ou « travail nécessaire », part de son travail qui revient à l’ouvrier pour acheter les biens nécessaires à son existence).
M: marchandise.
pl: plus-value, part du travail vivant (ou surtravail) absorbé par la marchandise M et approprié par le capital.
Pour les citations de Marx:
Le Capital, Editions Sociales (E.S.), K. I, II, III pour les livres, 1, 2, 3 pour les tomes, suivi de la page.
Les manuscrits de 1857-58 (Grundrisse), Editions Sociales (E.S.), Gr. I, II, suivi de la page. Théories sur la Plus-Value, Editions Sociales (E.S.), TPV. I, II, III, suivi de la page.
Editions de la Pléiade (œuvres économie), Pl. I, II, suivi de la page.
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CHAPITRE 1. A PROPOS DE LA PRODUCTION CAPITALISTE EN GENERAL
Le but de la production capitaliste est le profit. Pour l’ensemble du capital social, le profit égale la somme des profits des capitaux particuliers, c’est-à-dire finalement la somme des plus-values (laquelle se distribue entre ces différents capitaux de façon que chacun tende à obtenir le taux de profit moyen). Autrement dit, si on considère le capital social en général, masse des profits et masse de la plus-value sont équivalentes, et on peut à ce niveau assimiler profits et plus-value, ce que nous ferons. Le capital n’existe que comme valeur se valorisant, accumulation appropriée par le pôle capitaliste. On sait que ce mouvement historique est périodiquement interrompu par des crises de suraccumulation de capital, dont l’actuelle est un exemple frappant par son ampleur. Mais d’où vient cette crise et son ampleur? De la mondialisation libérale disent les uns, qui a fait baisser les salaires, ruiné la consommation et détruit l’emploi. Mais comment cette mondialisation peut-elle expliquer la crise du capital alors qu’elle a constituée un facteur d’expansion de son aire de valorisation et d’augmentation du taux d’exploitation? De la domination et de l’hypertrophie de la finance disent les autres, ou les mêmes. Mais pourquoi ce phénomène? Pourquoi cette hyper-expansion du crédit si ce n’est parce que cela a accru les échanges et la production, les concentrations, l’efficacité productive, et finalement les profits?
Toutes ces explications superficielles ne tiennent pas la route, ce sont elles qui sont à expliquer. En réalité, comme nous l’avons vu2, la vérité se trouve dans la suraccumulation généralisée de capital sous toutes ses formes, et pas seulement la forme financière. Suraccumulation se comprend relativement à la masse de pl réellement produite et réalisée, relativement au taux de profit. Or la valorisation, existence du capital reproduit comme accumulation, exige que la pl obtenue lors d’un cycle de production puisse être convertie en capital additionnel dans un nouveau cycle productif. Ce qui ne peut advenir – entre autres conditions – que si le taux de profit reste attractif. Bref, le but de la production capitaliste étant la production de pl, et son existence dépendant de son accroissement proportionnellement à celle du capital s’accumulant, la première chose à faire pour déceler ce que la crise révèle quant à l’état de cette existence, de sa vigueur ou de son anémie, de son avenir (guérison possible ou fin de vie?), est de préciser ce qui produit la pl, ce qui est productif ou improductif du point de vue de la reproduction du capital.
Procédons pour ce faire à l’analyse d’un cycle de la reproduction élargie du capital, c’est-à-dire du mouvement qui va de l’achat des conditions de la production par un capital argent A jusqu’à leur conversion en marchandise M qui, vendue, se transforme en argent A’ (A grossi de la pl), lequel enfin se repositionne comme capital A’ s’investissant pour recommencer un nouveau cycle de valorisation. Soit un cycle A-M-A’…A’. C’est alors aussi le temps de rotation du capital, dont nous verrons plus loin l’importance.
Un tel cycle est une multitude d’échanges qui rythment les différents moments du procès de production, dans lesquels le capital revêt différentes formes3 (argent, machines, matières premières, force de travail, etc.). Il s’agit d’échanges de valeurs égales, mais on sait depuis Marx que l’échange de l’argent contre la force de travail (par le salaire), s’il est égal en termes de valeurs d’échange, donne au propriétaire du capital l’usage de toute la quantité de travail fournie par cette force pendant un temps déterminé. De là vient le surtravail puisque la quantité de travail social que peut acheter le salaire (c’est-à-dire l’ensemble des marchandises qu’il peut acheter) est inférieure à la quantité de travail qu’il fournit pendant ce temps. C’est une qualité propre au travail humain de pouvoir fournir une quantité de travail social supérieure à celle que le travailleur doit consommer pour ce faire, tandis qu’une machine ne peut au mieux qu’introduire dans les produits la quantité de travail social qu’elle a intégrée (travail passé, mort, dont l’avantage est de démultiplier l’efficacité du travail vivant). Mais il n’y a que dans le mode de production capitaliste, que dans le rapport salarial, que cette qualité prend la forme de plus-value.
On a là un premier contenu général, que nous affinerons plus loin, du travail productif de plus-value (surtravail converti en argent lors de la vente du produit). C’est ce travail qui permet la valorisation du capital, laquelle apparaît comme A ayant produit A’, lequel ne devient à son tour capital que s’il peut se réinvestir dans un nouveau cycle de production.
On peut distinguer deux phases dans le procès de production de la pl. Une phase de production proprement dite, durant laquelle le capital circule mais sous les formes des différentes marchandises qui conditionnent la production (ce qu’on peut aussi appeler la phase industrielle). Et une phase de circulation « pure », c’est-à-dire « le mouvement du capital en dehors de la phase de production, où son temps apparaît, par opposition au temps de travail, comme temps de circulation »4. Ce temps de circulation (activités financières notamment) est évidemment improductif, bien qu’il occupe des travailleurs et mobilise de l’argent et des moyens, puisqu’il ne s’agit que d’échanges d’équivalents, sans plus, dans la vente du produit (lequel est alors « expulsé de la production » dit Marx), ou dans l’achat des conditions de la production avant qu’elles soient mises en œuvre, ou même seulement une simple circulation de l’argent dans la phase A’…A’ (phase « financière »), le chemin «… que doit parcourir le capital pour trouver l’amorce d’une nouvelle production »5.
Bref, le temps de circulation est « un moment qui limite le temps de travail (productif, n.d.a.) et limite ainsi toute la création de valeur par le capital »6. C’est néanmoins un temps absolument nécessaire: pour que le cycle de la reproduction du capital puisse s’accomplir, il doit se représenter et circuler sous la forme argent. Remarquons dès à présent que la phase de production est aussi un temps de circulation du capital, et c’est pourquoi le capitaliste cherchera toujours à le raccourcir pour réduire cette « limite » (nous préciserons tout cela plus loin). Mais c’est un temps de circulation qui est simultanément temps de production, qui n’est pas « pure » circulation.
La phase de production est une série d’échanges et de métamorphoses dont la finalité est de produire une marchandise représentant une plus grande quantité de travail social qu’il n’en a été payée pour la produire, différence qui est le surtravail devenant plus-value lors de la conversion de la marchandise en argent. Il y a dans ces échanges et métamorphoses un rapport immédiat entre le travail vivant, seule source possible du surtravail, donc de la pl, et le travail mort, les divers moyens matériels de la production que nous résumerons sous le terme de machinerie. Ce qui se passe dans cette production, dans ce rapport, et qui produit in fine la pl, c’est que des machines et autres éléments matériels sont utilisés, usés, « consommés ». « Une machine qui ne sert pas au travail est inutile… Le travail vivant doit ressaisir ces objets (machines, matières premières, produits semi-finis, etc., n.d.a.) les ressusciter des morts… Léchés par la flamme du travail, transformés en ses organes, appelés par son souffle à remplir leurs fonctions propres, ils sont aussi consommés… Le travail use ses éléments matériels, son objet et ses moyens et est, par conséquent, un acte de consommation »7. La production est consommation, mais c’est une « consommation productive ». « Elle consomme (les produits) comme moyens de fonctionnement du travail », tandis que la consommation individuelle les consomme comme moyens de satisfaction des besoins personnels (« moyens de jouissance » dit Marx), et apparaît donc comme consommation improductive.
Mais exception doit être faite de la consommation ouvrière (nous verrons plus loin, au chapitre 5, ce qu’il en est de la consommation des autres travailleurs). Car dans la consommation productive, l’ouvrier « consomme par son travail des moyens de production afin de les convertir en produits d’une valeur supérieure à celle du capital avancé. Voilà sa consommation productive, qui est en même temps consommation de sa force de travail par le capitaliste auquel elle appartient »8. Ce qui est consommation des moyens de production par l’ouvrier est en même temps consommation de la puissance de travail (force, intelligence, savoir-faire) par le produit9. Or s’il est vrai que la consommation individuelle est, stricto sensu, extérieure à la production d’où les marchandises ont été « expulsées », et qu’elle ne produit rien, cela n’est tout à fait exact que pour la consommation de biens qui ne font que reproduire la bourgeoisie, ses bureaucrates, idéologues, politiciens, militaires, financiers, etc., comme, par exemple, la consommation de produits de luxe et, d’une façon plus générale, de produits qui ne sont pas strictement utiles au développement de la production de pl. Mais Marx a affirmé à juste titre que dans cette consommation à l’extérieur de la production, on y produisait néanmoins des hommes, des bourgeois improductifs comme des travailleurs productifs (ces notions seront définies plus loin). Ainsi la consommation des prolétaires est productive parce qu’elle reproduit à travers eux cette force de travail qui est l’élément essentiel de la production de pl. Cette consommation est productive dans la mesure où, « dans les limites du strict nécessaire » à la reproduction de la force de travail, elle « est la production et la reproduction de l’instrument le plus indispensable au capitaliste, le travailleur lui-même », dans la mesure donc où elle est « un élément de la reproduction du capital »10.
Ici on voit donc apparaître une deuxième détermination de la consommation productive (ou du travail productif). Puisqu’il s’agit toujours pour le capital de se reproduire de façon élargie, ce qui est productif est ce qui produit la pl, mais aussi ce qui produit les moyens de cette production, et en plus grande quantité ou puissance puisqu’il s’agit de reproduction élargie. Il faut non seulement remplacer ce qui a été usé, consommé dans le cycle passé, mais en plus ce qui doit permettre à la pl qui y a été réalisée de fonctionner comme capital additionnel. Ces moyens à produire et reproduire, ce sont les éléments matériels de la production, mais aussi « le travailleur lui-même », « l’instrument le plus indispensable » de la production de pl. Reproduire le capital ne se réduit pas à produire de la pl, à gagner de l’argent, car « l’argent n’est pas en lui-même un élément de la reproduction réelle »11.
Au point où nous en sommes, nous avons une détermination, générale, du concept « productif » dans le capitalisme (et a contrario d’improductif) qui peut se résumer ainsi:
1°) Ce qui est productif de pl se passe uniquement dans le rapport entre les moyens de production et le travail vivant qui fait fonctionner, consomme, les moyens de production utilisés.
2°) Dans ce rapport, ce travail vivant est productif dans la mesure où il intègre dans la marchandise produite une plus grande quantité de valeur (de travail abstrait, social) que celle qui a été rendue au travailleur sous forme de salaire. D’où la pl que s’approprie le capitaliste propriétaire et maître des conditions de cette production.
3°) Ce qui est productif est donc ce qui reproduit, fait exister, le capital en l’agrandissant, cycle après cycle, de la pl. La poursuite de ce procès d’accumulation – qui détermine l’existence, la reproduction de la société capitaliste toute entière – nécessite que l’activité productive ne produise pas seulement de l’argent mais tous les éléments nécessaires à l’élargissement perpétuel du capital en fonction (du procès de sa production). « Seul est productif le travail salarié qui produit du capital »12, sous toutes ses formes.
Nous verrons (chapitre 5) que, contrairement à une idée reçue, les concepts de productifs et improductifs ne se rapportent nullement à une analyse des classes (il y a des prolétaires improductifs et inversement des bourgeois productifs). Ce dont ils rendent compte, c’est de la production de pl, de la valorisation et de l’existence du capital comme accumulation, et des limites objectives de tout cela qui se développent au sein même du procès de reproduction A-M-A’…A’, lui sont inhérentes comme temps de circulation improductifs.
On le sait, le capitaliste n’a qu’un but: obtenir le meilleur taux de profit. Il veut faire produire une quantité de marchandises contenant le maximum de surtravail tout en engageant pour ce faire le minimum de capital argent. On sait également que le moyen essentiel pour y parvenir a consisté à augmenter la productivité par le machinisme: le travailleur produira une plus grande quantité d’une M donnée dans un même temps avec un capital donné, voire moindre13. Ce qui revient à produire une même quantité de M qu’avant, mais dans un temps moindre (avec une quantité de travail social moindre).
La réduction du temps (de la quantité) de travail! Mr. le Capital déploie tous les efforts pour y parvenir14! Mais il ne s’arrête pas aux économies de temps dans la phase de la production. Il lui faut évidemment considérer le cycle complet de la reproduction, donc temps de la circulation « pure » compris.
Le concept qui permet le mieux de résumer ces efforts est celui de la vitesse de rotation du capital. Le cycle complet est celui d’une rotation. La vitesse de rotation est le nombre de fois où le capital peut parcourir un cycle, effectuer une rotation, pendant un temps donné, par exemple un an. Augmenter la vitesse de rotation, c’est réduire le temps d’un cycle, c’est diminuer d’autant le besoin de capital pour une même production de pl, ou produire plus de pl avec le même capital, bref, augmenter le taux de profit. Le principe en est simple15: si par exemple, un capital de 1000 produisait 100 de pl en un an et que, par divers moyens raccourcissant ce cycle, ce même capital de 1000 produit maintenant ces 100 pl en six mois, cela veut dire qu’en un an il en produit alors 200. Une vitesse de rotation multipliée par 2 engendre une pl multipliée par 2, toutes choses égales par ailleurs.
On comprend alors l’intérêt de chaque capitaliste particulier à réduire le temps du cycle de reproduction qu’il gère.
Dans la phase de la production stricto sensu, c’est essentiellement par le moyen de la productivité qu’il peut le faire. Mais aussi de l’intensité du travail (réduction des temps morts, simplification et accélération des gestes, des cadences, polyvalence des tâches, etc.). Bref, tout ce qui peut accélérer la rotation de Cv. A quoi s’ajoute évidemment ce qui peut accélérer celle de Cc. A savoir, outre cette augmentation de l’intensité du travail qui en consomme plus vite les moyens, des efforts pour que cette consommation plus rapide des machines s’accompagne de leur utilisation permanente (en continu, ni panne, ni grève, temps d’entretien minimum, etc.), en même temps que toute immobilité des approvisionnements (énergie, matières premières, etc.) est aussi combattue par la politique du « zéro stock » et des « flux tendus ». Combattre le temps, c’est combattre l’immobilité, la lenteur, tout accélérer, intensifier. Mais tous ces moyens sont bien connus. Ce qui est ici à comprendre de moins connu est qu’il s’agit de la conséquence de ce fait observé ci-dessus que le temps de production, dans la mesure même où c’est un temps, est aussi simultanément un temps de circulation du capital sous ses diverses formes. Plus long il est, moins grande est la vitesse de rotation du capital dans le procès de production, et moins grande aussi est la masse de pl produite en une année. Il y a donc un facteur de limitation de la valorisation, d’une moindre valorisation, d’une dévalorisation dans le procès même de valorisation effective, réelle. C’est là une contradiction inhérente au capital qui apparaît ici dans sa forme la plus synthétique: le capital social mesure la richesse par le temps de travail social (la valeur), mais chaque capitaliste n’a de cesse de chercher à réduire ce temps en voulant augmenter son profit particulier.
Dans la phase de la circulation « pure » (A-M, achat des conditions de la production; M-A’, vente du produit; A’-A’, circulation de l’argent), la recherche d’économie de temps est tout aussi acharnée. Elle a pris le moyen d’une spécialisation et d’une concentration des capitaux affectés aux différentes phases de cette circulation, avec notamment, le développement d’un capital commercial et d’un capital financier spécialisés. C’est ce dont nous allons parler au chapitre suivant.
Mais auparavant précisons une question de vocabulaire concernant les expressions circulation du capital et capital circulant, que l’on pourrait sinon confondre. Marx distingue dans la phase de la production le capital fixe (machines, bâtiments, etc.) du capital circulant (tous les « approvisionnements »: matières premières, énergie, produits semi-finis, quantités de travail vivant, etc.). Du point de vue de la rotation du capital dont nous venons de voir l’importance, on voit l’intérêt de cette distinction dans le fait que le capital circulant est entièrement consommé (sauf les éventuels stocks inutilisés) à chaque cycle, toute sa valeur passe dans le produit. Tandis que le capital fixe ne cède la sienne que par fractions, ce qui entraîne l’immobilisation de la fraction non utilisée. Cela constitue un frein à l’accélération de la vitesse de rotation du capital global, d’autant plus important que ce capital fixe l’est. D’où la recherche de son fonctionnement en continu que nous avons signalée. De plus, utilisé ou non, ce capital subit l’usure du temps et une obsolescence prématurée due à l’apparition de nouvelles machines plus productives qu’il faut employer pour ne pas être dépassé par la concurrence. Enfin, quand les affaires tournent au ralenti, le capitaliste ne peut pas économiser sur ce capital déjà acheté, les traites courent toujours. Tandis qu’il peut économiser sur le capital circulant en licenciant, stoppant les achats de matières premières, etc. Ainsi le développement du capital fixe permet de mieux valoriser le capital par la productivité qui augmente la vitesse de rotation du capital, mais limite en même temps cette valorisation en freinant aussi cette vitesse. Toujours cette contradiction valorisation-dévalorisation qui se développe en même temps que s’accumule le capital.
Bref, il ne faut pas confondre le capital circulant (par opposition au capital fixe)16 avec la circulation du capital (temps qui limite la production de pl): ça ne parle pas de la même chose, même si l’utilité commune de ces concepts est de permettre de mieux comprendre les facteurs de dévalorisation du capital qui coexistent avec ceux de sa valorisation, et sur cette base, d’analyser leur développement réciproque. Ce que nous allons maintenant pouvoir faire, en distinguant les facteurs de dévalorisation externes à la production stricto sensu, dans la circulation « pure », des facteurs internes.
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CHAPITRE 2. LE DEVELOPPEMENT DU CAPITAL IMPRODUCTIF ET SES EFFETS
2.1 Le capital improductif en général
Puisque les temps de circulation sont des temps improductifs qui limitent, diminuent la valorisation du capital, il faut que le capitaliste fasse tous ses efforts pour les diminuer. Cela dans toutes les phases du procès global de reproduction du capital. Ce qui l’amène, et nous dirons pourquoi, à spécialiser des capitaux dans différentes fonctions: industrielles, commerciales, financières (et plus tard, intellectuelles, de « services », etc.). On parlera alors de capital industriel, commercial, financier, etc. Mais tandis que pour les économistes tout capital est productif dès lors qu’il vend quelque chose et qu’il accapare un profit, pour Marx il n’en est rien car il n’y a de capitaux productifs que s’ils produisent (c’est un raccourci pour dire font produire) de la pl. Les autres, les capitaux improductifs, n’en produisent pas.
Le capital productif est bien sûr celui qui parcourt en se métamorphosant le procès de production de la pl au terme duquel il en est grossi. C’est le capital dit industriel. « Le capital industriel est le seul mode d’existence du capital où sa fonction ne consiste pas seulement en appropriation, mais également en création de plus-value, autrement dit de surproduit. C’est pourquoi il conditionne le caractère capitaliste de la production; son existence implique la contradiction de classe entre capitalistes et ouvriers salariés »17.
Le capital improductif ne produit pas de pl bien qu’il exploite des prolétaires18. Il gère, organise les fonctions propres à la circulation « pure », là où le capital circule sous forme de marchandises « expulsées » de la production et sous forme argent, et où donc il ne peut y avoir aucune création de valeur supplémentaire. Achat des moyens de la production (A-M), vente des marchandises (M-A’), ce ne sont que des échanges de valeurs équivalentes. Circulation de l’argent sous diverses formes (monnaie, créances, etc.), ce n’est que le déplacement d’une valeur donnée, inchangée. Ce sont essentiellement les fonctions commerciales et financières. « Les coûts de circulation n’ajoutent rien à la valeur du produit, ils ne sont pas des coûts qui posent de la valeur, et cela quel que soit le travail qui puisse leur être lié. Ce ne sont que des ponctions sur la valeur créée »19.
Les opérations commerciales et financières ne peuvent pas évidemment se faire sans moyens matériels, sans travail. Ce sont des coûts tout à fait nécessaires à la reproduction du capital puisque, dans le système de la propriété privée, tous les échanges nécessitent la médiation de l’argent, que la richesse produite doit toujours apparaître sous cette forme (forme de la valeur) pour être consommée ou reproduite. Mais ces opérations ne produisant aucune valeur, leurs coûts ne peuvent représenter que de la plus-value créée dans le procès de production proprement dit. Ces coûts viennent donc en diminution de la valeur créée par le capital industriel et lui revenant. Ils sont donc en proportion une diminution de la pl contenue dans cette valeur pouvant revenir dans un procès de valorisation et l’agrandir. Ils constituent « un obstacle à l’accroissement de valeur »20, un temps de dévalorisation du capital. « Les frais de circulation en tant que tels, c’est-à-dire la consommation de temps de travail ou de temps de travail objectivé (les moyens de production, n.d.a.), de valeurs engendrées par l’opération de l’échange et par une série d’opérations d’échanges, sont donc soit prélevés sur le temps de travail employé par la production (quand ces fonctions sont encore assumées au sein du capital industriel, n.d.a.), soit sur les valeurs posées par la production (quand ces fonctions sont externalisées). Ils ne peuvent jamais augmenter la valeur. Ce sont des faux-frais de la production… »21.
Nous allons maintenant expliciter le fonctionnement de ces capitaux improductifs, le capital commercial et le capital financier, afin d’analyser plus précisément en quoi ils contribuent à une meilleure valorisation du capital, mais aussi finalement – surtout le capital financier – à aggraver sa dévalorisation. Car bien qu’improductifs, ces capitaux exigent à ce titre de recevoir le taux de profit moyen, et plus si possible.
2.2 Le capital commercial
L’analyse du capital commercial ayant été largement et parfaitement faite par Marx22, nous n’aurons ici qu’à en présenter les principaux résultats, puis à en préciser l’évolution contemporaine. Elle est intéressante, surtout parce qu’elle permet de mieux comprendre ce qui est productif ou improductif – ce qui est essentiel pour comprendre la situation du capitalisme contemporain comme nous le verrons plus loin – en disséquant plus attentivement ce qu’on entend généralement par travail commercial. Lequel ne se limite presque jamais au seul échange vente-achat, somme toute un moment très fugace. Cet échange est stricto sensu le travail commercial, improductif en ce qu’il n’y a là qu’échange d’équivalents, lequel est tel parce qu’il « ne provoque qu’une modification de forme de la valeur »23 (de la forme marchandise à la forme argent et réciproquement). Or la fonction commerciale déborde en général ce seul échange, ce qui fait que le capital commercial est une espèce hybride, commandant des travaux tant improductifs que productifs.
Ainsi par exemple, « rien n’est plus courant que d’introduire dans les frais de circulation proprement dits des choses comme le transport, etc.… dans la mesure où elles sont liées au commerce. Dans la mesure où le commerce amène un produit sur le marché, il lui donne une forme nouvelle. Certes, il ne change que son existence spatiale. Mais pour nous, peu importe ici le mode de transformation formelle. Le commerce donne une nouvelle valeur au produit (et cela vaut jusqu’au détaillant qui pèse, mesure, emballe et donne ainsi au produit une forme pour la consommation) et cette nouvelle valeur d’usage coûte du temps de travail, est donc en même temps valeur d’échange »24. Cette citation est intéressante car elle précise que lorsqu’il y a amélioration, même minime comme l’emballage ou le pesage, de la valeur d’usage par un travail humain marchand, alors il y a aussi amélioration de sa valeur d’échange. Et dans le cas où il s’agit d’un travail salarié, il y a création de plus-value. Marx dira aussi de ces fonctions qui mettent les produits « sous forme consommable », prêts à être vendus, qu’il s’agit là « du procès de production prolongé à l’intérieur du procès de circulation »25.
Mais dans ces exemples d’emballage ou de pesage, nous n’avons là que des « épisodes accessoires de la circulation du capital sous la forme marchandise »26. Par contre, ils sont intéressants sur le plan conceptuel, celui qui nous intéresse ici, parce qu’ils se situent à la frontière qui délimite ce qui est productif et improductif, et permettent de mieux la définir, bien qu’il ne puisse pas s’agir d’une barrière nette et parfaitement étanche27.
Par contre, il en va tout autrement de certaines autres fonctions, « prolongement de la production » et liées au commerce, tels les transports, car le capital qui y est engagé participe d’un réel procès de production de pl. Aujourd’hui, beaucoup plus qu’à l’époque de Marx, ce travail « ajoute de la valeur aux produits transportés »28, puisque la valeur d’usage d’un produit amené à destination a ainsi été augmentée et que donc la « valeur d’échange croît dans la proportion du travail exigé par cette modification de la valeur d’usage »29. Il s’agit donc d’une activité productive, et même doublement si l’on peut dire puisque son perfectionnement contribue aussi fortement à diminuer le temps de circulation du capital sous forme marchandise dans les autres branches industrielles ou agricoles.
« Le principal moyen d’abréger le temps de circulation, c’est d’améliorer les communications »30. C’est pourquoi le capital s’y est employé vigoureusement au point de susciter une véritable industrie spécialisée des transports séparée du capital commercial, dont elle dépendait aux origines du capitalisme, et des industries de fabrication. De sorte qu’en réduisant considérablement les temps et les coûts des transports, cette industrie a puissamment contribué à l’élargissement mondial de l’aire de valorisation du capital et à l’accélération de sa vitesse de rotation. D’autres améliorations considérables des communications se sont aussi développées, par exemple, le télégraphe, le téléphone, les satellites et le GPS, et les diverses déclinaisons d’internet.
C’est l’efficacité induite par la spécialisation qui a poussé à la séparation du capital commercial d’avec le capital affecté à la fabrication, puis à séparer du capital commercial celui des transports, de la publicité, du stockage, etc. Pour en rester à la distinction générale capital commercial/capital industriel, les principaux avantages qu’apporte la spécialisation du commercial sont les suivants:
1°) Il raccourcit le temps de circulation du capital industriel (accélère sa rotation) en lui achetant ses produits avant qu’ils ne le soient par le consommateur final.
2°) Il réduit la masse de capitaux nécessaires aux fonctions commerciales en les effectuant à la fois pour de nombreux fabricants différents. Economie de frais commerciaux: cela réduit la dévalorisation du capital productif.
3°) Uniquement concentré sur les opérations commerciales, il peut y développer des méthodes plus efficaces: autre économie de frais commerciaux.
Bref, plus il se spécialise et se concentre en développant sa propre productivité, et plus il est efficace à accélérer la rotation de multiples capitaux dans diverses branches de la production, tout en mobilisant moins de capitaux que si ces fonctions étaient restées à la charge du capital industriel.
Mais d’où vient le profit commercial? Dans la mesure où le capital commercial est improductif, il ne peut provenir que de la valeur déjà produite dans le procès de production. Une part de pl est virtuellement contenue dans la part de valeur de la marchandise que l’industriel doit céder au commerçant qui se charge de la vendre. Le profit commercial ne vient pas d’une majoration arbitraire de la valeur de la marchandise, comme on le croit souvent parce que c’est l’apparence, mais au contraire du fait que le commerçant a acheté la marchandise en dessous de sa valeur. Diminution que l’industriel a dû consentir pour que le commerçant se charge des travaux et des aléas de la vente, et pour qu’il obtienne ce faisant le taux de profit moyen auquel a droit tout capital. Car le commerçant capitaliste ne se soucie pas de savoir si son capital est productif ou pas. Pour lui, comme pour tout capitaliste, c’est de l’argent qui doit rapporter de l’argent. Son capital entre dans la masse de tous les capitaux et, par le jeu classique de la péréquation des profits, son taux de profit tourne autour du taux moyen du capital social. Le profit du capital commercial provient donc de trois sources:
1°) De la part de la valeur des marchandises que lui cède le capitaliste industriel, donc de l’exploitation des travailleurs productifs. Cette part est en fait, plus précisément, une part de la pl générée dans le procès de production, puisque bien évidemment le capitaliste industriel ne peut pas, sauf à faire faillite, vendre son produit au capitaliste commercial en dessous de ses coûts de production (Cc + Cv).
2°) De l’exploitation des travailleurs qu’il emploie. Non pas que ceux-ci produisent de la pl, mais parce que plus le capitaliste commercial leur extorque de surtravail non payé, et plus il peut garder pour lui une plus grande part de la valeur reçue avec la marchandise achetée.
3°) De l’exploitation de l’ensemble des prolétaires productifs, par le jeu de la péréquation des taux de profit.
Le développement d’un capital commercial spécialisé ne supprime pas le fait que les activités commerciales constituent un prélèvement sur la pl produite dans le procès de production. Elles restent un facteur de dévalorisation du capital social, d’abaissement du taux de profit moyen puisque celui-ci rapporte les profits à la masse de tous les capitaux, productifs ou non. Mais par cette spécialisation, le capital commercial restreint cette diminution qui serait effectivement bien plus forte si le capitaliste industriel se chargeait lui-même des fonctions commerciales (ce qui n’arrive plus que très marginalement, dans certains secteurs du luxe notamment et pour des produits très spécifiques comme des avions, des gros équipements, tout ce qui ne concerne pas une consommation de masse). En ce sens, il est « indirectement productif »31.
Mais cet effet favorable tend à diminuer dans une situation où le degré d’accumulation et de productivité du capital entraîne une production de masse de plus en plus difficile à écouler avec, de plus en plus souvent, des problèmes de surproduction. De sorte que les dépenses commerciales ne cessent de s’amplifier de la part de chaque capitaliste pour essayer de surmonter ces difficultés et de vendre toujours plus (y compris à crédit). On sait, par exemple, la croissance fantastique des dépenses publicitaires dans ce dernier demi-siècle pour créer toutes sortes d’incitations et de besoins qui, souvent, n’apportent rien d’autre qu’abêtissement et aliénation. Une énorme force de travail et beaucoup d’argent sont ainsi consacrés à la publicité, aux études de marché, au « marketing », etc. Tous les domaines et toutes les techniques possibles de manipulation des foules sont utilisés, ceux de l’image, de la psychologie, de la littérature, du sport. La « communication » (nom donné à la publicité et à la propagande) est une des « industries » aujourd’hui les plus prospères et, certainement, la plus envahissante. Bref, tous ces efforts pour vendre mobilisent tellement d’argent (sans parler des pots de vin, des rétro-commissions pour le personnel politique, etc.) que le prix d’une marchandise destinée au public contient souvent aujourd’hui 20 % ou plus de frais commerciaux en tous genres. C’est une masse de faux-frais qui accélère considérablement la dévalorisation du capital productif.
De plus, le développement du capital commercial aboutit à une concentration oligopolistique telle qu’elle lui donne un pouvoir très puissant sur le capital industriel. Ces oligopoles (les Wal-Mart, Carrefour, Tesco, etc.) arrivent ainsi souvent à imposer aux fournisseurs des prix très bas à la vente de leurs marchandises, tout en leur imposant aussi de participer financièrement à divers frais de vente (marges arrières, promotions, etc.). Ils s’approprient ainsi une part plus grande de leur valeur et transforment beaucoup de ces fournisseurs (et évidemment surtout les plus faibles tels les producteurs agricoles qui enragent périodiquement contre les grandes surfaces) en quasi sous-traitants dominés par le capital commercial (qui souvent vend leurs produits sous ses propres marques de distributeur). C’est là aujourd’hui un autre facteur de dévalorisation du capital productif.
Ainsi, le capital commercial en se développant comme moyen de réduire les coûts commerciaux – et donc la dévalorisation du capital qu’ils engendrent – finit par générer une tendance inverse du fait de l’importance qu’ont prise ses fonctions dans le capitalisme moderne avec les difficultés d’écouler une production de masse débridée. « Plus le capital commercial est grand par rapport au capital industriel, plus petit est le taux de profit industriel et inversement »32.
Certes, la productivité dans les activités commerciales augmente aussi, ce qui en abaisse le coût. Notamment aujourd’hui avec l’informatique qui permet une gestion automatique des flux d’approvisionnements, la suppression des caissières (elles représentent aujourd’hui environ le quart des effectifs de la grande distribution), et jusqu’au e-commerce. Mais cela ne supprime pas la croissance de la plupart des coûts commerciaux évoqués ci-dessus. Par contre, cela participe à la tendance de la diminution générale de « l’emploi », donc de la consommation finale, dont nous reparlerons plus loin.
2.3 Le capital financier
L’analyse du capital financier contemporain pourra ici être brève puisqu’elle a déjà été faite dans un ouvrage précédent33.
Le capital financier ne s’occupe que de la circulation de l’argent, le collecte, le concentre, le déplace, le prête, spécule, etc. Si la fonction de banquier remonte à longtemps, se développant avec les échanges marchands, le capital financier en tant que forme spécifique et relativement autonome du capital, et aussi de sa propriété juridique, est, à partir du 19ème siècle, contemporain du capitalisme moderne fondé sur le crédit. Il s’est développé en même temps que le rôle du crédit dans la reproduction élargie du capital devenait de plus en plus essentiel.
Or si le capital commercial stricto sensu ne crée pas de valeur, cela, si l’on peut dire, « est encore plus vrai du capital usuraire ». En effet, dans le capital commercial, il y a encore la marchandise qui circule, ce qui fait que, comme nous l’avons vu précédemment, certaines fonctions plus ou moins productives se prolongeaient dans les fonctions commerciales. Tandis que dans le capital financier, la marchandise a comme disparu. Pour lui, « la forme A-M-A’ se résume sans moyen terme dans les extrêmes A-A’, argent qui s’échange contre plus d’argent… »34.
Seule la division qui, au sein du procès de reproduction du capital, confie la gestion des fonctions et activités de la circulation de l’argent à un capital spécialisé fait croire que celui-ci est un capital productif comme un autre, et qu’il serait possible que l’argent rapporte de l’argent sans entrer dans un procès de production de pl réel. « C’est parce que l’aspect argent de la valeur est sa forme indépendante et tangible que la forme de circulation A-A’… exprime de la façon la plus tangible l’idée « faire de l’argent », principe moteur de la production capitaliste… C’est pourquoi toutes les nations adonnées au mode de production capitaliste sont prises périodiquement du vertige de vouloir faire de l’argent sans l’intermédiaire du procès de production »35.
Le capital financier c’est le crédit, et le crédit c’est la spéculation. Le crédit est une création d’argent qui, simple signe, monnaie ou créance quelconque, peut être démultiplié sans rapport avec une richesse réellement créée. Le crédit permet ainsi d’acheter des moyens de production ou des biens de consommation sans les payer immédiatement (et même, avec les diverses opérations à terme, sans jamais avoir l’intention d’en user). Ainsi, de nouveaux cycles de production peuvent être engagés sans que les précédents aient été validés par une vente bénéficiaire réelle. Ainsi, aussi, se développe un capital virtuel (un espoir de validation réelle) qui engendre vite un capital financier purement fictif (des créances qui ne seront jamais remboursées), lequel se développe comme pures spéculations manigancées dans ces casinos modernes où jouent toutes sortes de traders. Avec le crédit, le capital argent s’autonomise effectivement jusqu’à un certain point – le krach financier – en s’auto-multipliant sur lui-même, formant d’énormes bulles financières pleines de capital fictif.
Ce qu’il s’agit ici de rappeler n’est pas ce processus, mais son importance dans ses effets sur la dévalorisation du capital en tant que le capital financier est évidemment un capital improductif. Importance beaucoup plus grande que celle du capital commercial du fait de cette autonomie relative qui permet cet accroissement débridé, tandis que celui du capital commercial est étroitement lié au développement réel de la consommation, donc de la production.
Bien sûr, le crédit a toujours joué un rôle effectif dans l’accroissement de la production de pl en ce que, en permettant d’entamer de nouveaux cycles de production sans que les précédents aient été bouclés, validés par une vente réelle, il accélère considérablement la vitesse de rotation du capital (dont il permet aussi la concentration et les augmentations de productivité qui s’en suivent). Ainsi, le crédit semble avoir la faculté d’abolir le temps de circulation, de pouvoir permettre une production de pl sans temps de circulation. Ce qui semble réaliser ce vœu cher au capital, cette « tendance nécessaire du capital à viser une circulation sans temps de circulation… tendance (qui) est la détermination fondamentale du crédit et dispositifs de crédit du capital »36.
Mais évidemment, accélérer la circulation de l’argent n’abolit nullement le temps de production, qui est aussi un temps de circulation du capital sous d’autres formes. Seuls le capitaliste financier et la plupart des économistes semblent l’ignorer tant ils croient à leur idéal de « faire de l’argent sans l’intermédiaire du procès de production ». Ce n’est jamais l’argent, ni même les machines qui produisent la pl, mais le travail productif (dont nous préciserons plus en détail ultérieurement ce qu’il est). L’intérêt ou le dividende que reçoit le capitaliste financier n’est qu’une part de cette pl. Cette part est donc globalement un prélèvement qui diminue celle qui retourne au capital productif pour sa reproduction (et aux capitalistes actifs pour leur consommation), un facteur de dévalorisation de ce capital qui existe conjointement avec le rôle de stimulant extérieur (ou dopage) de la valorisation que constitue aussi le crédit.
Le capital financier prélève d’autant plus de pl qu’il doit se rémunérer non seulement comme capital de prêt, mais aussi comme capital ayant ses propres moyens matériels (immeubles, informatique, fournitures diverses, etc.), et forces de travail humaines. Dans toutes les grandes métropoles du monde, d’innombrables, gigantesques et luxueuses tours de bureaux abritent les états-majors financiers, tandis que ces personnels dirigeants et autres traders reçoivent des revenus pharamineux.
Tous ces prélèvements sur la plus-value produite dans les branches industrielles du capital augmentent au fur et à mesure de l’accroissement du crédit qui accompagne et facilite celui de l’accumulation et de la concentration du capital ainsi que la mécanisation de la production. Au point que, pour prendre l’exemple du pays capitaliste le plus développé, les U.S.A., la part des banques dans le profit total des entreprises est passé de 10 % en 1980 à 40 % en 200737. La même tendance existe dans tous les grands pays capitalistes, et manifeste bien que le capital financier est devenu un facteur de dévalorisation du capital plus que de valorisation38. Cela se manifeste aussi à travers l’hyper-accroissement du crédit, comme moyen de palier l’abaissement de la production de pl. Car, comme on le sait d’évidence avec la crise, ce dopage artificiel de la production et de la consommation aboutit à une suraccumulation de capital et de dettes. L’énorme masse des créances diverses, qui se révèlent alors irrécouvrables, réalise, rend visible, évidente, cette dévalorisation du capital (dont l’hypertrophie du capital financier fictif n’a été qu’une cause parmi les autres) qui prend la forme brutale d’une destruction massive pure et simple de milliers de milliards de dollars, d’euros, etc. Et pourtant cette destruction, déjà énorme, a été momentanément très amoindrie par les interventions des Etats qui ont masqué presque toutes les pertes en les transformant en dettes publiques gigantesques. Ils tentent ainsi de contrecarrer la dévalorisation du capital par l’écrasement des peuples sous les impôts, l’inflation, la destruction de tous les acquis sociaux, tous moyens censés rembourser ces dettes. Mais cela ne suffira pas à les rembourser, ne serait-ce que parce qu’alors la consommation chutera davantage. La dévalorisation du capital apparaîtra donc bientôt dans toute son ampleur et sa violence destructrice, dont on ne voit aujourd’hui que le début du fait de ce sauvetage provisoire du système du crédit sur lequel repose toute la reproduction du capital contemporain.
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CHAPITRE 3. AUTRES FREINS ET OBSTACLES A L’ACCUMULATION GENERALE
Nous avons rappelé (cf. chapitre 1) le concept de consommation productive comme définissant une consommation, une usure par le travail vivant des moyens de production dans laquelle les forces de travail sont elles-mêmes consommées, qui aboutit à reproduire de façon élargie le capital sous la forme argent et aussi sous la forme des moyens de production et des forces de travail nécessaires à la mise en œuvre effective de cette reproduction élargie (à la transformation effective de cet argent en capital accru).
Reproduire une force de travail élargie, c’est produire plus de biens de consommation individuels nécessaires à son existence. S’agissant des prolétaires, il s’agit même seulement des biens « strictement nécessaires » à leur existence pour le capital, de sorte que la plus-value, existence du capital, soit maximale. Les biens de consommation individuels produits au-delà de ce nécessaire sont, selon l’expression de Marx, « moyens de jouissance ». Etant entendu que la frontière entre les deux est: 1°) historique, ce qui est luxe à une époque, ou même inexistant (par exemple l’électricité), pouvant être un besoin très nécessaire à une autre; 2°) évidemment approximative.
Produire pour « des moyens de jouissance » correspond à une consommation improductive en ce sens que cela n’aboutit pas à produire les éléments nécessaires à la reproduction élargie du capital social. Par exemple, non seulement la joaillerie ou la mode, les yachts et autres industries du luxe, mais aussi le tourisme, y compris petit bourgeois, avec ses croisières, stations balnéaires ou de ski, séjours « culturels » ou sexuels, toutes choses qui transforment une partie des populations pauvres des pays concernés en simples domestiques. Mais si cette consommation présente en ce sens un caractère improductif pour le capital social, cela ne veut pas dire qu’il ne s’agisse pas de capitaux effectivement productifs de plus-value (contrairement au capital commercial par exemple). Cela est vrai plus généralement de toutes les activités productives qui n’aboutissent pas à produire les éléments nécessaires à la reproduction élargie du capital social, par exemple encore l’industrie de l’armement.
S’il est utile d’examiner de plus près ce type de productions, ce n’est pas pour juger de leur utilité d’un point de vue humain (du développement humain): de cela, le capital n’a cure, il ne s’intéresse qu’au profit, et il y en a dans ces activités. Mais c’est pour les juger du point de vue de leurs effets sur l’accumulation du capital social en général (la production générale de pl). Examen d’autant plus utile que ces industries se sont considérablement développées depuis le 19ème siècle où Marx livrait son analyse géniale du capitalisme. Nous prendrons pour commencer l’exemple de l’industrie du luxe.
Dans son étude sur la reproduction du capital, Marx la définit comme celle produisant des marchandises « qui n’entrent que dans la consommation de la classe capitaliste et ne peuvent donc être échangées que contre de la plus-value, qui n’échoit jamais à l’ouvrier »39. Quoiqu’elle lui échoie parfois aussi un tout petit peu «… en période de prospérité… (alors) la classe ouvrière… prend aussi part momentanément à la consommation des articles de luxe qui, d’ordinaire, lui sont inaccessibles »40. Cette occurrence n’a en fait concerné de façon significative que les pays impérialistes, où elle s’est manifestée comme le phénomène dit de « l’aristocratie ouvrière », et celui de la prolifération d’une énorme masse de petits et moyens bourgeois salariés (dont la crise commence à mettre sérieusement à mal la situation!).
Le développement de l’industrie du luxe, ainsi définie, dépend donc de la pl issue du capital social productif (dont elle n’est qu’une petite partie). C’est de là que provient l’argent qui achète ses produits et qui permet sa reproduction élargie. Cette pl n’est donc pas investie dans la production d’éléments nécessaires à la reproduction élargie du capital social (moyens de production et biens de consommation « strictement nécessaires » à la reproduction de la force de travail), mais dans la production de « moyens de jouissance » pour la bourgeoisie. Le capital de l’industrie du luxe est un capital productif en ce sens qu’il produit de la pl (il produit des valeurs d’usage en absorbant plus de travail social prolétaire qu’il n’en paie). Mais toute la valeur des marchandises qu’il produit s’échange contre de la pl sociale, la consomme. Comme il doit acheter des moyens de production et les biens de consommation nécessaires à l’entretien des travailleurs qu’il emploie, une partie de cette pl retourne dans les branches du capital qui produisent ces marchandises. Cela constitue pour ces capitaux un facteur d’accumulation. Mais une autre partie n’y retourne pas, disparaît définitivement dans la consommation des produits de luxe. Elle est perdue pour cette accumulation, elle en freine la croissance qui serait évidemment bien plus ample et plus rapide si toute la pl était consacrée à la reproduction élargie des moyens de productions et des prolétaires les utilisant41. Les produits de luxe sont sous cet aspect une consommation improductive de capital, bien qu’ils constituent un débouché de plus en plus important pour l’industrie capitaliste en général puisque l’industrie du luxe croît avec l’accumulation du capital qui concentre de plus en plus de richesse aux mains de la haute bourgeoisie. C’est là une manifestation des gaspillages de travail social et de parasitisme que développe le capitalisme au fur et à mesure de son vieillissement. Bref, le capital du luxe est certes un capital productif, mais aussi en même temps un capital qui gaspille de la pl au détriment de l’accumulation générale dont il freine le développement. C’est dire qu’il ralentit la valorisation du capital social (c’est le contraire du capitaliste protestant qu’analysait Max Weber, pour lequel les vertus d’une certaine austérité et de l’épargne étaient pratiquées afin d’accélérer au maximum cette valorisation et l’accumulation du capital).
Mais l’industrie du luxe n’est dans ce domaine qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Marx a analysé de nombreux cas de consommations improductives de capital par des capitaux productifs de pl à titre particulier (qu’on ne peut donc pas seulement assimiler aux capitaux commerciaux et financiers, totalement improductifs, aussi bien de pl que d’éléments de sa production). Ainsi, la fabrication de la monnaie qui « retire à l’exploitation sociale une somme correspondante de moyens possibles, supplémentaires, de production et de consommation, c’est-à-dire de la richesse effective »42. Mais on peut en dire autant, par exemple, de toutes les productions industrielles dont les produits sont affectés aux activités commerciales ou financières: bâtiments, équipements informatiques et autres, fournitures diverses, biens de consommation pour ces personnels sont autant de fabrications qui ne sont pas utilisées pour produire de la pl et, comme nous l’avons vu, sont pour le capital social productif des coûts qui le dévalorisent, même si les entreprises particulières fabriquant tout cela génèrent de la pl. Cela est aussi particulièrement vrai des industries de l’armement. Très fortes consommatrices de pl, les industries de l’armement ne sont peut-être pas « pour la jouissance » comme le luxe, mais pour la destruction. Soit les armes ne sont pas utilisées et elles rouillent et sont détruites, soit elles le sont, et ce sont des destructions encore bien pires et bien plus considérables, et pas seulement en termes de capitaux. Ces destructions ne sont évidemment pas de l’accumulation.
Toutes ces consommations improductives ne sont pas seulement des facteurs de ralentissement de l’accumulation générale, de moindre valorisation du capital social. Elles constituent aussi un gigantesque gaspillage de temps de travail social, comme aussi de ressources naturelles non renouvelables, qui écrase les peuples et détruit la planète. Il s’agit d’un gaspillage du temps de travail des prolétaires de ces industries tels le luxe, l’armement, etc., mais aussi de celui des prolétaires qui en fournissent les moyens de production et les approvisionnements. Gaspillages au seul profit des classes bourgeoises, de ses jouissances, de ses rivalités pour l’accaparement des richesses, de ses dépenses pour son maintien au pouvoir, etc. Gaspillages qui se traduisent aussi par une ponction sur les salaires, directs et indirects, des prolétaires, puisque ce sont eux qui les paient par les impôts, ou plus généralement, par le surtravail (travail non payé) accru qui fournit la pl qui les paie.
Ces gaspillages représentent aujourd’hui une part extrêmement importante de la production capitaliste. Par exemple, on sait que les dépenses militaires augmentent non seulement avec le nombre et l’étendue des conflits43, mais surtout avec la sophistication technologique extrême des armements. L’industrie du luxe se développe pareillement en même temps que l’accumulation historique du capital, puisque celle-ci est nécessairement accumulation de la richesse du côté de la bourgeoisie, laquelle dépense d’autant plus en moyens de jouissance une fortune sans cesse accrue que les possibilités d’investissements productifs deviennent moindres44 (ce que manifeste la crise).
Les bourgeois et leurs économistes disent: peu importe ce à quoi les riches et leurs Etats dépensent la plus-value qu’ils accaparent puisque toutes leurs dépenses créent de l’emploi! Toute consommation est bonne « pour l’emploi », donc plus les riches consomment et plus il y en a, c’est bon pour tout le monde!
C’est une argumentation éculée, dont la fable des abeilles de Mandeville a donné autrefois (1705) une célèbre illustration. Il n’est même pas vrai que toutes ces consommations improductives soient des plus favorables à l’emploi puisque, comme nous venons de le rappeler brièvement, elles freinent au contraire l’accumulation, la fameuse « croissance » que droite comme gauche appellent de leurs vœux. Mais surtout, évidemment, on voit le cynisme de tels arguments qui affirment que les prolétaires devraient remercier les bourgeois qui leur « donnent du travail ». Des travaux pénibles pour que les bourgeois se vautrent dans le luxe, déclenchent des guerres aux quatre coins du monde, paient les policiers et magistrats qui écraseront ces prolétaires, stipendient des myriades de journalistes et autres propagandistes affublés parfois du titre « d’élites intellectuelles », etc.
Le capitalisme produit toutes sortes de choses et de situations qui créent des besoins de consommation particuliers, et réciproquement45. Marx ne cesse de ridiculiser les économistes pour qui n’importe quel travail46, n’importe quelle production, n’importe quelle consommation contribuent à l’accumulation du capital (à la « croissance » diraient-ils aujourd’hui). Par exemple, dans ce passage ironique souvent cité: « Un criminel produit des crimes. Si on considère de plus près le rapport de cette dernière branche de production avec l’ensemble de la société, on reviendra de biens des préjugés. Le criminel ne produit pas seulement des crimes, il produit aussi le droit criminel et, par suite, également le professeur qui fait des cours de droit criminel et, en outre, l’inévitable traité dans lequel ce même professeur jette sur le marché général ses conférences comme « marchandises ». Cela entraîne une augmentation de la richesse nationale… Le criminel produit en outre toute la police et toute la justice criminelle… Il produit aussi de l’art, de la littérature, des romans… On peut prouver jusque dans le détail l’influence qu’exerce le criminel sur le développement des forces productives. Les serrures auraient-elles jamais atteint leur perfection actuelle s’il n’y avait pas des voleurs?… (et) la fabrication des billets de banque (sans les) faux monnayeurs?, etc. »47.
Mais construire et entretenir des prisons, des commissariats de police, des laboratoires de police scientifique, des facultés de droit, etc., et solder tous ces personnels, sont autant de consommations improductives qui obèrent l’accumulation du capital, autant de « faux-frais » qui stérilisent de la pl et dévalorisent le capital social, autant de quantités de travail gaspillées (c’est pourquoi même un gouvernement sarkozyste ultra-sécuritaire a diminué le nombre de policiers, tout en facilitant le développement de sociétés privées de sécurité). Par exemple aux U.S.A., 2 310 000 personnes sont en prison (pour l’essentiel issues des couches paupérisées noires, Chicanos,… un chiffre qui pourrait être en grande partie ajouté au nombre officiel de chômeurs), l’administration pénitentiaire est le troisième employeur du pays derrière General Motors et Wal-Mart, sans parler des avocats qui pullulent, tandis que les services secrets américains emploieraient à eux seuls 854 000 personnes dans 1271 agences gouvernementales et 1931 compagnies privées48.
Mais des « faux-frais », le capital en produit toujours plus dans le cours de son développement historique. Nous l’avons vu en ce qui concerne le développement du capital financier et commercial. On vient de le voir pour ce qui concerne celui de la criminalité. On pourrait encore citer de très nombreux exemples. Ainsi, l’augmentation des dépenses pour la santé. Elles sont inutiles pour le capital social quand il s’agit d’entretenir les personnes âgées et de prolonger la vie dans des conditions qui, bien que souvent détestables, constituent pour lui des coûts très importants. Elles sont nécessaires quand il s’agit de l’entretien de la force de travail qu’il peut utiliser, mais ce sont toujours des « faux-frais ». On voit là encore que ce qui est productif de pl pour des capitaux particuliers ne l’est pas pour le capital social. Ainsi les accidents du travail et ceux liés à l’explosion des transports routiers, les maladies professionnelles, les pollutions en tout genre, l’alcoolisme, les drogues, etc., augmentent sans cesse les dépenses sanitaires. Mais celles-ci sont surtout des conséquences parmi d’autres de l’extraction du maximum de pl par chaque capital particulier bien plus que causées par les progrès de la médecine et de ses moyens. Et dans la mesure où il lui faut tenter de soigner, de réparer les dégâts, cela permet aussi de valoriser les capitaux particuliers qui s’occupent de cette tâche: industrie pharmaceutique, cliniques, appareillages médicaux, multiples structures de soins dits de prévention (fitness, bains,..), etc. Mais ce sont autant de frais qui, prélevés sur la valeur produite par le capital social, le dévalorisent. Car, qu’ils soient payés par des cotisations patronales ou prélevés sur les salaires, il s’agit d’une augmentation du coût de la force de travail. Certes, la bourgeoisie cherche à la contrecarrer en faisant passer le plus possible ces frais sur les seuls salaires, ce qui tend à abaisser le prix de la force de travail en dessous du minimum nécessaire à sa reproduction (les prolétaires peuvent bien crever: la crise révèle qu’il y en a beaucoup trop pour les besoins du capital!). Mais alors, il s’agit aussi d’une baisse de la consommation et d’un accroissement des antagonismes de classe qui obèrent d’une autre façon la valorisation du capital social.
En fait, c’est l’ensemble du système capitaliste qui ne cesse de produire des dégâts qu’il doit ensuite, au moins pour une part, réparer afin de pouvoir continuer à fonctionner. Ce qui multiplie les « faux-frais », ponctions sur la pl qui financent des matériaux et des travaux seulement destinés à remettre en état ce que les capitalistes particuliers ont cassé pour maximiser leurs profits, dépolluer ce qu’ils ont pollué, bref, rafistoler sans cesse de tous côtés. Mais tout cela serait de « la croissance », et augmente d’ailleurs effectivement les chiffres des PIB qui sont censés la mesurer49. Certes, les capitaux qui s’occupent de ces réparations se valorisent et s’accumulent. Mais pour l’ensemble du capital social, ce ne sont que des coûts de production supplémentaires, des « faux frais ». « Des frais qui renchérissent le prix de la marchandise sans lui ajouter de la valeur d’usage, qui appartiennent donc pour la société aux faux-frais de la production, peuvent être une source d’enrichissement pour le capitaliste individuel »50. Si casser puis réparer une marchandise n’ajoute rien à la valeur d’usage de celle-ci, c’est un coût qui augmente sa valeur, le capital argent qu’elle mobilise, et qui donc dévalorise le capital social.
On pourrait multiplier les exemples (qu’on songe encore aux mégapoles que produit le capitalisme et aux frais d’urbanisation et de transports démentiels que cela génère51, sans parler des nuisances et catastrophes sanitaires multiples). Mais dix livres n’y suffiraient pas! Le capitalisme a produit un système de productions et de besoins qui génère non seulement exploitation et aliénation, mais aussi d’énormes gaspillages de quantités de travail, de ressources, ainsi que d’innombrables nuisances. Mais il forme un tout dont la base est l’appropriation privée des moyens de production et d’échange. Il ne peut pas être corrigé radicalement de ce que les idéologues bourgeois présentent comme des anomalies, des excès, des erreurs, car cela n’en sont pas: c’est le fonctionnement même du capital, inhérent à ce rapport d’appropriation privé qui génère nécessairement, inéluctablement, tous ces phénomènes. Tout ce que le capital peut faire en essayant, et seulement quand ça lui est nécessaire, de corriger un « excès » ou de réparer un dégât, c’est d’aggraver ses propres contradictions.
Mais il faut voir surtout, et nous y reviendrons (chapitre 7) car c’est là l’essentiel – et non pas se lamenter et s’indigner, impuissant, dans la description des méfaits du capitalisme – que tous ces travaux relatifs aux consommations improductives, aux gaspillages, aux parasitismes, que nous avons évoqués ci-dessus et qu’engendre le capitalisme en quantités toujours plus grandes avec son vieillissement, constituent par leur possible et nécessaire suppression une base extraordinairement forte pour la réduction du temps de travail social et l’augmentation concomitante du temps libre qu’une révolution pourra et devra réaliser, et qui sera un moyen très puissant pour l’abolition du capital.
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CHAPITRE 4. DES MOYENS D’AUGMENTER LE TAUX DE PROFIT QUI FINISSENT PAR LE DIMINUER
4.1 La plus-value est à partager avec une masse croissante de capitaux improductifs
On sait que le taux de profit, seul but poursuivi par chaque capitaliste, est le rapport entre la pl qu’il obtient et le capital argent qu’il a pour cela engagé. Soit le rapport pl/Cc + Cv. On sait aussi qu’il tend sans cesse à s’établir un taux de profit moyen entre tous les capitaux argent, car tous prétendent évidemment au même rendement, qu’ils soient productifs ou improductifs, à forte ou à faible composition organique52. Ce taux moyen se forme par le déplacement des capitaux des branches de production à plus faibles taux vers celles aux taux plus élevés, ce qui y fait baisser les prix de vente des marchandises, donc le taux de profit, et inversement pour les premières que fuient les capitaux. Ce mécanisme, dit de la péréquation des taux de profit, revient finalement à une répartition de la pl globale en faveur des branches à forte composition organique. En réalité, les capitaux particuliers ne reçoivent pas la pl qu’ils produisent, mais une part de la pl générale (par le moyen de prix de vente des marchandises qui diffèrent en plus ou en moins de leurs valeurs) de telle sorte que leurs taux de profit s’égalisent.
Nous avons vu que les capitaux improductifs, commerciaux et financiers, participent à la diminution de ce taux de profit moyen, dont évidemment ils exigent d’être aussi bénéficiaires en recevant leur « juste part » de pl, bien qu’ils n’en produisent pas53. Il faut rappeler ici ce que nous avons conclu (cf. chapitre 2) à leur propos. A savoir que s’ils se sont spécialisés et développés comme moyens de diminuer la part de pl que ces fonctions ponctionnent sur le capital productif, leur développement même a, malgré tout, entraîné un prélèvement de plus en plus massif de celle-ci. De sorte que le capital commercial et encore bien plus le capital financier constituent aujourd’hui des facteurs d’une dévalorisation considérable du capital productif. Si, comme le calculent plus ou moins approximativement les économistes, environ 40 % des profits totaux des entreprises sont captés par le capital financier (cf. note 37) et environ 20 % le sont par le capital commercial (part estimée des coûts commerciaux dans la valeur produite), alors ce sont déjà 60 % de la pl produite qui ne participent pas à la valorisation et à la reproduction du capital productif.
Mais il n’y a pas que les capitaux financiers et commerciaux qui consomment de manière improductive de la pl. Nous avons vu (chapitre 3) que la croissance capitaliste s’accompagnait aussi nécessairement de toutes sortes de « consommations improductives » de branches industrielles tels le luxe et l’armement qui consomment plus de pl sociale qu’elles n’en produisent en particulier. Rien qu’un secteur comme le tourisme représente en France un chiffre d’affaire d’environ 100 milliards d’euros par an et « du point de vue de la balance des paiements rapporte autant d’argent que l’aéronautique et l’automobile réunies »54. Et bien sûr, il y a toutes sortes d’autres faux-frais et gaspillages dont nous n’avons évoqué que quelques-uns. Tout ceci freine et, à la longue, tend à étouffer la valorisation, la reproduction du capital.
Mais il y a encore d’autres causes de dévalorisation du capital, dont une fondamentale parce qu’elle se situe à la source même de la production de la pl, dans le procès de production: la diminution constante de la quantité de travail productif (nous préciserons plus loin ce concept) qui y est employé.
4.2 Une époque où la production de plus-value tend à diminuer
On sait que le moyen essentiel par lequel chaque capitaliste cherche à augmenter son profit est, depuis longtemps, le développement de la productivité. Ce qu’il obtient en remplaçant du travail vivant par une machinerie plus perfectionnée, de telle sorte que la production de la même quantité d’une même marchandise mobilise un capital Cc + Cv moindre (l’augmentation de Cc que cela implique doit donc être moindre que la diminution de Cv obtenue). Ces hausses de productivité induisent une baisse de la valeur de chaque marchandise ainsi produite et, en se développant progressivement dans toutes les branches d’activités, aboutissent à une diminution généralisée des prix des moyens de production comme des biens de consommation. Ces baisses pouvant être relatives à des salaires qui stagnent, voire même augmentent un peu, cela induit une élévation du niveau de la consommation qui permet d’écouler une production devenue plus massive, et donc de réaliser par là une plus grande quantité de pl: même s’il peut y en avoir moins dans chaque marchandise particulière, la masse des profits augmente avec la masse des marchandises vendues. C’est par exemple ce qui s’est grosso modo passé pendant les dites « 30 glorieuses » d’après-guerre.
Mais il est inutile d’entrer ici plus avant dans l’analyse souvent énoncée et bien connue de la puissance des effets que les hausses de productivité ont effectivement eu sur l’extraordinaire croissance de l’accumulation capitaliste et la production de richesses ces deux derniers siècles. Il est plus d’actualité de rappeler pourquoi cette période est terminée depuis l’ouverture, dans les années 1970, d’une période de « crise chronique » de la reproduction du capital, dont le krach de 2008 a été un nouveau pic. La cause fondamentale en est que les hausses constantes de productivité, sans lesquelles le capital ne pourrait pas connaître de reproduction élargie, finissent, malgré l’augmentation de la consommation et de la production qu’elles induisent d’abord, par abaisser la quantité de travail productif de pl employé jusqu’à un point où ce sont à la fois cette production de pl et sa réalisation qui s’effondrent. C’est le résultat découvert par Marx de l’accumulation capitaliste qui, plus elle se développe dans l’histoire et plus le niveau de mécanisation est élevé, induit cette conséquence inéluctable que « plus le travail gagne en ressources et en puissance… plus la condition d’existence du salarié, la vente de sa force de travail devient précaire… La population productive croît en raison plus rapide que le besoin que le capital peut en avoir »55.
La crise oblige les capitalistes à mettre en œuvre des mesures aptes à relancer la valorisation du capital. Or aujourd’hui, ils se trouvent devant des difficultés intrinsèques pour accroître la production de pl sans diminuer sa réalisation (la consommation, qui dépend in fine de celle des biens courants). Cela pour plusieurs raisons56:
1°) Le niveau d’automatisation et de puissance atteint par la machinerie (le capital fixe) est déjà très élevé, intègre un très fort contenu scientifique (aussi bien en termes de sciences fondamentale et appliquée que de technologies). De ce fait, toute hausse supplémentaire de productivité coûte de plus en plus cher en capital. Or, pour la même raison, la quantité de travail productif contenue dans la valeur des marchandises produites est relativement faible (souvent pas plus de 15 à 20 %). Une mécanisation accrue, plus performante, coûtera donc cher pour une économie de travail vivant faible. C’est dire qu’augmenter Cc moins que Cv ne diminue, condition pour qu’il y ait hausse de la productivité, devient très difficile, peu ou pas rentable. Cela se manifeste d’ailleurs par le fait qu’une large part des profits n’est souvent pas réinvestie en recherche et en machines plus performantes mais est, par exemple, consacrée à des rachats d’actions, au versement de dividendes plus élevés, à des rachats d’entreprises (OPA), etc.
2°) Face à ces difficultés d’augmenter la pl relative (productivité), les capitalistes doivent porter leurs efforts vers l’augmentation de la pl absolue, notamment par l’accroissement de l’intensité du travail pendant les heures travaillées et la stricte adaptation du temps d’embauche à ces seules heures (précarité des emplois, flexibilité des temps et des postes de travail, rapidité des gestes). Cela, bien que portant aussi sur une relativement faible quantité de travail, peut avoir un certain rendement dans la mesure où il n’y a pas ou peu d’augmentation de Cc57. Par contre, c’est une forme beaucoup plus claire et brutale de l’exploitation des prolétaires, ce qui pousse à l’accentuation de la lutte de classe et affaiblit le capital par ce côté.
3°) Reste surtout aux capitalistes la voie radicale de l’abaissement des coûts salariaux (spécialement en termes de coûts salariaux unitaires), très pratiquée en cette période historique, d’abord à travers les délocalisations (mondialisation), puis avec la destruction des acquis sociaux (le salaire dit indirect, plus exactement le salaire social) là où il y en a, l’inflation monétaire, les hausses d’impôts, etc. Mais là encore, cette formidable aggravation de la situation des prolétaires des pays développés, tandis que celle des paysans pauvres qui le sont devenus dans les pays « émergents » stagne dans les bas-fonds, est un puissant facteur d’accentuation de la lutte de classe.
En conclusion, on voit que surmonter les difficultés causées à la reproduction du capital par tous les facteurs qui le dévalorisent se heurte à cette autre difficulté majeure que représente le niveau atteint par la diminution de la quantité du travail qui produit la pl, relativement à la forte mécanisation des procès de production. Situation nouvelle par son ampleur (la productivité a plus augmenté dans la dernière moitié du 20ème siècle que dans les 200 années précédentes), qui oblige les capitalistes à mettre en œuvre rapidement et brutalement les mesures évoquées aux 2° et 3° points ci-dessus58. Il en résulte deux choses qui les contrecarrent. Premièrement, une baisse de la consommation, donc de la production, destructrice de davantage de capital sous toutes ses formes. Deuxièmement, et en conséquence, une accentuation importante des antagonismes de classe (conditions de travail, chômage, salaires). Et c’est là, dans ce qui est le contenu même du rapport de production capitaliste, que se trouve finalement la clef de toute l’affaire. Soit le capital réussit à paupériser et écraser complètement les prolétaires, et il pourra poursuivre son existence un temps dans cette barbarie accrue, soit ceux-ci l’en empêchent, et pour ce faire ils devront prendre le chemin de son abolition puisque le capital ne pourrait pas continuer à se reproduire et exister s’ils réussissaient dans cet empêchement. Il n’y a plus aujourd’hui – du moins dans les économies capitalistes dites du centre – de croissance de type fordiste (forte augmentation de la productivité) et keynésienne (forte croissance des dettes et des dépenses publiques) possible, comme ce fut le cas à l’époque des « 30 glorieuses ». Pas même dans les pays « émergents ». Car, comme nous l’avons vu, tant les gains de productivité que l’extension du crédit (des dettes) approchent de limites qui font que la valorisation du capital ne peut guère être significativement stimulée par ces moyens. Partout, seul un travail hyper-intensifié accompagné de coûts salariaux très bas, et leur baisse là où c’est encore possible (dans les pays développés), peut encore prolonger l’histoire du capitalisme.
On voit finalement qu’à force de rogner sur la quantité de travail productif de pl qu’il emploie et le prix qu’il la paie, le capital y réussit tellement bien qu’il finit par obtenir un résultat contraire à celui qu’il obtenait jusque-là par ce moyen: c’est la production et la réalisation de la pl qui sont compromises, tant il est vrai que la pl n’est qu’une part (le surtravail) de cette quantité de travail (pl + Cv) qui doit donc inéluctablement finir par diminuer avec elle. Les augmentations encore possibles du rapport pl/Cv au sein de cette quantité, dont on vient de voir les difficultés ci-dessus, ne peuvent plus compenser la diminution massive de cette quantité de travail vivant productif à laquelle le capital a abouti, et dont dépend in fine la pl. Et ce sont les antagonismes de classe qui sont exacerbés par les mesures que doit prendre le capital pour essayer, coûte que coûte, d’augmenter ce rapport afin de continuer à se reproduire et exister.
De fait, le krach financier de 2008 a montré que l’accumulation du capital durant ces trente dernières années était pour une large part artificielle puisque la production de pl, « la croissance », y était essentiellement fondée sur une croissance monumentale des dettes. Cette extension démesurée du crédit a évidemment aussi été celle du capital financier et des spéculations. Ce que les économistes ont décrit lors du krach comme des « exagérations » et une ponction « trop » forte sur le capital producteur. Ce serait le capital financier et lui seul qui, en vampirisant de la sorte le capital producteur, aurait ruiné sa croissance, l’emploi et le bien-être général. Ils ont fait du capital financier le bouc émissaire de la crise. En réalité, son krach n’a fait que révéler que l’accumulation du « bon » capital producteur était fondée sur une accumulation de dettes.
Pour résumer, on peut citer ce passage où Marx a le premier analysé de manière magistrale cette tendance à une production amoindrie de pl inhérente au développement de l’accumulation capitaliste, et qui s’impose même à travers les contre-tendances qui lui sont opposées mais qui finissent par se retourner en devenant, comme nous l’avons vu, des facteurs de dévalorisation: «… ainsi par exemple, la dévalorisation constante d’une partie du capital existant: la transformation d’une grande partie de capital en capital fixe qui ne sert pas d’agent de la production directe; gaspillage improductif d’une grande partie du capital, etc. ». Cette tendance à l’accroissement du capital fixe fait que « parvenu à un certain point », cet accroissement « abolit l’auto-valorisation du capital ». Ainsi, « le stade suprême de développement de la puissance productive ainsi que le plus grand accroissement de la richesse jamais connu coïncideront donc avec la dépréciation du capital, la dégradation du travailleur et l’épuisement systématique de ses capacités vitales… ». C’est l’époque, celle où nous sommes entrés, du capitalisme sénile. Il ne s’agit alors plus seulement de dépréciation du capital, mais de cette « abolition de l’auto-valorisation du capital » prévue de manière prémonitoire par Marx. Il s’agit de destruction que les crises modernes et les guerres qui les accompagnent opèrent à grande échelle. Une « destruction violente du capital, non pas par des circonstances qui lui sont extérieures mais comme condition de sa propre conservation… »59. Et tout cela, fin de « l’auto-valorisation du capital », crises, luttes de classes, concurrence accrue entre capitaux et guerres qui s’ensuivent, génère l’intervention de plus en plus systématique et despotique des Etats.
4.3 Etat et reproduction du capital
L’étude de l’accroissement des facteurs de dévalorisation du capital, causé tant par celui de la productivité dans la production que par celui des « faux-frais » de cette production60, serait très incomplète si on n’y incluait pas le facteur Etat.
Il faut entendre par Etat aujourd’hui un vaste complexe d’appareils qui, quels que soient leurs statuts juridiques, public ou privé, a le monopole des fonctions politiques et administratives, juridiques et policières, médiatiques et idéologiques, etc. Bref, un complexe d’appareils qui, bien que traversé d’ambitions personnelles et de rivalités entre différentes fractions bourgeoises, assure une domination quasi-totalitaire de cette classe bourgeoise, et plus particulièrement de la haute bourgeoisie, sur la société. Il y a en effet renforcement, élargissement, en même temps que concentration aux mains d’une petite caste, du pouvoir sur les fonctions de la « superstructure » du capitalisme. Cela correspond au stade oligopolistique du capital contemporain, celui d’un développement très élevé des forces productives, et donc de la concentration et de la centralisation du capital et de ses principaux dirigeants. Lesquels s’interpénètrent étroitement avec les sommets de l’Etat, comme le montre par exemple à l’évidence l’existence d’une haute bourgeoisie dont les éléments occupent indifféremment, passant des uns aux autres, les postes dirigeants de ces appareils, qu’ils soient publics ou privés61. Mais cela traduit surtout le fait concomitant que ce développement très élevé est aussi nécessairement, comme nous venons de le rappeler, celui de l’aggravation maximale des contradictions du capital, notamment de la dévalorisation la plus massive du capital et de l’antagonisme de classe. C’est pour cette raison que l’Etat est alors nécessairement amené à intervenir davantage, plus durement et sur tous les fronts, comme le fonctionnaire suprême du capital en général, celui qui doit assurer « l’intérêt général » des capitalistes, c’est-à-dire la reproduction du capital en général.
Certes, le rôle de l’Etat dans la valorisation du capital ne date pas d’aujourd’hui. Car effectivement, de cette valorisation dépend l’existence du capital, donc de la société capitaliste, et c’est bien la charge de l’Etat que d’organiser la reproduction de la société dont il est « le résumé officiel ». Ses idéologues appellent « intérêt général » cette reproduction sous prétexte qu’elle concerne « la société », tout le monde! Mais ce qui est remarquable, c’est que le rôle de l’Etat n’a cessé de s’étendre et de s’amplifier. D’abord limité, si l’on peut dire, à l’organisation et la défense de l’ordre social de la propriété privé, du droit des propriétaires à exploiter les travailleurs à leur guise, à la protection et l’expansion des affaires de ses ressortissants capitalistes face à la concurrence, ce rôle de l’Etat s’élargit progressivement à la prise en charge d’autres conditions de la valorisation. Par exemple, réalisation d’infrastructures (routes, canaux, chemins de fer), formation et entretien (santé, logement, etc.) des différentes catégories de main-d’œuvre nécessaires au capital, financement de la recherche scientifique, etc. Jusqu’à, maintenant, le paiement d’une part croissante de la main-d’œuvre par l’Etat sous couvert d’aider l’emploi, ou les sans-emploi.
Cette étatisation peut s’accompagner parfois de la nationalisation d’un certain nombre d’entreprises, voire de toutes, car cela ne change rien de fondamental au caractère capitaliste de la société. Il s’agit seulement d’un changement de propriété juridique. A moins qu’il ne s’accompagne d’une transformation effective des rapports de production qui, poussée jusqu’au bout, aboutisse à ce que les prolétaires n’en soient plus dépossédés. Ce qui est évidemment tout autre chose: un procès révolutionnaire, la suppression du capital étant aussi celle des prolétaires. « C’est cette séparation entre les conditions du travail d’un côté et les producteurs de l’autre qui constitue le concept de capital… »62. Changer seulement le propriétaire juridique des conditions du travail, ce n’est en rien abolir cette séparation. C’est pourquoi Marx se moquait de ces socialistes du 19ème siècle qui, déjà, considéraient l’étatisation de l’économie et de la société comme mesure anticapitaliste par excellence: «… (ils) disent: nous avons besoin du capital, mais non pas des capitalistes. Le capital apparaît alors comme une pure chose, et non comme un rapport de production… Certes, je peux séparer le capital de tel capitaliste singulier… (mais) non du capitaliste qui en tant que tel (en tant que possesseur des conditions du travail, n.d.a.) fait face aux travailleurs »63.
S’il faut sans cesse rappeler ces vérités élémentaires sur les rapports Etat-Capital, c’est qu’il s’agit là d’un point qui distingue tout particulièrement et radicalement « la gauche institutionnelle » des communistes. L’Etat ne peut pas abolir un état de choses, une situation (des rapports sociaux et leurs nécessaires conséquences) dont il est le produit. Marx le premier, et très justement, n’a cessé d’affirmer que ce sont les rapports sociaux concrets (rapports de propriété, divisions du travail, répartitions des richesses, etc.) qui déterminent l’Etat, et non l’inverse. Par exemple: « La législation, tant politique que civile, ne fait que prononcer, verbaliser le vouloir des rapports économiques », et « le droit n’est que la reconnaissance du fait »64. Et à propos de Proudhon, ancêtre de la gauche française: «… l’Etat politique n’est que l’expression officielle de la société civile. Voilà ce que Mr. Proudhon ne comprendra jamais, car il croit faire grand-chose quand il en appelle de l’Etat à la société civile, c’est-à-dire du résumé officiel de la société à la société officielle »65.
Pour en revenir à l’accroissement constant du rôle de l’Etat dans la prise en charge des conditions de la valorisation et de la reproduction du capital, ce qui passe aux yeux de la gauche pour leur socialisation et du socialisme, il faut constater que cela a un effet paradoxal. 1°) Cela a permis et permet effectivement cette valorisation, qui lui était et est toujours tout à fait nécessaire. 2°) Cela constitue aussi une masse croissante de consommations (dépenses) improductives qui dévalorisent le capital. Car l’accroissement du rôle de l’Etat, c’est aussi celui d’un énorme gonflement des bureaucraties, un pullulement, pour ne prendre que l’exemple de la France, de dizaines de milliers de politiciens, hauts fonctionnaires et parasites en tout genre, bien décidés à se nourrir sur la bête, grassement rémunérés, dotés de somptueux palais, entourés de cohortes d’assistants, multipliant les placards dorés (comités, commissions, assemblées, filiales et autres multiples organismes parapublics), sources d’innombrables prébendes et de corruption. C’est celui aussi de l’appareil répressif. Bref, c’est bien une énorme masse de faux-frais, ce que l’Etat s’efforce de compenser en économisant sur les fonctions les plus utiles au peuple: enseignement, santé, etc. Là encore, on voit que le moyen utilisé pour contribuer à la valorisation du capital, ici l’étatisation, se développe comme facteur de dévalorisation.
Cependant, il y a une évolution aujourd’hui du rôle de l’Etat dans la valorisation du capital qui est significative de l’extrême sénilité du capitalisme. C’est que, bien qu’en période de paix relative, il ne peut plus se contenter d’organiser les conditions de l’auto-valorisation du capital, de contribuer indirectement à sa valorisation. En effet, puisque le capital ne s’auto-valorise plus suffisamment, il va devoir intervenir pour le valoriser lui-même directement. Pour une part grandissante, il substitue sa main bureaucratique à la fameuse main invisible du « marché » défaillante, au grand dam des économistes qui l’avaient sacrée parfaite et éternelle régulatrice de l’économie!
On sait que c’est en lui versant des dizaines de milliers de milliards de dollars66 que les Etats ont assuré l’existence du capital lors du dernier krach. Depuis, en plus, les banques de la zone euro, pour se limiter à cet exemple, réalisent une large part de leurs profits seulement grâce aux cadeaux de la Banque centrale européenne (B.C.E.) qui leur prête de l’argent aux environs de 1 %, qu’elles prêtent à leur tour aux Etats ou aux entreprises et particuliers à un minimum de 3,5 % (taux à 10 ans), et souvent beaucoup plus. L’Union européenne et le Fonds monétaire international n’ont-ils pas prêté à l’Etat grec à un taux de 5,2 % et le taux de 5,8 % est envisagé pour ledit sauvetage de l’Irlande?
Autre exemple significatif: la prise en charge par l’Etat français (mais aussi par les Etats de beaucoup d’autres pays développés) d’une part de plus en plus importante du coût salarial, dégageant ainsi un surcroît de pl pour le capital. Elle s’est effectuée par le moyen d’exonérations de charges sociales (salaire indirect), ainsi que par celui du paiement de tout ou partie du salaire de certains travailleurs par l’Etat (nombreuses et diverses formes d’emplois « aidés »). Ce qui, en France, représenterait selon le Sénat une facture de 55 milliards d’euros pour la seule année 2009 (contre 600 millions en 1993, soit 91 fois plus en 16 ans)67. Dans le même temps, les capitalistes se voyaient accorder une autre augmentation de leurs profits par le moyen de fortes baisses d’impôts. Par exemple, en France, 15 milliards d’euros par le « bouclier fiscal », 2,5 milliards d’euros par la baisse de la t.v.a. des restaurateurs, etc. Au total, « les seules réductions d’impôts votées depuis 2000 ont amputé les recettes publiques (donc gonflé les portefeuilles privés) de 66 milliards par an. Les multiples niches fiscales… ont un coût annuel de 73 milliards d’euros »68. Bien sûr, ce bref aperçu des financements directs de la valorisation du capital par l’Etat n’est pas exhaustif. Il faudrait y ajouter toutes sortes de subventions aux entreprises, par exemple pour construire une usine69, pour produire « vert », pour la recherche, pour qu’elles puissent vendre leurs produits (prime à l’achat, pour les voitures par exemple, aides à l’exportation), et bien d’autres, notamment sous le paravent des commandes publiques!
Or cet argent fourni par l’Etat pour majorer la pl (les profits) que reçoivent les entreprises est, pour une large part, financé par la dette. Certes, ce faisant, l’Etat évite au moins momentanément la déflagration sociale qui n’aurait pas manqué d’éclater s’il avait voulu procéder au sauvetage des capitaux et au rehaussement nécessaire du taux de profit uniquement et immédiatement par une baisse des coûts salariaux (notamment les prestations sociales). Cette baisse aurait dû en effet être d’une ampleur impossible à faire accepter par les salariés, et elle aurait en outre ruiné la consommation, et donc les entreprises aussi (déflation). Gonfler la dette publique permet également à la bourgeoisie de prétendre qu’il s’agit bien de la dette de tous, et non pas de celle des capitaux qui ont été requinqués grâce à elle. L’Etat choisit donc d’abaisser les coûts salariaux progressivement, en surveillant les réactions prolétaires comme du lait sur le feu. Mais d’un autre côté, cette « douceur » très relative, cette prudence, cette peur, font que la dette continue de se creuser par effet « boule de neige ». Ce qui mène nombre d’Etats dans des situations de quasi-faillite: on sait que leurs dettes ne seront jamais totalement remboursées, sinon en monnaie de singe. Certaines fractions de la bourgeoisie (de gauche) prétendent pouvoir y parvenir par des augmentations d’impôts. Mais cela ne pourra jamais suffire, sauf – mais c’est bien cependant ce qui sera tenté – à ruiner absolument les peuples, et à réduire si fortement les profits si le fisc les taxait réellement sérieusement (cela au moment même où la crise les révèle insuffisants relativement à la masse de capital existante) que cela déclencherait une crise économique, sociale et politique d’une ampleur bien plus considérable que celle des années 30 qui a débouché sur les fascismes et la deuxième guerre mondiale.
Pour le moment, contentons nous de constater qu’une valorisation du capital qui est financée pour une large part par de la dette, ainsi que finalement par de l’émission monétaire (« la planche à billets »), permet certes que les capitaux qui en reçoivent la contrepartie fassent des profits. Mais dans la mesure où les bénéficiaires en sont essentiellement les capitaux financiers, et que cet argent ne s’investit que peu dans un réel procès de production de pl, ces profits ne sont que le résultat d’une dette qui sera (éventuellement) remboursée par une ponction sur de la richesse produite ailleurs.
Par contre, dans la mesure où les salariés rembourseront par l’impôt (et l’inflation monétaire, un prélèvement masqué) une partie de la dette, dans la mesure donc où leurs revenus nets baisseront à proportion, il y aura alors une majoration réelle de la pl (créée par les salariés productifs) accaparée par le capital (tous les capitaux) par le biais de la médiation de l’Etat qui la lui distribue. Cette médiation consiste en effet à faire baisser les salaires nets (y compris, et d’abord, les salaires indirects) sous couvert de remboursement de la dette publique, tout en donnant l’argent procuré par cette dette au capital sous prétexte de sauver les entreprises et l’emploi: au bout du compte, c’est une baisse des salaires et une augmentation des profits.
Cela confirme le rôle de l’Etat comme agent du capital en général, gérant de la reproduction du capital. Et aussi le fait que, dans la situation actuelle du capitalisme, un accroissement significatif de la masse de pl passe surtout par une baisse drastique des coûts salariaux, compte tenu des limites atteintes par les hausses de productivité, et maintenant aussi d’intensité du travail (et bien que ces limites soient asymptotiques, et non pas absolues). Mais c’est une arme boomerang pour le capital, car les difficultés de sa valorisation lui reviendront alors rapidement non seulement sous forme d’une baisse proportionnelle de la consommation, mais aussi sous forme d’une intensification de la lutte de classe, ce qui est le pire pour la bourgeoisie.
Son choix oscille donc aujourd’hui entre cet abaissement drastique des coûts salariaux et ses conséquences, et l’accroissement des dettes publiques, avec au bout la perspective de la banqueroute, de la faillite des Etats. Ce peut être aussi les deux à la fois70!
C’est ce sur quoi nous allons évidemment devoir revenir dans le dernier chapitre de cet ouvrage. Mais auparavant, pour que tous les acteurs qui décideront de cet avenir soient présentés au complet, et avec les moyens dont ils disposent, il faut parler des prolétaires puisque d’aucuns prétendent qu’ils disparaissent, qui plus est – comble d’affirmation contradictoire – sans que pour autant le capital disparaisse lui aussi!
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CHAPITRE 5. TRAVAIL PRODUCTIF ET PROLETAIRES
5.1 A propos des travailleurs productifs et improductifs
Observons d’emblée que prolétaires et travailleurs productifs ne sont pas identiques. Nous verrons que bien des travailleurs improductifs sont des prolétaires et, inversement, des travailleurs productifs ne le sont pas. Le prolétaire se définit dans le rapport capitaliste par lequel les moyens du travail s’opposent à lui comme une puissance étrangère qui le domine, le contraint, l’écrase. Dans le mode de production capitaliste où la production se définit comme production de pl, le travail productif est celui qui produit de la pl. Le travailleur productif est celui dont le travail s’échange contre du capital et le reproduit en l’accroissant de la pl. « Désormais (avec le capitalisme) la notion de travail productif ne renferme plus simplement un rapport entre activité et effet utile, entre producteur et produit, mais encore et surtout un rapport social qui fait du travail l’instrument immédiat de la mise en valeur du capital »71.
Ce n’est pas simplement parce que ces deux concepts sont très souvent confondus qu’on prendra soin ici de les distinguer. C’est surtout parce qu’il faut nécessairement compléter l’analyse des chapitres précédents par celle des forces et moyens qui se développent en même temps que le capital, pas seulement comme limites à sa valorisation mais comme abolition de ces limites parce qu’ils sont moyens et forces d’abolition du rapport capitaliste qui les génère. Seuls les prolétaires se définissent comme ces forces pouvant utiliser ces moyens pour abolir le capital. Non pas parce qu’ils sont travailleurs productifs reproduisant le capital et eux-mêmes, mais au contraire parce qu’ils sont écrasés dans cette reproduction et mis dans la nécessité de l’abolir pour vivre.
Le travail productif est une détermination historique spécifique du travail. Défini dans sa généralité, c’est un travail effectué dans un rapport social particulier entre propriétaire des moyens du travail et simple vendeur, obligé, de sa force de travail à ce propriétaire. Echange par lequel le travail productif (la valeur d’usage achetée par le propriétaire) reproduit plus de capital qu’il n’en a été avancé par le capitaliste et, surtout, reproduit en l’accentuant le rapport capitaliste entre les travailleurs et les moyens du travail. C’est le travail qui utilise, consomme les moyens de production non pas comme de simples choses ou techniques, machines, énergie, force de travail, coopération, mais comme des puissances du capital. Donc comme des moyens qui:
1°) sont appropriés par les capitalistes, non seulement juridiquement mais surtout comme s’opposant aux travailleurs productifs, les dominant, comme moyens concrets d’extorquer la plus-value;
2°) sont reproduits par ces travailleurs dans un procès de production qui absorbe et intègre dans le produit plus de travail (social, abstrait) qu’il n’en a été payé. Un procès dont le résultat attendu est ce surtravail qui devient plus-value lorsque le produit prend la forme argent dans sa vente.
« Le travail productif est donc celui qui, pour le travailleur, ne reproduit que la valeur préalablement déterminée de sa puissance (force, n.d.a.) de travail, mais par contre, comme activité créatrice de valeur, met en valeur le capital ou oppose au travailleur lui-même comme capital les valeurs qu’il a créées »72.
A contrario, le travail improductif est celui qui ne s’échange pas contre du capital, ou qui le faisant ne produit néanmoins pas de pl. Par exemple, le travail du petit artisan indépendant ou du domestique privé ne s’échange pas contre du capital (mais contre du revenu) et n’en produit pas. N’en produisent pas non plus tous les salariés dont les activités relèvent d’un rapport à un capital improductif (capital financier ou commercial par exemple), bien que leur travail s’échange contre du capital. Dans les branches d’activité relevant d’un capital productif, il y a aussi du travail improductif. Il est celui des propriétaires du capital. Il est aussi celui « des puissances intellectuelles de la production », mais selon des déterminations plus complexes, que nous détaillerons plus loin, car ces puissances peuvent être aussi pour certaines productives de pl en tant que membres du « travailleur collectif », concept dont il va être question dans la deuxième observation qui va suivre. En effet, deux observations sont utiles pour en terminer avec la définition générale du travail productif et improductif.
5.1.1 Travail « immatériel » et travail productif
La première observation concerne le fait que « ces définitions n’ont pas pour origine la détermination matérielle du travail (ni la nature de son produit, ni la détermination du travail comme travail concret) mais une forme sociale déterminée, les rapports sociaux de production dans lesquels le travail s’accomplit réellement »73. Ainsi, le clown, le comédien, le professeur sont des travailleurs productifs dès lors qu’ils travaillent pour une entreprise capitaliste et reçoivent en salaire moins que la quantité de travail social qu’ils fournissent74.
Tous ces travaux sont « immatériels » en ce sens qu’ils ne se fixent pas dans un objet particulier se séparant du procès de travail. Leur effet utile est dans leur effectuation même. Ce sont des cas où « la production n’est pas séparable de l’acte de production »75. C’est ce que les économistes appellent souvent des « services ». Ainsi, l’effet utile produit par le comédien est la jouissance, par l’enseignant le transfert d’un savoir, par le conducteur de train un changement de lieu, etc. Peu importe l’effet utile pourvu qu’il puisse prendre la forme valeur et être productif d’une pl pour le capital qui se l’approprie. C’est cela l’effet utile, la valeur d’usage du travail pour le capitaliste. Bref, le travail productif est une «… détermination du travail qui ne provient pas de son contenu ou de son résultat, mais de sa forme sociale déterminée… »76. C’est «… une détermination du travail qui, de prime abord, n’a absolument rien à voir avec le contenu déterminé du travail, son utilité particulière ou la valeur d’usage caractéristique dans laquelle il se présente »77.
Ceci dit, comme il est claironné par nombre d’idéologues que le capitalisme allait supprimer le travail pénible et rendre tout travail agréable parce que la production et les échanges devenaient selon eux de plus en plus « immatériels », il n’est pas inutile de rappeler qu’il s’agit d’un prophétisme apologétique et infondé. En effet, si l’effet utile d’une activité immatérielle est dans l’activité même qui le produit, celle-ci ne peut s’exercer sans supports matériels. Le professeur a besoin de locaux, d’ordinateurs, de livres, l’acteur d’un théâtre, le transporteur d’un camion, et tous ces gens-là doivent consommer bien des produits matériels pour vivre. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont souvent citées comme exemple d’activité intellectuelle immatérielle: on pourrait tout faire et tout apprendre via Internet. Mais dans ce domaine, il y a force ordinateurs, câbles, satellites, etc. De sorte que, le plus souvent, quand des économistes ou idéologues parlent d’activités immatérielles, ils ne désignent en fait qu’une segmentation du procès de production où les travaux intellectuels sont séparés des travaux de fabrication proprement dits. Même si cette séparation va jusqu’à faire relever ces travaux de fabrication de capitaux spécialisés et de lieux d’activité différents, cela n’empêche nullement ces travaux intellectuels de s’objectiver in fine dans des produits matériels et de n’être validés socialement que si ceux-ci sont vendus. Certains oligopoles poussent ainsi cette séparation à l’extrême en choisissant d’être des « entreprises sans usines », c’est-à-dire qui sous-traitent les activités de fabrication en ne conservant que celles relevant du commandement, de la recherche scientifique, de la stratégie commerciale, etc. Par exemple, divers producteurs d’ordinateurs sous-traitent en très grande partie leur production au taïwanais Foxconn qui emploie plus de 400 000 salariés dans la région de Shenzen en Chine. Foxconn a été au centre de l’actualité avant l’été 2010 suite à 17 tentatives de suicides, dont 13 morts, parmi ses ouvriers. De même, de grosses firmes comme Nike ou Alcatel ont développé depuis longtemps cette stratégie sans usines78. Cela segmente seulement le procès de valorisation du capital, chaque capital recevant sa part aliquote de pl de sorte d’obtenir le taux de profit moyen. Et cela n’enlève rien au fait que le travail scientifique et technique fait en général partie du « travailleur collectif » tel que Marx l’analysait déjà, et n’est effectué, n’existe qu’en tant qu’il s’objective finalement, le plus souvent, dans un produit bien matériel. Bref, il ne faut pas assimiler automatiquement le développement du travail intellectuel avec celui d’un travail immatériel qui ne s’incarne pas dans un objet, ni le travail immatériel avec la fin de la production d’objets, de produits matériels, qui en restent toujours la condition.
5.1.2 Le « travailleur collectif » comme travailleur productif
La deuxième observation concerne le concept de travailleur collectif, souvent utilisé comme un critère de l’analyse de classe permettant d’inclure de manière erronée l’ensemble des salariés comme un bloc opposé au capital et potentiellement révolutionnaire, alors qu’il ne s’agit que d’un concept relatif à la production de pl.
Evidemment, et Marx n’a pas manqué de l’analyser et d’en tirer les conséquences, la collectivisation du travail n’a cessé de se développer fortement tout au long de l’histoire du capitalisme. Atelier, manufacture, usine, en même temps que cette concentration croissante se développaient la mécanisation et une division grandissante du travail en de nombreuses fonctions étroitement définies et hiérarchisées mais créant une division générale fondamentale entre les moyens de production et leurs maîtres (les puissances intellectuelles de la production) d’un côté, et les prolétaires de l’autre, simples exécutants soumis à la « technique », aux applications de la science dans le vaste et puissant complexe de la « machinerie », en fait soumission (dite réelle) des prolétaires au capital. Mais que ces puissances intellectuelles de la production, scientifiques, ingénieurs, cadres, soient ainsi séparées79 et opposées aux prolétaires dans le rapport de production capitaliste n’empêche nullement le produit final, et donc la pl qu’il contient, d’être aussi le résultat de leur travail. «… Tous ensemble comme atelier, ils sont la machine de production vivante de ces produits, de même que, si on considère le procès de production dans son ensemble, ils échangent leur travail contre du capital et reproduisent l’argent du capitaliste en tant que capital… »80. L’existence de cette division du travail « propre au mode de production capitaliste », notamment entre travaux manuels, d’exécutions, de surveillance de la machine, et travaux intellectuels de conception et d’organisation, « n’empêche pourtant pas que le produit matériel est le produit commun de ces personnes… »81. Séparer et spécialiser les différentes fonctions du procès de production n’est pas y localiser un moment « manuel » où serait produite la pl et un moment « intellectuel » où elle ne le serait pas (nous avons d’ailleurs vu ci-dessus qu’un travail intellectuel ou artistique n’était pas nécessairement improductif). Du point de vue de la valorisation du capital, c’est bien l’ensemble des salariés participant d’une façon ou d’une autre au procès de production (à l’exclusion donc des tâches financières, commerciales, administratives, juridiques, qui sont improductives) qui en est le créateur, ce procès n’existant que dans la combinaison de leurs travaux.
Chacun82 des différents membres du « travailleur collectif » contribue donc d’abord à la production de la pl. Mais certains en reçoivent aussi en retour en paiement de sorte que, finalement, ils en reçoivent plus qu’ils n’en produisent, et ne sont donc pas producteurs nets de pl. Une chose est de constater que c’est le travailleur collectif qui produit la pl83, une autre de déterminer la part que chacun produit et reçoit, ou pas (c’est-à-dire s’il reçoit au delà du strict prix de sa force de travail). Cela est évidemment impossible à déterminer au cas par cas, mais le cas par cas n’a pas d’intérêt pour l’analyse de la reproduction du capital, et nous reparlerons ci-après (section 5.2.2) de l’expansion du travail scientifique et technique de ce point de vue.
Pour le moment, et pour conclure l’examen du rapport entre travail productif et classes sociales dans sa généralité, on peut affirmer que la notion du travailleur collectif comme producteur de la pl exprime seulement cette caractéristique du capitalisme moderne que le procès de valorisation du capital s’exécute dans une division du travail poussée à l’extrême entre fonctions intellectuelles et d’exécution. Autre chose est ce que chacun des membres de ce travailleur collectif produit et reçoit, ou pas, de pl, autre chose aussi sont les effets de l’accroissement du travail scientifique dans la production quant à la production de pl dont on a vu qu’il contribuait, à partir d’un certain niveau technologique, à la diminuer alors qu’auparavant il l’augmentait (paradoxe de la productivité).
L’intérêt de la distinction entre travail productif et travail improductif est qu’elle est essentielle du point de vue de la valorisation et donc de la reproduction du capital84. Cette analyse complète donc celle des chapitres précédents: plus le capital peut employer de travail productif, plus sa reproduction est rapide et forte, et inversement.
L’analyse de classe repose sur d’autres déterminations que la production de valeur. Elle repose sur la place de chacun dans le rapport capitaliste, quel que soit le capital, productif ou improductif, que le travailleur employé par ce capital soit productif ou pas. Ce qui la détermine, c’est de savoir qui est du côté de la maîtrise, de la possession, de la propriété des moyens du travail, et donc aussi de ses résultats, ou du côté de la domination, de la soumission du travailleur à ces moyens, et donc aussi de son exploitation par les possesseurs de ces moyens.
5.2 Les prolétaires
« C’est toujours dans le rapport immédiat entre le propriétaire des moyens de production et le producteur direct qu’il faut chercher le secret le plus profond, le fondement caché de l’édifice social… »85. Et c’est par là que se distinguent les uns des autres dans le capitalisme « de vastes groupes d’hommes », selon trois critères concomitants: «… leur rapport (la plupart du temps fixé et consacré par les lois) vis-à-vis des moyens de production, leur rôle dans l’organisation sociale du travail, donc par les modes d’obtention et l’importance de la part des richesses sociales dont ils disposent »86, les deux derniers critères découlant du premier.
Le prolétaire se définit ainsi comme dépourvu de toute propriété, de toute maîtrise (possession) sur les moyens de production, personnifiés par le capitaliste, comme dominé et contraint par eux. C’est cette désappropriation qui l’oblige à travailler pour le capitaliste, c’est cette domination qui l’oblige à le faire pour seulement le prix de sa force de travail ou même moins, à fournir un surtravail non payé (exploitation), et aussi à être chômeur. Désappropriation, domination, exploitation (ou pire encore expulsion de la production) sont les déterminations conjointes qui définissent le prolétaire.
On voit alors que la distinction travail productif/travail improductif n’intervient pas dans cette définition. Ce que nous allons montrer plus en détail.
5.2.1 Peu importe qu’il s’agisse de salariés travaillant pour un capital improductif
Certes, nous l’avons noté, de tels salariés sont des travailleurs improductifs pour le capital social. Mais leur rapport au capital qui les emploie peut très bien les déterminer comme prolétaires. Prenons l’exemple des employés d’un capital commercial (mais le même raisonnement s’appliquerait à l’employé de tout autre capital improductif). Bien qu’ils ne produisent pas de pl, ce sont ces travailleurs qui, par leur surtravail, permettent au capitaliste commercial de conserver pour lui le maximum de la part de pl que lui cède le capitaliste industriel pour prix de ses services. Moins il paie ses salariés, plus il les pressure et intensifie leur travail, et plus cette part est importante87. Peu importe ici que cette part provienne du capital industriel. Dans la mesure où ces employés ne reçoivent, sous forme salaire, que la quantité de travail social qui est nécessaire à leur reproduction comme force de travail – selon des besoins quantitativement et qualitativement historiquement déterminés suivant les différentes aires de production – et qu’ils fournissent du surtravail qui valorise le capital qui les emploie, ils sont exactement dans le même rapport avec le capital commercial que l’ouvrier avec le capital industriel. « Tout comme le travail non payé de l’ouvrier crée directement de la pl pour le capital productif, le travail non payé du salarié commercial procure au capital marchand une participation à cette pl »88. Ce qui amène Marx à affirmer que « le travail commercial qu’il achète est pour ce capital (commercial) directement productif »89. Ce qui est du travail improductif pour le capital social, l’accumulation du capital en général, ne l’est évidemment pas pour tel ou tel capital particulier. Il est donc normal qu’y trouvant le même rapport capital/travail, on y trouve aussi des prolétaires!
L’intérêt pratique de ces analyses est de démontrer que, contrairement à ce que professent nombre d’idéologues, la masse des prolétaires dépasse largement celle des seuls ouvriers, et que le fait que le capitalisme développe chaque jour de nouvelles activités improductives pour le capital social ne la diminue nullement. C’est dire que le capital ne cesse ainsi d’accroître les forces qui lui sont antagoniques.
5.2.2 Peu importe qu’il s’agisse de salariés travaillant pour un capital productif
Les cadres administratifs, financiers, juridiques, commerciaux, exercent des fonctions improductives quel que soit le capital pour lequel ils travaillent. Mais examinons le cas plus complexe des travailleurs scientifiques, ingénieurs et techniciens, dont le rôle a pris une importance grandissante en même temps que le développement du capitalisme.
La science et ses détenteurs, les scientifiques, ainsi que les ingénieurs et techniciens qui l’appliquent à la production, sont achetés par le capital pour produire davantage de pl. Et il ne leur fournit les moyens de leurs travaux que dans ce but, ce qui en détermine les orientations.
En inventant de nouveaux produits (quelles que soient leurs qualités et utilités, ce n’est pas ici la question), ce qui crée aussi de nouveaux besoins, la science accroît les possibilités de valorisation du capital et le champ de son accumulation. En inventant de nouveaux procédés et moyens de fabrication et d’échanges (par exemple, les transports, l’informatique), la science développe des applications, des technologies qui ont permis de considérables augmentations de productivité.
Il est évident que les travailleurs scientifiques, ces « puissances intellectuelles de la production » selon l’expression de Marx, sont en général des travailleurs productifs. Soit qu’il s’agisse de salariés relevant d’un capital fabriquant des produits, par exemple des logiciels ou des brevets, destinés à être vendus comme moyens de production à d’autres capitaux. Ils produisent alors directement des marchandises. Soit, plus généralement, qu’ils travaillent comme éléments du « travailleur collectif » d’un procès de production quelconque, et sont par là des travailleurs productifs. Mais globalement, les deux cas peuvent être confondus: il s’agit toujours de créer de nouveaux produits et d’augmenter la productivité.
Ce qui saute d’abord aux yeux, c’est qu’évidemment les puissances intellectuelles de la production se distinguent des prolétaires par leurs revenus et le mode de vie qui en découle. Elles participent certes à la production de pl au sein du travailleur collectif, et sont en ce sens productives. Mais elles participent aussi à son appropriation par ces hauts revenus qu’elles reçoivent. De sorte que, considérées individuellement, beaucoup ne sont pas des producteurs nets de pl. « Si au cours d’une année, un travailleur se borne à remplacer l’équivalent de son salaire, ce n’est pas pour le capitaliste un travailleur productif »90, qui plus est si ce salaire représente plus de travail social que ce travailleur n’a contribué à en créer.
En rester à l’observation des hauts revenus reçus par les puissances intellectuelles de la production ne suffit pas pour affirmer qu’elles reçoivent ainsi une part de la pl qu’elles contribuent à produire. Cela ne peut être que si ces puissances reçoivent un salaire au dessus de la valeur de leur force de travail, au dessus du prix de sa reproduction. Et si oui, pourquoi le capitaliste qui l’achète accepte-t-il, est-il obligé de payer ce surcoût?
On sait que Marx a mis en évidence qu’en payant le salaire, théoriquement strict prix de la force de travail (de sa valeur d’échange), le capitaliste achète toute la valeur d’usage de cette force, tout son travail. Or la valeur d’usage du travailleur scientifique est extrêmement forte. En effet, ce que se sont approprié les possesseurs de la science, c’est un patrimoine de l’humanité synthétisant des dizaines de siècles de travaux et progrès de milliards d’êtres humains. C’est l’existence de sciences et de techniques déjà constituées avant eux et qu’ils ne font, éventuellement, qu’améliorer quelque peu parce qu’ils ont eu le temps de les acquérir et de les développer91.
Dans le capitalisme, cette appropriation est réservée à une fraction de la classe bourgeoise à travers un système d’enseignement opérant la sélection ad hoc d’une part, et aussi parce que poursuivre de longues études nécessite d’en avoir les moyens financiers (le temps). Il faut certes aussi consentir à un travail scolaire conséquent, ce qui donne l’apparence d’une sélection « au mérite » accentuée par le mythe de l’égalité des chances.
Mais ces bourgeois ne paient pas un prix élevé pour acquérir une part de cet immense patrimoine, donc pour produire et reproduire leur force de travail. En effet, une grande part du coût d’acquisition est prise en charge par l’Etat (donc par la pl produite notamment par les ouvriers). En France, par exemple, le coût moyen de formation d’un cadre revient à environ 200 000 à 300 000 euros aux contribuables92, et plus du double pour un cadre de niveau supérieur. De plus, et surtout, l’acquisition de la science coûte très peu de temps et d’efforts relativement à l’immensité du patrimoine ainsi approprié. Car, en quelques années, on peut assimiler des connaissances qui représentent les résultats de centaines, de milliers d’années de travail que la science synthétise93.
De sorte que les puissances intellectuelles de la production détiennent une puissance qui ne leur a guère coûté relativement à ce qu’elle représente (sa valeur d’usage est sans commune mesure avec la valeur de leur force de travail). Or c’est une valeur d’usage dont le capital a absolument besoin, mais dont il ne peut déposséder ces puissances de la même façon qu’il le fait pour les prolétaires. Il a besoin de la puissance, de l’efficacité, de la motivation, de la fidélité de ces cadres qui peuvent maximiser la production de pl. La concurrence oblige d’ailleurs chaque capitaliste à augmenter la productivité et à créer de nouveaux produits, et cela exige l’usage des sciences et des techniques, mais on ne peut guère l’extorquer par la contrainte, sans l’accord de ceux qui possèdent ces qualités. On ne peut pas les pousser à en rendre le maximum, un chronomètre à la main comme à l’atelier, ni les soumettre au rythme d’une machine, d’une chaîne. Certes, le capital cherche à intensifier aussi ce travail et exerce de fortes pressions sur ces salariés. Mais néanmoins il ne peut pas obliger les chercheurs à trouver, les ingénieurs à innover, ni à le faire dans un temps donné. Donc, il faut que le capital se les associe en leur rétrocédant une partie de la pl qu’ils contribuent à produire94, plus ou moins suivant la puissance de leur contribution, la valeur d’usage de leurs connaissances. Ainsi, les puissances intellectuelles de la production, de par la propriété qui est la leur, ne vendent pas leur force de travail à sa valeur, mais négocient une association avec les propriétaires du capital argent à qui ils apportent cette valeur d’usage qui leur est nécessaire pour développer la production de pl aux détriments des ouvriers. C’est le couple capitalistes passifs/capitalistes actifs95, association du capital argent et du capital en fonction, qui forment ensemble le pôle du capital, et donc se partagent la pl (ce qui ne va évidemment pas sans désaccords entre eux sur les termes du partage, et parfois même par des revendications d’autogestion de la part de certains capitalistes actifs). Les capitalistes actifs, hauts dirigeants et cadres supérieurs, participent à ce partage par divers moyens tels les stock-options, bonus et autres formes d’intéressement aux bénéfices. Par exemple, en France, ces rémunérations variables représentent aujourd’hui environ 10 % de la masse salariale des entreprises et 80 % de celles-ci y ont recours.
Finalement, les puissances intellectuelles de la production sont improductives; 1°) directement si et dans la mesure où elles reçoivent plus de pl qu’elles ne contribuent à en produire au sein du travailleur collectif; 2°) indirectement parce qu’une part essentielle de leurs fonctions consiste à accroître la productivité, ce qui, d’abord facteur d’augmentation de la pl pendant toute une période historique, se transforme finalement en facteur de dévalorisation du capital (caractéristique majeure manifestée par la crise actuelle, nous y reviendrons au chapitre 6).
La capacité des puissances intellectuelles de la production à la développer en même temps que la productivité est leur propriété. Les agents du capital financier (capitalistes passifs) achètent les conditions de la production, dont ces puissances. Mais celles-ci, capitalistes actifs, agents du capital en fonction, maîtrisent et organisent le procès qui transforme l’argent en capital et qui aboutit à la production de pl. Associés au capital financier, ils sont acharnés à en faire produire le maximum en perfectionnant toujours davantage la machinerie pour augmenter la productivité, en intensifiant et accélérant le travail ouvrier (l’Organisation Scientifique du Travail). Ce faisant, ils ont poussé le rapport capitaliste jusqu’à des limites extrêmes. Dès le 19ème siècle, Marx en analysait la tendance en observant que, au fur et à mesure que la production se concentre et se collectivise, toutes les formes sociales du travail « se présentent comme des formes de développement du capital… ». La science et la machinerie dans laquelle elle s’incarne ont dépouillé les ouvriers de leurs savoir-faire, de toute propriété et autonomie dans leur travail. Elles « se présentent comme forces productives du capital », comme créées par lui alors qu’elles sont le produit du travail des prolétaires qui, approprié par le capital, s’oppose à eux. De même, en ce qui concerne « l’unité dans la coopération, la combinaison dans la division du travail… ». Et toutes ces formes et forces sociales du travail font «… face aux travailleurs eux-mêmes comme étant étrangères et chosifiées… les dominant… (leur) font face comme fonctions du capital, et par suite, des capitalistes ». Ainsi, «… les sciences, produit du développement historique universel dans sa quintessence abstraite, leur (les prolétaires) font face en tant que puissances du capital… elles apparaissent partout où elles entrent dans le procès de travail comme incorporées au capital… dans la machine, la science réalisée apparaît comme capital face aux ouvriers. Et de fait toutes ces utilisations à grande échelle de la science, des forces de la nature et des produits du travail, n’apparaissent elles-mêmes que comme des moyens d’exploitation du travail, des moyens de s’approprier du surtravail… »96.
Il est indéniable que les puissances intellectuelles de la production sont, dans l’ensemble et sauf exceptions particulières, du côté du capital dans le rapport capitaliste de la production. De plus, elles semblent apporter un caractère « naturel », nécessaire à ce rapport en le faisant apparaître comme rationnel, comme l’application technique de la science à la production d’un maximum de richesses de moins en moins coûteuses à fabriquer. Il n’y a pas à discuter ce qui serait « scientifique » (y compris les « lois » du marché!). Tout juste peut-on discuter de la répartition de ces richesses et critiquer la part trop importante que s’attribuent le capital financier et quelques hauts dirigeants aux revenus faramineux! Comme si cette répartition ne dépendait pas de celle de la propriété et de la maîtrise des conditions de la production.
Bref, contrairement aux thèses des vieux partis communistes staliniens dégénérés et d’idéologues de gauche, l’accroissement constant de la masse des prolétaires dans le monde ne se confond pas avec le rôle et le nombre grandissant lui aussi, mais dans de moindres proportions, des puissances intellectuelles de la production.
5.2.3 Peu importe qu’ils ne travaillent pas ou peu
Non seulement le prolétaire peut être un travailleur improductif, mais il peut tout aussi bien être un sans-travail. Et c’est de plus en plus le cas. Surtout qu’il faut ajouter aux sans-travail tous les travailleurs précaires, chômeurs intermittents qui ne trouvent pas à s’employer suffisamment pour vivre sans déchoir (il ne s’agit pas seulement des masses déshéritées des pays dits émergents, mais aussi des « travailleurs pauvres » dans les pays développés, ceux qui reçoivent moins de 60 % du revenu médian selon la définition qu’en donne l’OCDE).
C’est tout ce vaste ensemble qui constitue ce que Marx appelait « l’armée de réserve des prolétaires ». Car il s’agit bien de prolétaires. Un individu chômeur ou demi-chômeur, sans propriété autre qu’une force de travail qu’il n’arrive pas à vendre, est un prolétaire. En effet, il est déjà là comme soumis au capital, comme vendeur de sa force de travail même si celui-ci ne l’achète pas, ne l’emploie pas. Il est la chose du capital avant même d’éventuellement travailler, il est dans un rapport de dépendance au capital, à sa disposition. Ce qui permet au capital l’ayant ainsi en réserve: 1°) d’en disposer seulement quand il en a besoin, et aux meilleures conditions pour lui; 2°) de faire pression sur ceux qu’il emploie pour qu’ils acceptent ces conditions, sinon ils seraient remplacés par ces réservistes.
Ce phénomène est bien connu, et il n’est donc pas besoin d’en dire plus ici. De même, le fait que cette masse de réservistes s’accroît aujourd’hui des licenciés par la crise et des centaines de millions de paysans pauvres déracinés des campagnes venant s’entasser dans les mégapoles. Immigrés de l’intérieur, comme en Chine, ou de l’extérieur, comme dans les pays dominants, clandestins sans droits pour beaucoup, presque tous laissés sans ressource ou exploités aux limites de la survie. Et ce mouvement général est loin de se réduire. Un fait est certain: la masse de ces prolétaires ne peut que croître. D’autant plus qu’elle grossira aussi d’éléments des « couches moyennes », si nombreux dans les pays riches, qui sont et seront déclassés et précipités dans le prolétariat.
Telle est la limite essentielle, la force active antagonique que le capital construit face à lui dans son développement et l’extrême ralentissement, voire la stagnation, de ce développement que marque la crise actuelle: une masse croissante de prolétaires dont la situation ne cesse de se dégrader (notamment sous le prétexte hypocrite du poids des dettes publiques qu’il leur faudrait rembourser!). Mais si l’accroissement de la masse des prolétaires dans le monde et l’aggravation de leur antagonisme avec le capital est la première des conditions pour surmonter les catastrophes en cours et celles, pires encore, prévisibles si le capitalisme survit, encore faut-il que les prolétaires qui l’aboliront en s’abolissant eux-mêmes trouvent les moyens de le faire, c’est-à-dire de s’approprier réellement les conditions de la production (c’est-à-dire encore les moyens de l’autoproduction libre de leur vie et de leur société par les hommes). Ces moyens ne peuvent pas être des rêves utopiques. Comme le prolétariat lui-même, ce ne peut être que des moyens réels, donc existant au sein du capitalisme lui-même. C’est maintenant ce qu’il nous faut découvrir, ou plutôt rappeler, en montrant en quoi les limites objectives rencontrées par la reproduction du capital sont aussi des conditions et des moyens de son abolition par le prolétariat, pourvu qu’il s’en saisisse.
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CHAPITRE 6. L’AVENIR EST DANS LE PRESENT
6.1 Dissolution du capital par lui-même
La démarche matérialiste d’analyse du capitalisme consiste toujours à découvrir dans la réalité existante elle-même les conditions permettant de la transformer. Cette réalité, le capitalisme, c’est un mode de production de leur vie par les hommes, dans des rapports sociaux déterminés, à un moment déterminé de son développement historique. Rendre compte de la situation de la société capitaliste, c’est rendre compte de la capacité du capital, à ce moment, à se valoriser, à se reproduire en s’accumulant.
Le pic d’une extraordinaire intensité que connaît actuellement la crise ouverte dans les années 70 montre évidemment que cette accumulation se heurte à une limite que le capitalisme éprouve les pires difficultés à repousser, à vrai dire même il n’y parvient guère pour l’instant. On peut certes la caractériser comme le phénomène bien connu de suraccumulation de capital/sous-consommation des masses qui fondait déjà la grande crise des années 30. Mais on ne saurait cependant se contenter de réaffirmer cette cause immédiate, et récurrente dans l’histoire du capitalisme. Il faut aussi essayer de saisir la spécificité de cette crise-là relativement à ce qu’elle indique de la situation particulière du capitalisme contemporain.
Celle-ci se caractérise par un rétrécissement organique des possibilités, pour le capital, d’enclencher un nouveau cycle de valorisation. Pour y parvenir, par exemple lors de la crise des années 30, la bourgeoisie avait procédé à une immense destruction de capital (deuxième guerre mondiale), à une transformation des rapports de production97, résumée souvent sous l’expression de « régime fordiste d’accumulation », qui avait pu induire de fortes hausses de productivité (augmentation de la pl sous sa forme relative), et à une décolonisation qui avait détruit les anciens empires coloniaux protectionnistes et ouvert la voie à une nouvelle expansion planétaire du capital, soutenue à partir des années 70-80 par une hyper-expansion du crédit.
Or répétons-le, ces transformations ont aujourd’hui épuisé l’essentiel de leurs effets favorables quant à l’accumulation du capital, et il s’avère que celui-ci ne peut guère aller beaucoup plus loin en matière de productivité, de mondialisation et d’augmentation de la masse des crédits. L’analyse des causes du grand krach de 2008 le démontre: le capital est à un moment de son accumulation historique où les facteurs de sa dévalorisation, dont nous avons montré l’accroissement dans les chapitres précédents, ont tendanciellement et structurellement pris le pas sur ceux de sa valorisation. Ce retournement est la caractéristique de cette époque de l’histoire de l’accumulation capitaliste qui s’est amorcée dans les années 70.
Que l’accumulation et la reproduction du capital soient considérablement ralenties par l’accroissement des capitaux improductifs, « faux-frais », gaspillages, « consommations improductives », est un fait. Mais il y a pour lui encore plus grave. C’est l’effet des efforts constants qu’il a fait, et tente toujours de faire, afin d’augmenter la productivité. C’est-à-dire la tendance qu’il développe à diminuer la quantité de travail productif employé relativement à l’emploi de machines.
On sait que les augmentations de la productivité ont des effets contradictoires98. D’abord et depuis les débuts du capitalisme, elles ont permis d’accroître l’accumulation du capital de façon spectaculaire, y compris après la grande crise des années 30. Mais ce qui est néanmoins certain, c’est que la tendance à la dévalorisation du capital qu’elles impliquent, du fait de la diminution relative de la quantité de travail productif employé, finit par l’emporter inévitablement. En effet, la pl n’étant qu’une fraction de cette quantité, elle finit par diminuer avec elle malgré l’augmentation du taux d’exploitation (ou taux de pl) pl/Cv. Plus généralement, à force de vouloir réduire le temps de circulation du capital, temps improductif, le capital finit aussi, à un certain stade de son développement, par réduire le temps de production, qui en est une partie, et avec lui la quantité de travail social total employé, c’est-à-dire la valeur de toutes les marchandises, et avec elle la pl qu’elle contient.
De sorte que ce mouvement historique aboutit à la situation actuelle où les hausses de productivité deviennent souvent peu ou même non rentables pour le capital (phénomène que les économistes désignent sous le nom de « rendements décroissants »): le coût d’augmentation de Cc qu’elles impliquent (ne serait-ce, mais pas seulement, que celui des matières premières qui font des bonds vertigineux dès que la production mondiale s’accélère quelque peu) est trop élevé par rapport aux diminutions de Cv qu’elles permettent, vu la faible part de la main-d’œuvre aujourd’hui dans la valeur d’une marchandise. « Il faut savoir que dans une grande compagnie industrielle de produits de consommation, que ce soit des montres ou autres, un constructeur automobile par exemple, les salaires ne représentent que de 10 % à au maximum 20 % des coûts »99. Par exemple, un tee-shirt fabriqué au Bengladesh et vendu 5 euros en Europe revient à 15 cents de main-d’œuvre100. De plus, les hausses de productivité ne diminuent qu’une fraction de cette masse salariale, celle des prolétaires, et augmentent celle des « puissances intellectuelles » dont le nombre croît avec elles.
A ce niveau-là de la masse salariale, confirme Nicolas Hayek, le célèbre capitaliste, et il est loin d’être le seul, on ne peut plus obtenir que de faibles progrès dans la production de pl par une baisse des coûts salariaux. Cela n’empêche pas le capital de les rechercher, mais alors il faut que ces baisses soient très fortes, drastiques, ce qui sape la consommation et aggrave les antagonismes de classe. Devant ces difficultés, les capitalistes sont amenés à rechercher aussi une hausse de la pl par des économies sur le capital fixe: ralentissement des investissements101 et accélération de sa rotation, donc aussi aggravation de l’intensité du travail. Par exemple: zéro stocks, flux tendus, élimination des pannes, des rebuts et autres gaspillages102. Le ralentissement des investissements en capital fixe contribue pour une bonne part aux profits actuels de certaines entreprises. Ceux-ci sont distribués, ou utilisés pour racheter des actions de l’entreprise ou d’autres entreprises (OPA par exemple). Il s’agit bien d’un ralentissement de l’accumulation de capital productif, d’une dévalorisation du capital qui n’a pas déjà été détruit par la crise, dont une partie ne se reconvertit pas en capital additionnel.
Le temps, temps de circulation opposé au temps de production, temps de travail productif opposé au temps de travail improductif, est un résumé de la contradiction du capital. « Le capital est lui-même la contradiction en procès, en ce qu’il s’efforce de réduire le temps de travail à un minimum, tandis que d’un autre côté il pose le temps de travail comme seule mesure et source de la richesse »103. Et Marx avait parfaitement prévu le mouvement de cette contradiction en observant que « dans la mesure où… le travail immédiat et sa quantité disparaissent en tant que principe déterminant de la production… et se trouvent rabaissés aussi bien quantitativement à une proportion réduite que qualitativement à un moment certes indispensable, mais subalterne au regard du travail scientifique général, de l’application technologique des sciences physiques et mathématiques (et autres, n.d.a.)… le capital travaille ainsi à sa propre dissolution en tant que forme dominant la production »104.
Marx en tire la célèbre conclusion que « la véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même: le capital est sa mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production… Le moyen – développement inconditionné de la productivité sociale – entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée: mise en valeur du capital existant »105.
Cependant, il faut bien comprendre qu’affirmer que cette barrière est le capital lui-même n’est pas affirmer qu’elle est une chose (une quantité de marchandises, un prix, un profit, etc.). Le capital n’est pas une chose mais un rapport social. C’est donc affirmer que cette barrière est dans ce rapport de production qu’est le capital, rapport entre les moyens de production qui s’accroissent quantitativement et qualitativement (accroissement de leur valeur d’usage, de leur efficacité) d’un côté, et la masse des prolétaires qu’ils écrasent, aliènent et éliminent de l’autre. Elle est celle de cette limite qu’approche asymptotiquement la production de pl du fait de l’évolution de ce rapport dans le sens de la diminution relative du nombre des prolétaires employés à un travail productif, et du grossissement qui s’ensuit de la masse de tous les prolétaires réduits à la sous-consommation et à la misère. Le capital peut certes aujourd’hui se survivre dans une quasi-stagnation, à travers guerres et autres catastrophes, et par une exploitation toujours plus forcenée des prolétaires. C’est cet antagonisme de classe croissant, c’est la lutte des prolétaires pour abolir leur situation, s’abolir en tant que prolétaires, qui est bien la seule limite ultime de la reproduction du capital. Nous y reviendrons (chapitre 7).
Tel est le fond de la crise actuelle, et non pas, comme cela a été claironné par les économistes, de simples « exagérations » d’un capital financier qui aurait été trop avide et insuffisamment contrôlé. Mais ce n’est pas pour autant que l’hyperinflation du crédit, et concomitamment du capital financier, n’a pas joué et ne joue pas encore un rôle significatif dans la crise. En effet, puisqu’il s’agit d’un facteur de dévalorisation du capital productif, il est évident que cet hyper-accroissement a accéléré et amplifié considérablement cet effet dévalorisant. Il est donc utile de rappeler ici très brièvement que cette situation est aussi très significative de l’état de sénilité du capital contemporain.
Le crédit a toujours été un moyen d’accélérer la rotation du capital, ainsi que de faciliter sa mobilité et sa concentration, toutes choses qui stimulent, tel un dopant, sa valorisation et sa reproduction. Mais l’hyper-accroissement du crédit, et donc des dettes, ce n’est plus un simple dopant, c’est de la respiration artificielle, de l’acharnement thérapeutique. Que dire d’autre en effet quand ce sont les augmentations massives des dettes privées et publiques qui assurent aujourd’hui la survie du capital en maintenant vaille que vaille, et de krach en krach, la production (via des subventions, des emprunts, et des conditions de la production de plus en plus fournies par les Etats) comme la consommation (via des crédits, des primes d’Etat à l’achat de voitures ou autres, des financements sociaux payés par les Etats, des dépenses militaires, etc.)? Quand, dans les pays les plus riches qui assurent l’essentiel de la consommation mondiale, les dettes publiques et privées cumulent à des niveaux de 200 à 300 % du PIB, on ne peut que constater qu’il s’agit d’un système qui fonctionne artificiellement. Ce que manifestent les krachs financiers qui se succèdent avec une rapidité et une intensité accrues depuis une quarantaine d’années. Bref, une accumulation de dettes n’a jamais été une accumulation de capital, une production de valeur. De l’émission monétaire sans rapport avec une augmentation réelle des valeurs produites et en circulation non plus. Tout cela permet, pendant un temps assez court, d’augmenter les profits, mais ne constitue pas pour autant une accumulation de capital productif. C’est au contraire surtout une accumulation de capital fictif, d’une masse d’argent se présentant comme capital financier, dont la croissance est telle qu’il est devenu un très puissant facteur de la dévalorisation du capital.
Mais avant de montrer, et pour le montrer sous tous ses aspects, ce que recèle de révolutionnaire cette situation, il faut revenir plus en détail sur le rôle que joue la science et ses applications dans la production, dans la dévalorisation du capital. Car non seulement leur extraordinaire développement106 est un phénomène essentiel et très caractéristique du capitalisme contemporain, mais c’est (contrairement, par exemple, au développement du capital financier) aussi une condition du communisme si, au lieu d’être appropriées par le capital, elles faisaient l’objet d’une appropriation par les individus associés.
6.2 La science dans le présent, potentiel pour l’avenir
On a vu que si la science appliquée à la production génère un effet improductif, une dévalorisation du capital, ce n’est pas seulement que les puissances intellectuelles consomment plus de pl qu’elles ne contribuent à en produire au sein du travailleur collectif, mais c’est surtout qu’elles contribuent, au long de l’accumulation historique du capital, à en réduire la production à force de diminuer la valeur des marchandises.
Payée par le capital financier et associée à lui, la science appliquée à la production décuple la puissance productive en s’incorporant à la machinerie, dont elle augmente sans cesse la valeur d’usage, l’efficacité, en prenant la forme de capital fixe. Elle est, sous cette forme et dans l’activité pratique qui reproduit le capital grossi de la pl, du côté du capital face au travail prolétaire qu’elle soumet, rétrécit, et finalement expulse de la production.
Chaque capitaliste ne peut s’empêcher d’essayer d’augmenter la productivité du capital qu’il gère, car c’est un moyen essentiel pour obtenir un avantage sur ses concurrents, un profit extra (ses produits pouvant être vendus au dessus de leur valeur de marché), et ne pas, s’il n’y parvenait pas, être éliminé par eux. Mais comme les progrès techniques se répandent, ce profit extra disparaît, et reste alors le résultat général de la hausse de productivité: une baisse de la valeur des marchandises, source de la pl dite relative, avant que cette baisse ne finisse par entraîner celle de cette pl elle-même.
La situation devient alors celle de l’époque actuelle où la valeur d’usage des moyens de production et leur utilisation massive sont devenues tellement élevées que les valeurs d’échanges des marchandises (la quantité de travail social qu’elles contiennent) deviennent comparativement insignifiantes. Ce qui, tôt ou tard, se traduit par une baisse des prix dits réels. C’est un phénomène que des économistes ont eux-mêmes observé empiriquement. Par exemple Jean Fourastié, célèbre pour sa formule « des trente glorieuses », constatait pour de très nombreux produits des baisses du genre de celle-ci: le prix du quintal de blé passe de 200 salaires horaires de manœuvre (shm, unité de compte utilisée par lui pour essayer de contourner le problème des variations monétaires et poser des prix dits « réels ») au 18ème siècle en France, à 36 shm dans la période 1931-1940, et 3 shm en 1990. Il observait le même phénomène pour la plupart des produits agricoles et industriels107 (et pour ceux-ci alors même que leurs valeurs d’usage augmentaient considérablement dans le même temps, le cas des ordinateurs personnels en est un autre exemple frappant aujourd’hui). Fourastié situait bien la cause de ce mouvement de baisse des prix dans celle du temps de travail. Par exemple dans le cas du blé, il écrivait: « c’est la conséquence du fait que le temps de travail nécessaire pour produire un quintal de blé est passé de 200 heures au 18ème siècle et à l’aube du 19ème siècle à moins de trois heures à la fin du 20ème ». Pour autant, il ne comprenait rien de ce que ce mouvement signifiait pour le devenir de la société capitaliste, au contraire, il en faisait l’apologie. Comme tous ses confrères, il honnissait Marx et prétendait, prouvant son ignorance, que ce mouvement invalidait sa théorie. Bien au contraire, Marx avait remarquablement anticipé et expliqué ce mouvement, sa théorie de la valeur comme base des prix permettant d’en voir la racine. Par exemple dans ce passage: «… la création de la richesse réelle dépend moins du temps de travail et du quantum de travail employé que de la puissance des agents mis en mouvement au cours du temps de travail, laquelle à son tour… n’a elle-même aucun rapport avec le temps de travail immédiatement dépensé pour les produire, mais dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie, autrement dit de l’application de cette science à la production… le temps de travail cesse d’être la mesure de la richesse et, par suite, la valeur d’échange d’être la mesure de la valeur d’usage… Cela signifie l’écroulement de la production reposant sur la valeur d’échange… »108.
Toujours le temps! Le temps de travail (la quantité de travail employé) devient insignifiant devant la puissance des moyens utilisés pendant ce temps – qui est la puissance de la science incarnée dans les machines par ses possesseurs, les puissances intellectuelles de la production. Le temps de travail qui est nécessaire à ces agents pour s’approprier la science n’est lui-même rien par rapport au temps que les générations passées ont mis pour la produire, et qu’elles lèguent gratuitement comme patrimoine de l’humanité aux générations qui les suivent. De tous côtés, le temps de travail se rétrécit relativement aux valeurs d’usage que produit ce travail.
Mais le capital ne serait pas capital s’il n’était pas obligé de mesurer la richesse par le temps de travail. Il ne peut pas exister sans que les produits prennent la forme valeur, ne s’échangent que comme valeurs (quantités de travail) égales, comme valeurs d’échanges dont l’argent est le signe qui les représente, l’étalon qui les mesure. C’est une conséquence inéluctable de l’appropriation privée des moyens de production que les produits des travaux exécutés dans ce rapport social ne peuvent s’échanger, être socialement validés, que sur la base de l’égalité des quantités de travail social qu’ils contiennent (leurs valeurs), que comme valeurs d’échange109. L’argent, valeur d’échange universelle, est le médiateur obligé des échanges, la forme sous laquelle le capital s’approprie la richesse produite et répartit les capitaux, donc les travaux. Il n’y a pas de procès de reproduction du capital sans que les valeurs en circulation doivent, à certains moments, prendre la forme argent, forme d’existence universelle de la valeur d’échange, elle-même forme d’existence de la valeur. C’est pourquoi le capital tend toujours à maintenir et développer l’existence de la valeur, et « de la production reposant sur la valeur d’échange ».
Se heurte-t-il à une production de pl insuffisante parce que les valeurs d’usage des moyens de production sont trop fortes, il tentera d’y remédier en les détruisant, notamment par des guerres. Et il n’oubliera pas aussi d’imposer du travail à peine payé à des centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants, et même du travail non payé comme dans les divers camps de concentration, goulags, travaux forcés, etc., faisant reculer ainsi momentanément le développement du machinisme au prix donc de la mort rapide de millions d’individus. Bref, le capitalisme ne s’écroulera pas de lui-même, mais est entré dans une période historique de crise chronique, ponctuée de krachs retentissants, où « la production fondée sur la valeur d’échange » tend à s’écrouler (« tend », car pour le moment le capital est encore capable d’exploiter durement plusieurs milliards de prolétaires dans le monde). Ce qui veut dire que le capital de son côté doit tendre à maintenir ce mode de production par les moyens les plus violents, les plus ultimes, depuis la paupérisation absolue d’une masse grandissante de prolétaires jusqu’aux guerres de toutes espèces, en passant par les destructions et mutilations environnementales ainsi que le plus grand gaspillage de ressources non renouvelables.
Pour en rester à la seule question de l’utilisation de la science pour repousser les limites que rencontre « la production fondée sur la valeur d’échange », il est intéressant d’observer combien elle sert aussi au capital, au delà des augmentations de productivité dont nous avons vu les difficultés aujourd’hui, à créer de nouvelles valeurs d’échange dans le but de contrecarrer la diminution de leurs contenus (les quantités de travail). Inventer sans cesse de nouveaux produits, donc de nouveaux besoins, devient un aspect aujourd’hui plus essentiel que jamais de l’existence du capital contemporain. Tout doit devenir marchandise. Jusqu’aux activités a priori les plus personnelles et libres comme les loisirs qui sont de plus en plus des marchandises que le capital vend aux individus au lieu d’être des activités qu’ils se créeraient librement et qui les développeraient. Cette « marchandisation », cette extension du champ des valeurs d’échange, pousse ainsi jusqu’à la culture, l’art, et même le vivant puisque des femmes vendent leur ventre à d’autres stériles, des individus vendent leur sang et leurs organes, etc. Les marchandises doivent aussi intégrer autant que possible plus de technologie (depuis le matériel des fêtes foraines jusqu’aux jeux vidéos), donc par là de plus en plus de temps de travail, afin d’en augmenter la valeur et d’accélérer le renouvellement des achats. Cependant, dans de nombreux cas, les inventions ne font que remplacer des produits par d’autres, donc aboutissent aussi à dévaloriser et détruire des capitaux rendus ainsi obsolètes. En enrichir le contenu en technologies sophistiquées, donc en quantités de travail, en valeur, se heurte aussi à des problèmes de débouchés au moment où les masses sont paupérisées par la réaction du capital à la crise. C’est d’ailleurs pourquoi on assiste aussi au succès plus grand d’un mouvement en sens inverse, les produits « low cost » (voitures, voyages, aliments, etc.). Ils contiennent une quantité de travail plus faible, que ce soit en capital fixe (utilisation de matériaux déjà existants et amortis dans la production d’autres voitures par exemple), ou en capital variable (fabrication dans les pays à faibles coûts salariaux, réduction des prestations fournies, intensité accrue du travail, etc.). Les profits tirés de ces produits low cost sont d’abord gonflés du fait qu’il s’agit, comme pour toute innovation, de profits extra (vente au dessus de la valeur). Mais quand, inévitablement, la rente de situation initiale que génère l’innovation disparaîtra, le système low cost apparaîtra bien comme une manifestation de la chute de la valeur des marchandises dans le capitalisme moderne, avec toutes les conséquences que nous avons rappelées concernant celle de la pl qui s’ensuit.
Plus intéressant pour le capital est la création de marchandises nouvelles qui ne remplacent pas les anciennes et étendent davantage le champ des valeurs d’échange. Citons trois exemples de cette extension:
1°) Le développement, récemment accéléré, d’un mouvement (qui rappelle celui des « enclosures » des débuts du capitalisme) d’accaparement de terres arables par de puissantes sociétés capitalistes. Près de 50 millions d’hectares seraient ainsi accaparés, ou en voie de l’être, notamment en Afrique mais aussi en Amérique latine110. Il s’agit d’y soumettre l’agriculture à une exploitation scientifique capitaliste, à grande échelle, utilisant toutes sortes de produits chimiques, de forces mécaniques. La science consiste ici à mettre en œuvre les méthodes agronomiques les plus productives, qui produisent les dégâts que l’on sait tant sur le plan sanitaire qu’écologique, afin de faire entrer une agriculture encore autochtone, vivrière et locale dans le champ des valeurs d’échange mondialisées. Evidemment, les populations locales qui vivaient encore plus ou moins communautairement sur ces terres en seront évincées. Elles y étaient souvent très pauvres mais quand même avec une petite propriété, un droit d’usage, elles seront maintenant sans rien et encore plus affamées dans les bidonvilles des mégapoles vers lesquels elles sont expulsées et parquées.
2°) La mise sur le marché, beaucoup trop rapide, par le capital de nouveaux produits inventés par la science dont la dangerosité possible n’a pas été sérieusement testée avec tous les moyens scientifiques disponibles (par exemple actuellement, les nanotechnologies, les OGM, etc.), ou a été cachée (par exemple l’amiante), ou même encore est parfaitement connue sans que cela empêche de les utiliser à grande échelle (par exemple le nucléaire). Ce défaut insensé de prudence, de précaution, malgré que le « principe de précaution » soit dans toutes les bouches officielles (et en France, inscrit dans la Constitution), malgré surtout les catastrophes engendrées régulièrement par ce comportement (Bhopal, Seveso, Tchernobyl n’en sont que quelques exemples emblématiques parmi beaucoup d’autres), ne fait pas que manifester le cynisme inhérent au capitalisme. L’accélération de ce mouvement, son ampleur, traduit aussi les difficultés de la valorisation du capital qui le pousse à réduire le temps de la recherche scientifique, temps non productif, pour accélérer le moment de sa mise en œuvre, temps productif. Qui le pousse en tout à aller plus vite, pour une qualité moindre (on a vu encore récemment un exemple flagrant avec l’explosion de la plate-forme pétrolière de BP dans le golfe du Mexique due à des économies de maintenance sur des matériaux de mauvaise qualité).
3°) L’extension, toujours grâce à la science, du champ des valeurs d’échange à tout ce qui peut exister dans la nature (ce que les écologistes appellent « la marchandisation du monde », mais dont ils ne voient pas l’origine dans le rapport de production capitaliste). Cette extension se fait notamment par le biais juridique du brevet, document qui permet qu’une invention devienne une marchandise (ceci alors même que l’invention est fondée pour une large part sur l’appropriation privée de la science produite par les générations passées), une sorte de capital potentiel dont le propriétaire jouira de la mise en valeur si elle advient, par exemple en touchant des royalties (participation aux bénéfices) ou sous d’autres formes. Mais la nouveauté dans ce domaine est qu’aujourd’hui le brevet ne concerne plus seulement l’invention de nouveaux produits ou de nouveaux procédés de fabrication, mais des substances déjà existantes, et souvent déjà utilisées, dont le capital prétend faire une marchandise lui appartenant parce que la science qu’il s’associe en a découvert la structure, caractérisé les éléments qui la composent. Il ne s’agit donc pas d’invention mais d’une meilleure connaissance de l’existant, du vivant, plantes, animaux, humains, etc., dont la science isole et définit les propriétés chimiques ou physiques de tel ou tel élément. On assiste ainsi au brevetage de séquences d’ADN, de gènes, de telle ou telle semence, plante, etc. De sorte que le capital fait ainsi d’éléments existant dans la nature de nouvelles marchandises lui appartenant. Comme si Lavoisier avait breveté l’oxygène qu’il avait isolé et découvert comme élément de l’air, et voulu le faire payer à tous ceux qui en respiraient! Mais le capital y parviendra peut-être un jour, lui qui déjà vend l’air pur, le soleil et la mer en transformant montagnes et littoraux en zones touristiques lui appartenant.
Le problème pour le capital est que la science ne s’enferme pas dans un brevet, et qu’en elle-même, elle ne se réduit pas à une mesure vu son caractère qualitatif111. « Entre l’argent et le savoir, point de commune mesure » disait déjà Aristote. Ainsi les connaissances, la science, les « produits » intellectuels en général peuvent très bien être transmis et utilisés par d’autres sans que ceux qui en ont la possession la perdent, et sans que ces produits ne soient usés, détruits de quelque façon. C’est là un fondement pour la gratuité de cette transmission. Autre chose est que la force de travail scientifique doit être renouvelée, donc rémunérée. Mais nous savons qu’en tant que telle, elle est peu coûteuse, ayant justement elle-même bénéficiée d’une transmission gratuite du patrimoine scientifique de l’humanité. Sa rémunération, son « juste prix », n’est donc rien au regard de la valeur d’usage produite, qui est immense non seulement par son contenu mais aussi par le fait qu’elle peut être diffusée à tout le monde quasi gratuitement, et multiplier ainsi par des milliards d’individus sa puissance. Textes, informations, démonstrations, musique, etc., il suffit de quelques clics de souris pour pouvoir avoir accès à toute connaissance… qui ne serait pas brevetée et cachée.
Pourtant la science et les productions intellectuelles en général se développent et se perfectionnent d’autant plus qu’elles font l’objet de la plus large diffusion et d’une appropriation par le plus grand nombre (l’exemple du logiciel libre Linux donne un aperçu de ce qu’il est aisément possible de faire). Mais le capital doit maintenir les travaux intellectuels dans le carcan de la valeur, doit faire de leurs produits des valeurs intégrées au procès de valorisation du capital. Cela est d’ailleurs pour lui une source de faux-frais considérables puisqu’il lui faut tout un arsenal juridique et policier fort coûteux pour traquer, sans grand succès, les contrefaçons, copiages et autres « piratages » intellectuels qui se multiplient. Mais surtout, cela stérilise la diffusion des connaissances, et donc leur développement ainsi que leur utilisation (à tel point que le capital a dû malgré tout limiter dans le temps le droit de propriété que confère le brevet, égratignant ainsi lui-même la propriété privée!). Stérilisation qui confirme, sous cet aspect aussi, combien le rapport d’appropriation capitaliste s’oppose au plein développement de la puissance, de la richesse, des qualités des individus. Et la bourgeoisie met encore une fois la vérité cul par-dessus tête quand elle prétend justifier le brevet au nom de l’incitation à la recherche, alors qu’il contribue au contraire à la rétrécir, et à l’orienter dans un sens qui l’oppose aux intérêts et besoins de l’immense majorité des individus, jusqu’à y compris les détruire.
Bref, on a vu que l’acquisition des connaissances ne coûte que très peu de temps relativement à la valeur d’usage ainsi acquise. On voit aussi qu’elles sont reproductibles et transmissibles à l’infini quasi gratuitement sans que cela ne dépossède qui que ce soit, si ce n’est d’un droit juridique. Au contraire, évincer des milliards d’individus de cette possession, c’est non seulement une mutilation, un crime à leur égard, mais c’est rétrécir et ralentir le développement des connaissances lui-même, c’est vouloir laisser la majorité de l’humanité dans la misère de vies rabougries, appauvries du possible développement de leurs qualités. Rien ne justifie ces extraordinaires limitations si ce n’est le rapport d’appropriation privée des conditions de la production qui caractérise le capital, rapport dans lequel les puissances scientifiques sont, en tant que possédant une partie essentielle de ces conditions, opposées aux prolétaires.
La science est déjà une puissance sociale collective, tant par le travail passé qui est l’essentiel de son contenu, que par le travail vivant qui la développe et qui est payé par tous les travailleurs: ce sont eux qui fournissent aux scientifiques tant les matériaux qu’ils utilisent que les biens de consommation qui les produisent et les entretiennent. Une puissance qui a atteint aujourd’hui un niveau tel qu’elle ne peut plus guère se développer dans le carcan du rapport d’appropriation capitaliste des moyens matériels et intellectuels de la production sans contribuer d’une part, et bien malgré elle, à le délabrer quand, appliquée à la production, elle finit par réduire la valeur d’échange des produits, forme d’existence de la richesse dans le rapport capitaliste, à l’insignifiance. Et d’autre part, quand elle se développe à l’inverse comme source d’extension du champ des valeurs d’échange, elle le fait comme puissance incontrôlée, ultra-dangereuse, létale. Du coup, la solution est alors évidente dans son principe: que cette puissance sociale devienne réellement propriété sociale, propriété des individus sociaux. Que tous soient en situation de s’approprier le maximum de connaissances qu’ils peuvent acquérir, et veulent acquérir au fur et à mesure que s’élèvent leurs besoins, s’enrichissent leurs personnalités. Et alors, et seulement alors, le développement scientifique, et celui de l’humanité, pourra être sous l’initiative et le contrôle des individus, réellement, autrement qu’en vœux pieux, incantations démocratiques et appels à l’Etat. Et alors aussi tous formeront par leurs travaux, leurs échanges, un « cerveau social », un « intellect général », qui sera le moyen d’une nouvelle impulsion d’un développement humain d’une puissance décuplée par cette mise en action de l’intelligence, enfin pleinement cultivée et utilisée, des milliards d’individus associés.
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CHAPITRE 7. CHOISIR LA DESTRUCTION DU CAPITAL OU CELLE DE L’HUMANITE
Le capitalisme est contradictions en actes, selon l’excellente formule de K. Marx. Par exemple:
– Le capital n’existe que dans sa valorisation permanente, mais chaque capitaliste augmente autant qu’il le peut la productivité qui finalement en réduit le fondement, le travail productif.
– Chaque capitaliste s’emploie à augmenter le taux d’exploitation des prolétaires pour augmenter la pl qu’il produit, mais alors la consommation ne se développe pas assez pour la réaliser.
– Il développe le crédit pour accélérer la production et la consommation (augmenter la vitesse de rotation du capital), et crée par là un monceau de capital fictif et de pl fictive débouchant sur des krachs financiers destructeurs et un blocage de la production capitaliste fondée sur le crédit.
– Il veut économiser sur les coûts de production et développe par là des désastres écologiques qui les élèvent, ainsi que de multiples autres gaspillages.
– Fondé sur l’appropriation privée des moyens de production et des richesses, il développe nécessairement toujours davantage la lutte entre capitaux pour cette appropriation, les conflits et les luttes de classe qui l’affaiblissent et, espérons-le, l’abattront.
La reproduction du capital est son accumulation, son accroissement. C’est-à-dire aussi celui de ses contradictions. Elles prennent toutes un tour de plus en plus antagonique avec cette croissance, au point que le système ne se survit qu’au travers de crises où le capital ne s’accumule plus, où il est dévalorisé et détruit pour une grande part. Aujourd’hui, cette croissance est faible, plus ou moins stagnante, et la reprise d’un nouveau cycle d’accumulation un tant soit peu vigoureuse et durable n’est plus possible pour des raisons que nous avons décrites précédemment et qui se résument à ceci: le capital n’a plus que peu de possibilités d’augmenter la production-réalisation de pl du fait de la diminution du travail productif qu’il peut salarier, et qu’il salarie de plus en plus mal. Autrement dit, la diminution de la valeur des marchandises produites (dont la grandeur est cette quantité de travail social) est telle que la pl qu’elle contient devient elle-même minime. C’est l’accroissement de leurs propres valeurs d’usage, notamment quand il s’agit des moyens de production, qui par leurs puissances diminue et délite leurs valeurs d’échange qui seules comptent pour le capital.
Ce stade historique de l’accumulation du capital est celui de son âge sénile. C’est toute une époque de crises, de chômage croissant, de conflits violents, de destructions, et aussi de résistances, qu’il faut transformer en révolution. Certes, tous les pays ne développent pas cette crise au même rythme. Certains connaissent encore une croissance assez vive112 (la Chine étant toujours l’exemple cité dans ce cas). Mais elle y est aussi maintenant avec la croissance du chômage, et plus généralement celle des mêmes contradictions qu’ailleurs: le niveau de la mécanisation et de la productivité y est du même ordre, très élevé (à l’exception, souvent, de l’agriculture et des mines), celui du crédit aussi, ainsi que la dépendance au marché mondial saturé. Donc, comme ailleurs, un régime fordiste-keynésien d’accumulation n’y est pas possible, et les bas salaires y sont la condition de la valorisation (et on sait que c’est pour cela que les capitaux s’y sont « délocalisés » en masse). Or voilà que les luttes salariales s’y développent (récemment au Bengladesh et en Chine notamment). Une élévation des salaires pourrait permettre d’y relever la consommation intérieure, ce qui serait nécessaire pour essayer de compenser la baisse de celle des pays riches importateurs de leurs productions. Mais cela affaiblirait cette condition ultime de la valorisation des capitaux à l’époque du capitalisme sénile.
Certes, le capital peut perdurer dans cet état sénile tant qu’il ne trouve pas en face de lui un mouvement révolutionnaire suffisamment puissant pour empêcher sa survie, qui ne peut se faire à notre époque que sur le fondement d’une paupérisation absolue des prolétaires. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’une situation de crise, de croissance du chômage et de paupérisation des masses crée automatiquement un contexte révolutionnaire, un mouvement communiste puissant. Il n’y a pas une telle détermination unilatérale, une inéluctable chronologie crise-révolution. En réalité, le niveau de la lutte des prolétaires fait partie de la crise du capital: c’est elle qui la pousse à bout, tout autant que c’est la crise qui la stimule. Ou au contraire, si cette lutte est trop faible, elle permet au capital d’accroître le taux d’exploitation, la paupérisation de la masse des expulsés de l’emploi, surnuméraires définitifs de ce capitalisme sénile, et d’opérer les destructions de tous ordres auxquelles il est conduit à procéder pour se survivre.
Le fait est que dans cette situation historique spécifique, le capital n’a plus guère de miettes salariales à distribuer aux prolétaires, ni même à une large partie des couches moyennes. Il a certes accaparé énormément, mais il peine à mettre en valeur, comme capital, les richesses fabuleuses qu’il possède et qu’il entasse, consomme dans le luxe le plus débridé, gaspille dans les dépenses les plus improductives et inutiles, dissipe dans ses crises. Sur le plan politique, c’est la fin du « réformisme » qui permettait de maintenir l’ordre social en attachant les travailleurs au système par le moyen d’une relative augmentation de leur niveau de vie. La pauvreté n’était pour beaucoup, dans les pays capitalistes développés du moins, que relative à l’accaparement bourgeois. Elle devient pour beaucoup absolue.
Pourtant les idéologues et politiciens de « gauche » cherchent encore à entraîner les prolétaires sur ce terrain. Ils brandissent encore les mêmes propositions, pourtant mille fois expérimentées comme n’ayant en rien aboli la condition de prolétaire, ni affaibli l’accumulation et la reproduction du capital. Elles tournent toujours autour des mêmes rodomontades: prendre aux riches, mais sans abolir la propriété privée des moyens de production ni la classe bourgeoise; contrôler l’Etat qui, gouverné par eux, « régulerait » le capital et « mettrait l’économie au service de l’homme »; assurer le développement d’un « bon capital » producteur, investisseur, créateur d’emploi, qui supplanterait le « mauvais capital » financier, etc. On ne refera pas ici la liste complète ni la critique de ces fadaises. Par contre, arrêtons-nous un instant sur ce qui apparaît aujourd’hui plus que jamais comme le point central des luttes prolétaires immédiates dans ce capitalisme en crise: l’emploi, du moins en tant que le revenu en dépend (y compris la retraite là où elle existe).
Emploi est un terme vague qui recouvre toutes sortes d’activités très différentes dans leur contenu comme dans leurs rémunérations. L’emploi d’un cadre supérieur n’a évidemment rien à voir avec celui d’un prolétaire. On ne parlera ici que de l’emploi prolétaire, celui de la plus grande masse, et surtout, de la plus grande force opposée au capital, la seule qui lui soit antagonique jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il et eux soient abolis.
Certes, le chômage prolétaire a toujours existé dans le capitalisme, et souvent aussi massif qu’aujourd’hui. L’existence de cette « armée de réserve » est inhérente à l’existence du capital. Mais ce qu’il y a de particulier au stade actuel du capitalisme sénile, c’est qu’il devient structurellement croissant, qu’il ne s’agit plus seulement de prolétaires en réserve dans l’attente d’être employés lors d’une accélération de l’accumulation du capital, mais de surnuméraires définitifs pour les raisons qui ont été décrites ci-dessus. Les économistes gémissent qu’il faudrait une croissance annuelle du PIB d’au moins 2 % dans les pays centraux du capitalisme pour que le chômage cesse seulement d’y croître. Or, nous l’avons vu, la production-réalisation de la pl ne peut plus y être suffisante par rapport à la masse de capital (productif et improductif) à rémunérer, sauf peut-être sur de très courtes périodes, pour y parvenir durablement. Ne serait-ce que parce que le système du crédit massif qui a soutenu artificiellement la croissance ces dernières années s’avère totalement à bout de souffle dès lors que les prêteurs en dernier ressort, les Etats et leurs banques centrales, font faillite ou sont au bord de la faillite. « Je suis à la tête d’un Etat en faillite » a reconnu le premier ministre français Fillon dès septembre 2007.
Bref, il ne peut y avoir à ce stade que stagnation, et même tendance à la décroissance globale de la masse de prolétaires que le capital peut employer à temps complet. Le capital est ainsi fait que quand il ne peut plus extorquer assez de surtravail et le convertir en pl, il supprime le travail nécessaire113, c’est-à-dire réduit ou supprime l’emploi. Mais comme le travail des prolétaires lui est aussi indispensable pour obtenir la pl, et qu’il lui faut également essayer de les maintenir dans un minimum d’acceptation du système, il affirme par la voix de l’Etat vouloir malgré tout « sauver l’emploi ». Comme si l’Etat le pouvait! Ce sauvetage est présenté comme d’intérêt général, comme si ce travail prolétaire était une finalité humaine qui justifie tous les sacrifices de la part de ceux qui ont « la chance » d’être ainsi employés, ou qui veulent l’être pour avoir un revenu. Car sauver l’emploi, c’est bien sûr rétablir les profits. Aussi les « réformes » ne consistent plus aujourd’hui, dans le capitalisme sénile, que dans l’aggravation systématique de l’exploitation des prolétaires, notamment via la flexibilité et la précarité de l’emploi114. Au point qu’une masse croissante de ces salariés deviennent « travailleurs pauvres » ou chômeurs et voient leurs revenus s’effondrer, souvent en dessous même du niveau nécessaire à leur reproduction comme prolétaires.
Cependant, cette aggravation drastique des conditions de travail ne suffit pas encore à inverser la tendance à la montée du chômage. Dans nombre de pays développés, l’Etat doit assurer de plus en plus directement le financement de la pl nécessaire à la survie du capital, via des subventions diverses aux entreprises et via la prise en charge directe d’une partie des coûts salariaux et d’entretien des surnuméraires115. Ce que ces Etats financent de plus en plus massivement par la dette, dont on sait que son accroissement est déjà tel qu’il ne peut que les mener à la banqueroute s’ils continuent à la creuser. Donc, il leur faut siffler la fin de la récréation, et de l’illusion qu’il suffirait de s’endetter et de créer de la monnaie pour créer de la richesse, de la croissance et de l’emploi.
Comprendre ainsi la situation où se patauge aujourd’hui l’accumulation du capital, c’est comprendre que réclamer à grands cris la croissance et l’emploi comme le font tous les partis et syndicats, de droite comme de gauche, ne mène les prolétaires au mieux qu’à l’acceptation d’emplois encore plus dégradés que ceux d’hier, et finalement à l’impasse de la précarité et du chômage. Ce n’est pas l’un ou l’autre, comme les patrons en font le chantage (encore récemment à General Motors à Strasbourg)116, mais bien l’un et l’autre (comme nombre de prolétaires, qui ne se battent plus que pour partir avec le maximum d’argent, l’ont compris).
Devant l’impossibilité manifeste d’empêcher la diminution de la quantité de travail prolétaire employé, certaines organisations de la gauche proposent des solutions qui se veulent radicales. Il faudrait partager ces emplois – de façon que tous ces prolétaires aient un travail, chacun travaillant moins – et il faudrait modifier la répartition des revenus en « prenant aux riches », de façon que tous ces employés aient un revenu décent. Ainsi on aurait « un emploi pour tous à un salaire convenable »!
C’est si simple les vases communicants! Il suffirait qu’un gouvernement de gauche ouvre le robinet des revenus dans l’autre sens! Sauf que dans le mode de production capitaliste, la reproduction de la société nécessite celle du capital, donc l’augmentation des profits à proportion de son accumulation, de sa croissance. Sauf donc que c’est nécessairement le capital (« les marchés » dans le jargon des économistes) qui, suivant ses possibilités de valorisation, décide de la croissance, de l’emploi, de la répartition des richesses, etc.
Cette évidence amène certains à formuler des propositions contradictoires. Par exemple: « ce qui est à l’ordre du jour n’est pas… la sortie du salariat, mais le droit à un emploi salarié, combiné à une baisse du temps de travail. Garantir réellement ce droit suppose de remettre en cause la marchandisation de la force de travail, donc de s’attaquer aux rapports de propriété capitalistes »117. Ainsi, cet auteur propose de conserver le salariat tout en abolissant « la marchandisation de la force de travail », c’est-à-dire… le salariat! Il veut le droit à l’emploi et, s’avisant peut-être qu’en France ce droit existe déjà, inscrit même dans la Constitution sans que cela ait eu le moindre effet, veut le garantir en « s’attaquant aux rapports de propriété capitalistes ». Ce qui pour lui n’est pas le procès révolutionnaire abolissant ces rapports, mais les nationalisations qui les maintiennent simplement sous une autre forme juridique. Car si c’était le procès révolutionnaire, alors il ne s’agirait plus de partager l’emploi prolétaire entre les prolétaires, mais entre tous les individus aptes à travailler, de sorte à développer le temps libre nécessaire à l’abolition de la condition de prolétaire.
Quant à la répartition des richesses produites, elle dépend pour l’essentiel de la répartition de la propriété sur les moyens et conditions de la production, de la place qui en découle pour chacun dans la division du travail et du pouvoir qui s’ensuit. Il est certes toujours possible – et notamment quant la lutte des prolétaires se fait plus dure, ou en situation de plein emploi – qu’ils améliorent quelque peu leur situation. Mais cela ne modifie que provisoirement la tendance historique du capital à augmenter leur paupérisation relative, puis absolue (processus non linéaire et inégal selon les diverses aires économiques). L’important n’est pas tant de « prendre aux riches » ce qu’ils ont, mais les moyens qu’ils ont et qui leur permettent d’accaparer ce qu’ils ont.
Au mieux, avec l’étatisation, et comme dans les régimes staliniens, les prolétaires obtiennent un rétrécissement de l’écart entre leur situation matérielle et celle de la nouvelle bourgeoisie (la bureaucratie-technocratie « communiste »). Et, maigre cerise rouge sur le gâteau noir du capitalisme étatisé, ils y sont sanctifiés comme les maîtres piliers de cette société en tant qu’ils y travaillent comme des stakhanovistes118, ce travail forcené étant affirmé par cette nouvelle bourgeoisie comme l’activité révolutionnaire par excellence! C’est ce que Marx et Engels qualifiaient de « socialisme bourgeois » qui « éternise le manœuvre de profession ».
Aujourd’hui, pour le capital, les prolétaires sont de plus en plus en trop. Pour les prolétaires qui refusent d’être expulsés de la société et de la vie, c’est le capital qui est « en trop ». Il leur faut l’abolir pour qu’en même temps leur propre abolition soit leur métamorphose en hommes différents, plus riches de qualités et de liberté, et non pas leur destruction dans une paupérisation grandissante et des guerres meurtrières. Un tel bouleversement ne peut pas évidemment se décréter. Il y faut des conditions. Et il faut donc savoir où en est le développement historique du capital quant à la réalisation de ces conditions, afin de déterminer ce qui est possible immédiatement, et le chemin qu’il reste à parcourir.
Ces conditions sont de deux ordres, plus ou moins autonomes mais non indépendants: 1°) matériel, objectif; 2°) subjectif, activité pratique. C’est-à-dire, pour les résumer très succinctement: 1°) « l’abondance », au sens que la production des biens nécessaires à la vie exige relativement peu de travail contraint, répulsif, du fait de la puissance des moyens de production (donc non pas au sens d’une production illimitée de tout et n’importe quoi). Ce qui se résume en ceci: abondance de temps libre pour des activités libres; 2°) l’organisation des prolétaires en classe, en prolétariat uni contre la bourgeoisie, et en premier lieu pour renverser l’Etat qui est l’organisation de la classe bourgeoise.
Or aujourd’hui la première de ces conditions est tout à fait réalisable puisque le capital lui-même a considérablement réduit le travail prolétaire, et qu’il pourrait l’être encore beaucoup plus par des mesures telles que:
– la suppression ou la réduction à un minimum de toutes sortes de fonctions (par exemple, les fonctions financières, publicitaires, nombre de fonctions juridiques, médiatiques, politiciennes et bureaucratiques, etc.);
– l’élimination de gaspillages, de productions et travaux inutiles à une société qui serait rationnellement et humainement organisée (par exemple, les industries du luxe, le tout automobile);
– l’affectation à une part de travail contraint de tous les individus ainsi rendus disponibles et, évidemment, des chômeurs. Cette potentialité réelle119, qui est vécue aujourd’hui par les masses à travers le chômage ou le travail à temps partiel et intermittent, est une base pour le développement de la deuxième condition, puisqu’évidemment elle se reflète plus ou moins dans les consciences.
Mais il ne s’agit pas d’un « reflet » qui se formerait automatiquement comme conscience de ce but: renverser l’Etat. Car chacun sait que l’influence de l’idéologie bourgeoise peut amener, et amène effectivement, une partie des prolétaires sur les chemins catastrophiques de l’étatisme, du nationalisme, de la concurrence et de la guerre. Il ne s’agit pas d’une propagande simplement artificielle, elle est d’autant plus forte qu’elle repose sur des bases matérielles bien réelles telles que les apparences du rapport capitaliste à la surface de la vie sociale (ce que Marx appelait les fétichismes de la marchandise et des formes prix, salaires, etc.), l’histoire particulière des diverses formations sociales et leurs positions réciproques dans la division mondiale du travail, les intérêts des divers appareils (partis, syndicats) qui collaborent à la « régulation » et au développement du capitalisme, etc.
Aussi un enjeu essentiel et immédiat pour les prolétaires se présente, en résumé, comme suit: soit défendre « son emploi », chacun de son côté, accepter qu’il dépende toujours du capital, étatisé ou non, et se battre derrière lui pour sa plus forte croissance possible. Et alors c’est l’abandon, la soumission, l’acceptation d’un travail et d’un salaire encore plus dégradés sous prétexte qu’en Chine, au Mexique ou ailleurs les ouvriers sont plus exploités. Et alors aussi, c’est la tentative de combattre cette concurrence (ce « dumping » social dit-on) en se précipitant dans le protectionnisme, le nationalisme, une prétendue « identité nationale » ou communautaire, ou religieuse. C’est alors participer à la concurrence entre capitaux en en faisant aussi une concurrence entre prolétaires. Les deux précédentes guerres mondiales prouvent que c’est la pire façon dont ils peuvent soutenir le capital sous prétexte de soutenir « leur » capital afin, espèrent-ils à tort, qu’il les emploie mieux.
Soit s’appuyer sur le mouvement historique de la diminution de la quantité de travail prolétaire nécessaire à la production, comprendre qu’il n’est une catastrophe que pour le capital et, refusant que cela en soit une pour eux, renverser le pouvoir d’Etat bourgeois pour pouvoir réduire et partager entre tous cette quantité de travail, et réorganiser toute la production afin d’accroître le temps libre qui leur permettra de s’approprier tous les moyens matériels et intellectuels (autrement dit les résultats du travail des générations passées) de la production de leur vie et de leur communauté. Ce qui est le début d’une véritable transformation des rapports sociaux, et des individus eux-mêmes se créant de nouveaux besoins et activités.
Cette voie révolutionnaire n’est nullement utopique puisqu’elle s’appuie sur une réalité qui se dévoile dans cette époque de l’histoire du capitalisme. A savoir l’extraordinaire puissance des valeurs d’usage produites qui fait apercevoir comme une perspective concrète l’abolition de la condition de prolétaire. Non pas, comme certains l’imaginent une fin immédiate du travail contraint – on est encore loin d’une production entièrement robotisée – mais comme la possibilité d’une réduction telle de la part de travail contraint, répulsif mais nécessaire, qu’il deviendrait secondaire, et de plus en plus, dans l’ensemble des activités que font les individus et qui les font. Ce qui serait déterminant serait alors le travail libre, fondé sur le temps libre, le travail permettant le développement de toutes les qualités des individus, leur maîtrise grandissante sur l’autoproduction sociale de leur vie, et le plus grand développement scientifique, artistique, culturel de tous.
On voit bien que l’analyse de la situation du capital sénile quant à sa reproduction, donc quant à celle de la société bourgeoise, amène à ce résultat que résumer l’avenir à des alternatives telles que croissance ou décroissance, capitalisme vert ou capitalisme rouge, libéralisme ou étatisme, droite ou gauche, c’est vouloir l’organiser comme une catastrophe pour l’humanité, une totale destruction. Il faut donc choisir l’autre destruction possible: celle du capitalisme, c’est-à-dire, in fine, celle de l’appropriation privée des moyens matériels et intellectuels de la production des hommes par eux-mêmes.
La propriété en général, c’est une aptitude à s’approprier les conditions de l’existence, ses moyens et la capacité, le savoir, l’art d’en user (et non d’être usés par eux!). La propriété juridique, le droit de propriété n’en est qu’une formalisation. Le droit est superficiel, un constat formel des rapports sociaux, mais la propriété effective est active, c’est un comportement spécifique, déterminé par les moyens qu’on possède ou pas pour agir, se développer, acquérir des choses, des connaissances, des qualités. La propriété privée du monde bourgeois nie le caractère social de tout ce qui a été produit, et a pu être ainsi approprié. Elle fait des autres des moyens (quasiment des choses) pour les propriétaires, des individus à exploiter, à rouler, à piller ou à vaincre afin de pouvoir s’approprier les résultats de leur travail. Dans ce monde bourgeois réifié, dominé par la valeur d’échange (l’argent), c’est avant tout l’activité d’accaparement des choses, de l’argent qui les représente, des moyens du travail qui les produisent, qui constitue la propriété.
Dans le mouvement révolutionnaire communiste, c’est d’autres besoins et activités supérieurs. Le temps libre est une base pour changer le prolétaire lui-même qui, comme tel, appartient aussi au monde capitaliste même s’il n’a d’autre propriété que sa force de travail. « Le temps libre – qui est aussi bien temps de loisir que temps destiné à une activité supérieure – a naturellement transformé son possesseur en sujet différent, et c’est en tant que tel qu’il entre alors dans le procès de production immédiat »120 et dans la vie sociale toute entière. Sujet différent, possédant une puissance différente et supérieure, rapports sociaux différents du fait de cette nouvelle puissance, et comportements différents parce que mieux maîtrisés, plus responsables, plus conscients des transformations restant à réaliser pour abolir le capital. Non seulement la façon de produire, mais ce qu’ils produisent, c’est-à-dire les besoins qu’ils satisfont, se modifient en même temps que les prolétaires élèvent leurs capacités d’appropriation, pratiquent un travail de plus en plus riche, « une activité supérieure ». « Production, rapports de production, rapports sociaux et système de besoins ne sont, comme nous le savons, que différents aspects d’un seul et même édifice social qui s’impliquent tous mutuellement. La structure des besoins est une structure organique inhérente à l’édifice social tout entier »121.
L’homme riche est celui qui développe des besoins et des aptitudes les plus élevés dans le plus de domaines possibles. Développer un homme (et une société) supérieur, c’est développer des activités faisant appel à des capacités scientifiques, artistiques, créatives, supérieures. C’est développer le besoin d’acquérir le maximum possible de ces qualités. Et le besoin de les développer, ce qui ne peut se faire au plus haut point que dans la mesure où tous participent à ce mouvement, échangent librement leurs créations. La science, mais aussi les arts, la culture en général, sortent alors de l’étroit carcan où les enferme, et les détermine comme simples et vulgaires instruments de profits, la domination de la valeur d’échange dans les activités et rapports humains. Le besoin d’accaparement mesquin et égoïste disparaît progressivement, ne serait-ce que parce que des qualités ne peuvent ni s’acheter, ni s’accumuler à l’infini (les capacités humaines sont là une limite, alors que dans l’accaparement des choses il n’y a pas de limite), et qu’on a besoin de celles des autres pour développer les siennes.
Ainsi, le procès révolutionnaire qui détruit le capital détruit aussi la condition de prolétaire (et vice versa). Certes, il n’est pas engendré par la critique théorique du capital, aussi radicale soit-elle, mais par la critique par les armes pour satisfaire les besoins radicaux des prolétaires. Les besoins des prolétaires sont évidemment engendrés par leur situation dans le capitalisme, sont dans la structure des besoins du capitalisme. Ils deviennent radicaux quand ils deviennent une exigence nécessaire des prolétaires ne pouvant pas y être satisfaite. C’est alors un antagonisme qui se développe, une remise en cause de la domination du capital.
Aujourd’hui, les besoins immédiats des prolétaires leur apparaissent certes encore relatifs à leur survie en tant que prolétaires: avoir un revenu qui la permette, qu’il soit lié à un emploi ou pas. Or la situation du capital ne leur permet pas de les satisfaire, du moins pour la majorité. Pour lui, c’est moins d’emplois, plus précaires et moins payés, et plus de surnuméraires définitifs et « sans rien » (sans papiers, sans logement, sans travail, etc.), en voie de destruction.
Ces besoins immédiats des prolétaires deviennent alors des besoins radicaux, ne pouvant être satisfaits que dans et par une opposition radicale au capital et non plus seulement en négociant pacifiquement avec lui une amélioration de leur sort (même si cela reste toujours un résultat plus ou moins provisoire d’une lutte radicale localisée, d’une bataille dans un moment particulier de la guerre de classe).
Certes, pour le moment, la lutte des prolétaires est encore affaiblie par la puissante tradition réformiste qui pèse toujours et qui se fondait sur le fait qu’il leur était possible à certains moments (en France par exemple, le Front Populaire, la Libération, une situation de plein emploi comme dans les années 60) de s’affirmer comme une force capable d’obtenir des concessions non négligeables du capital. Elle est aussi affaiblie du fait de la segmentation que le capital a réussi à opérer dans la situation des prolétaires, sur la base de laquelle se développent des luttes elles aussi segmentées. Par exemple en France: CDI/précaires, fonctionnaires/privés, chômeurs/actifs, actifs/retraités, immigrés/autochtones, sans oublier dans le monde les grandes divisions nationalistes, la division internationale des fonctions et travaux et l’impérialisme moderne.
Unifier les luttes implique que les prolétaires se découvrent un objectif commun, et se forment ainsi en classe, une force construite comme unie par son antagonisme absolu à la bourgeoisie. Objectif dont nous avons esquissé à gros traits les grandes lignes: attaquer, renverser et dissoudre la superstructure capitaliste (l’Etat, sa justice, sa police, ses médias, etc.) afin de pouvoir partager le travail contraint et les richesses produites entre tous, démultiplier le temps libre comme condition pour que les prolétaires puissent s’approprier les conditions de la production, développer l’internationalisme communiste, exercer réellement le pouvoir qui mènera le procès révolutionnaire jusqu’à son terme.
Ce faisant, ils ne se battent plus seulement comme prolétaires voulant améliorer leur condition et reproduisant par là aussi le capital et eux-mêmes comme dominés et exploités par lui. Car dans une telle lutte, celle de toute une classe pour renverser le pouvoir d’une autre, ils commencent déjà à se transformer eux-mêmes, à devenir autres que prolétaires du fait qu’ils exercent une activité libre. Elle, et elle seule pour commencer, les affirme déjà comme devenant maîtres de leur destin, constructeurs de leur vie, cela bien sûr dans les limites, les obligations que leur imposent les conditions de cette lutte elle-même. Donc, les affirme déjà comme non prolétaires avant qu’ils ne découvrent toutes les luttes encore à mener pour y parvenir pleinement, jusqu’au bout.
Hic Rhodus, hic salta, peut-on répéter aujourd’hui après Marx. C’est ici et maintenant que la situation du capitalisme impose ce choix aux prolétaires, qu’ils le veuillent ou non: détruire le capital ou être détruit par lui, et l’humanité avec eux. Ce n’est pas la théorie qui peut détruire, mais elle peut éclairer ce choix en en montrant les tenants et aboutissants, les causes certaines et les conséquences attendues. Surtout, et c’est là sa principale utilité, le travail théorique doit s’efforcer de montrer que ce qui constitue des causes de la crise pour le capital représente aussi des moyens de son abolition, d’une transition au communisme. Ce faisant, le travail théorique doit aussi contribuer à démasquer et combattre tous les faux amis du prolétariat, cette aile gauche de la bourgeoisie dont le personnel politique (souvent issu des couches de la petite ou moyenne bourgeoisie, et représentant aussi leurs intérêts particuliers au sein de l’intérêt général bourgeois) veut être propulsé à la tête de l’Etat, et devenir calife à la place du calife. Ces faux amis sont souvent plus pernicieux, parce que plus difficiles à démasquer que les autres ennemis. Mais il est nécessaire d’y parvenir pour que les prolétaires se forment en classe indépendante. Le processus par lequel ils y parviendront ne nous est évidemment pas connu aujourd’hui dans toutes ses déterminations. Lesquelles dépendront notamment des situations concrètes de la lutte, y compris dans ses connexions mondiales, ce qui devra faire l’objet d’analyses particulières (que l’on pense, pour ne citer qu’un exemple, au développement rapide dans de nombreux pays de la menace d’un néofascisme!).
Evidemment, ce n’est pas la première fois que des marxistes affirment que le capital en est arrivé à un stade de sénilité tel que son accumulation en est compromise au point qu’il n’y a plus de choix qu’entre « socialisme ou barbarie » selon la formule de Rosa Luxemburg. Et le capital a jusqu’ici montré, notamment après la grande crise des années 30 et la deuxième guerre mondiale, qu’il pouvait encore transformer suffisamment les rapports de production et étendre son aire de valorisation pour reprendre son accumulation à une plus vaste échelle. Mais ce n’est pas aussi sans avoir réalisé un aspect de la prédiction, c’est-à-dire sans avoir développé la barbarie jusqu’au niveau des exterminations de masse et des guerres « totales », où la destruction nucléaire du monde devenait pour la première fois une perspective. Et s’il s’est jusqu’ici rétabli, cela ne veut pas dire qu’il puisse encore le faire. Au contraire, sa crise actuelle manifeste (c’est du moins ce que cet ouvrage – bien trop bref sans doute – a tenté de montrer) qu’un tel rétablissement n’est aujourd’hui plus possible, que la sénilité du capital est sans rémission, définitive, et que seule restera la barbarie, qu’on voit déjà tellement à l’œuvre aujourd’hui alors que la crise n’en est encore qu’à ses débuts. A moins que la lutte révolutionnaire ne triomphe.
Détruire le capital ou être détruit par lui. Car il ne faut pas confondre le fait qui vient d’être exposé dans cet ouvrage, que le capital crée lui-même les conditions de sa disparition, avec l’illusion qu’il disparaîtrait de lui-même, se dissoudrait complètement jusqu’au bout sans un procès de luttes révolutionnaires. Ce que le capital détruit dans sa crise qui manifeste le mûrissement des conditions de sa dissolution, ce sont aussi ces conditions elles-mêmes: des moyens de production, des richesses accumulées, des prolétaires et des hommes par millions. C’est en détruisant les conditions existantes du développement humain que le capital s’efforce de sortir de sa crise, quitte à pousser ce mouvement jusqu’à détruire les conditions de la vie elle-même. C’est cela son « autodestruction », son « autodissolution », sa « solution finale ». C’est en détruisant le capital, c’est-à-dire les rapports capitalistes de propriété, de production, que les prolétaires assureront l’avenir de l’humanité toute entière. C’est bien pourquoi la lutte de classe est toujours le moteur de l’histoire, et aujourd’hui la révolution prolétarienne le seul avenir positif de l’humanité.
Tom Thomas
Août 2010
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NOTES
1 Dans ce livre, le capital est toujours considéré, sauf mention contraire, comme le capital social mondial, dont chaque capital particulier n’est qu’un élément. Le taux de profit de ce capital social est le taux de profit moyen.
2 Cf. T. Thomas, Ed. Contradictions: La crise. Laquelle? Et après? (2009), et aussi: La crise chronique ou le stade sénile du capitalisme (2004).
3 « Le capital n’est pas un simple rapport, mais un procès, dans les différents moments duquel il ne cesse d’être du capital » Gr. I, 196.
4 Gr. II, 170. Ou aussi: « temps qui s’écoule entre production et reproduction » (Gr. II, 154), que nous avons noté A’…A’.
5 Gr. II, 154.
6 Ibidem, 155.
7 K. I, 1, 185.
8 K. I, 3, 14.
9 Observons qu’ainsi définie la consommation n’est pas la vente, qui ne modifie que la propriété de la marchandise, mais l’usage et l’usure de matériaux et de forces dans une activité ou pour satisfaire un besoin.
10 K. I, 3, 15. Voir aussi K. II, 1, 55.
11 K. II, 2, 137.
12 TPV. I, 161.
13 Moindre parce que le capital engagé, Cc + Cv, aura diminué non seulement du fait que la machinerie n’est perfectionnée que si, à valeur produite constante, Cc augmente moins que Cv ne diminue, mais aussi parce que l’augmentation générale de la productivité fait diminuer la valeur des marchandises produites, donc de Cc et Cv.
14 Economie vient d’ailleurs d’économe: qui gère en évitant les dépenses et efforts inutiles. Dans le capitalisme, « le temps est tout, l’homme n’est plus rien; il est tout au plus la carcasse du temps » K. Marx, Misère de la philosophie, Pl. I, 29.
15 Le principe seulement. Marx a consacré de très nombreuses pages (notamment dans K. II, 1.) à l’étude de cette question, très complexe dans le concret des différents types de capitaux (fixes, circulants) et les différentes branches de la production, car on a alors à faire avec des milliers de temps de rotation différents imbriqués les uns dans les autres. Mais le principe général de la vitesse de rotation qui est rappelé ici est suffisant pour la suite de l’exposé, puisque nous parlons de la reproduction du capital social en général.
16 Quelques remarques complémentaires à propos du capital fixe. « Comme animal de travail, un bœuf est du capital fixe; si on le mange, il ne fonctionne plus comme moyen de travail et cesse donc d’être du capital fixe » (K. II, 1, 147). Une machine produite pour être vendue n’est pas du capital fixe, « elle ne le devient qu’entre les mains de son acheteur, le capitaliste qui en fait un usage productif » (K. II, 1, 148). Observons aussi que c’est parfois le temps d’utilisation du capital circulant qui vient faire obstacle à la consommation du capital fixe. Que ce soit quand les ouvriers refusent le travail en 3 x 8, font grève, etc. Ou que ce soit, autre exemple, en agriculture où la semence, capital circulant puisque consommée à chaque cycle, peut mettre 6 mois à se transformer en blé alors que les moissonneuses-batteuses (capital fixe très onéreux) attendent inutilisées pendant tout ce temps (cf. K. II, 1, 154).
17 K II, 1, 53.
18 Cf. chapitre 5.
19 Gr. II, 115.
20 Ibidem, 150.
21 Ibidem, 124.
22 Notamment dans K. II, 1, chapitre 6 (p. 112-140), et K. III, 1, 4ème section, chapitres 16, 17, 18.
23 K. II, 1, 120.
24 Gr. II, 126.
25 K. III, 1, 280.
26 Ibidem.
27 Ainsi Marx hésite lui-même, par exemple quand il écrit: « la loi générale est que tous les frais de circulation qui résultent uniquement du changement de forme de la marchandise n’ajoutent pas de valeur à cette dernière » (K. II, 1, 137) en citant alors « l’emballage, l’assortiment » dont il a dit aussi le contraire! Mais il aurait aujourd’hui pleinement raison sur cet exemple de l’emballage qui est devenu essentiellement du « marketing », de la publicité, n’ajoutant aucune valeur d’usage au produit, donc un faux frais, une dépense improductive comme nous le rappellerons plus loin.
28 K. II, 1, 138.
29 TPV. I, 482.
30 K. III, 1, 90.
31 K. III, 1, 292. Et aussi p. 291: « Le capital commercial ne crée donc ni valeur, ni plus-value, du moins pas directement. Dans la mesure où il contribue à alléger la période de circulation, il peut aider indirectement à augmenter la plus-value produite par le capitaliste industriel… Dans la mesure où il contribue à étendre le marché… sa fonction favorise l’accumulation. Dans la mesure où il inclut comme capital argent dans la sphère de la circulation une moindre fraction de capital, il augmente celle qui est directement utilisée à la production ».
32 K. III, 1, 297.
33 Cf. T. Thomas, L’hégémonie du capital financier et sa critique, éd. Albatroz, 1999.
34 K., I, 1, 167.
35 K., II, 1, 54.
36 Gr. II, 151.
37 Problèmes Economiques n° 2994, 28.04.10, p. 52.
38 C’est ce que critiquent les partisans d’un « bon » capitalisme, dans lequel le développement de l’accumulation ne serait plus obéré par les prélèvements « exagérés » du capital financier. Comme si toute l’accumulation ne dépendait pas aujourd’hui d’un capital de prêt! Comme si on pouvait avoir le capitalisme sans propriétaires et possesseurs des moyens de production, donc par là maîtres aussi de la répartition des richesses, de l’accaparement de la plus-value (qu’ils soient bourgeoisie privée ou bourgeoisie d’Etat)!
39 K. II, 2, 56-57. Le luxe, considéré dans les contraintes du rapport capitaliste, se définit aussi pour Marx comme opposé à la « consommation nécessaire » qui correspond à ce minimum, historiquement déterminé, nécessaire à la reproduction de la force de travail.
40 K. II, 2, 63.
41 On peut le dire à la façon de Marx: « Employé de façon productive, le capital est toujours doublement remplacé… A’ remplace A, et de nouveaux éléments de la production remplacent ceux qui ont été consommés, moyens de production comme marchandises reproduisant la force de travail… La consommation improductive du capital, d’un côté le remplace, de l’autre le détruit » (Gr. II, 238-239). Elle remplace le capital employé (moyens de production et forces de travail), mais détruit de la valeur en consommant de manière non productive de la pl.
42 K. II, 1, 321.
43 Les dépenses militaires dans le monde ont augmenté en termes réels de 49 % entre 2000 et 2009 (Les Echos, 30.06.10, et rapport du Sipri 2010).
44 J’en ai donné les raisons dans mes deux ouvrages précédents sur la crise: La crise chronique ou le stade sénile du capitalisme, Contradictions 2004 et La crise. Laquelle? et après? Contradictions 2009.
45 Sur ces rapports production-consommation, voir K. Marx, Contribution à la Critique de l’Economie Politique, E.S., 1972, p. 155-159.
46 Marx va jusqu’à la grossièreté pour stigmatiser le bourgeois qui présente comme travail productif n’importe quel travail comme « quand on lui astique la queue parce que, en le branlant de la sorte, par exemple, on décongestionnera sa grosse tête de lard pour le bureau le lendemain » Gr. I, 214-215.
47 TPV. I, 453-454.
48 Source: Echanges n°132, printemps 2010, et The Washington Post cité dans Les Echos, 21.07.10.
49 Le PIB, mesure officielle de la croissance, cumule l’ensemble des revenus de toutes les activités capitalistes, aussi bien productives qu’improductives (des activités financières réussies, une marée noire, des accidents de la route, des matchs de foot, de la publicité, etc., c’est du PIB!). C’est dire que les chiffres de croissance du PIB n’ont que peu à voir avec la valorisation réelle du capital productif qu’ils surestiment grandement.
50 K. II, 1, 126.
51 Il faut être borné comme beaucoup d’écologistes pour penser que la question se pose seulement en terme de voitures privées ou de transports en commun, ce qui passe à côté de l’essentiel: les coûts de transports démentiels, les fatigues, le temps perdu, quel que soit le mode de transport. Ce qui renvoie à la structuration de l’espace inhérente au capitalisme.
52 Rappelons que, le taux de profit pouvant s’écrire pl/Cv/1 + Cc/Cv, pour un taux d’exploitation pl/Cv donné, ce taux diminue quand la composition organique Cc/Cv (en gros le rapport en valeur de la machinerie à la quantité de travail vivant consommé) augmente. Pour que du capital argent s’engage dans les branches à forte composition organique, il faut qu’il y trouve le même taux de profit qu’ailleurs. Ce qui ne peut se faire que s’il reçoit une part de la pl générale qui compense les effets de cette composition organique plus élevée. Donc, le profit de chaque capital est une fraction du profit total, qui est la pl totale. Ce qui explique que la reproduction du capital s’analyse in fine comme celle du capital social, global.
53 Il n’est pas question ici des spéculations sur les cours de tels ou tels produits, monnaie, etc., qui sont des jeux à somme nulle… sauf quand les joueurs jouent à crédit, ce qui finit alors toujours par des dettes que les Etats socialisent, comme on le voit aujourd’hui, afin de faire restaurer le taux de profit du capital financier par les travailleurs.
54 Les Echos, 09.03.2010.
55 K. I, 3, 87.
56 Il y en a d’autres que celles citées ici, telles la masse de capital excédentaire qui doit être détruit, les limites atteintes par la mondialisation, ainsi que par l’extension du crédit et des dettes, etc., mais ce sont des stimulants extérieurs, déjà analysés dans d’autres ouvrages, et dont nous ne traiterons pas ici.
57 Indépendamment du fait qu’augmentation de la productivité et de l’intensité sont souvent mises en œuvre de pair.
58 Alors que lors de la précédente grande crise des années 30, ce sont les augmentations de productivité (la généralisation et l’approfondissement du rapport de production dit « fordiste ») qui, sur la base des formidables destructions de la 2ème guerre mondiale, ont permis la période d’accumulation intensive des « trente glorieuses ».
59 Gr. II, 237-238.
60 Par contre ces faux-frais sont réduits quand la productivité s’accroît dans les branches des capitaux improductifs tel le capital commercial, etc. Mais cela ne fait que ralentir un peu la tendance à leur accroissement, elle ne l’abolit pas.
61 Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, Le président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Ed. Zones, La Découverte, 2010.
62 K. III, 1, 259.
63 Gr. I, 242.
64 Marx, Misère de la philosophie, Pl. 1, p. 55 et 58.
65 Marx, Lettre à Annenkov, Pl. 1, 1439.
66 30 000 milliards de dollars de dettes avouées rien que pour les Etats du G7 (U.S.A., Japon, G.B., Canada, Allemagne, France, Italie) début 2010.
67 La Tribune, 03.07.09.
68 Alternatives Economiques n°286, décembre 2009.
69 Autre exemple, dès 2007 en France, sont créées les Zones franches urbaines (ZFU) « dans les quartiers en difficulté » comme forme particulière de « l’aide publique à l’entreprenariat ».
70 Voir Alain Bihr, « Derrière l’austérité budgétaire: une nouvelle agression contre le salariat », www.alencontre.org, 17 août 2010.
71 K. I, 2, 184.
72 TPV. I, 464.
73 TPV. I, 167.
74 Ibidem.
75 TPV. I, 480.
76 TPV. I, 168. D’ailleurs, observe Marx, le même travail peut être productif, ou non, selon qu’il s’échange, ou non, contre du capital. Exemple: l’artisan tailleur qui fait un costume pour un client est improductif, s’il fait le même travail comme salarié d’un capitaliste, il est productif.
77 TPV. I, 469.
78 Voir T. Thomas, Les mondialisations, Contradictions, 2003, pp. 60 à 76.
79 Séparation qui n’est pas sans laisser place à diverses situations intermédiaires (par exemple: techniciens, ouvriers très qualifiés).
80 TPV. I, 481.
81 Ibidem.
82 Chacun, car c’est chaque travailleur qui ajoute ou pas de la valeur au produit par son travail personnel. La dépense de travail est toujours personnelle, même si elle s’inscrit dans un procès collectif et se dissout dans un produit fruit du collectif. « En tant qu’il produit de la valeur, le travail reste donc toujours travail de l’individu qui n’est exprimé qu’en général. Le travail productif… (est donc toujours celui) du travailleur isolé en quelques combinaisons sociales qu’entrent ces travailleurs au cours du procès de production » TPV. I, 461.
83 K. III, 2, 48-54.
84 « La différence entre travail productif et improductif est essentielle pour l’accumulation, car seul l’échange contre le travail productif permet une retransformation de plus-value en capital » K. Marx, Un chapitre Inédit, collection 10/18, 1971, p. 240.
85 K. III, 3, 173.
86 Lénine, La grande initiative, Œuvres Choisies, Editions de Moscou, 1968, Tome 3, p. 321.
87 « Le travail non payé de l’employé commercial procure (au capital commercial) l’appropriation de la pl » K. III, 1, 303.
88 K. III, 1, 304.
89 K. III, 1, 311.
90 TPV. I, 166. Répétons ici, une fois encore, qu’il n’est pas possible de déterminer au cas par cas qui est producteur net ou pas de pl. Mais nous rappellerons que les puissances intellectuelles de la production sont globalement du côté du capital, intéressées et agissant pour faire produire le maximum de pl, dont elles partagent le produit avec les propriétaires financiers du capital.
91 De tout temps, les fonctions intellectuelles, d’abord religieuses et artistiques puis plus ou moins scientifiques, n’ont pu se développer que par des individus exemptés des tâches de production « physiques ».
92 Selon une étude de Denis Clerc. La France et les travailleurs pauvres. Ed. Grasset, 2008, p. 203.
93 Ce que remarquait Marx, « le produit du travail intellectuel, la science, est toujours très inférieur à sa valeur. En effet, le temps de travail nécessaire à sa reproduction n’a absolument aucun rapport avec le temps de travail qu’exige sa production originelle. En une heure, par exemple, n’importe quel écolier peut apprendre la théorie des binômes » TPV. I, 411.
94 Comme tout capitaliste actif qui, « agent nécessaire à la production capitaliste… ne se borne pas à soustraire (mais) commence par aider à créer ce qui sera à soustraire » K. Marx, Notes sur le Traité d’Economie Politique d’A. Wagner, K. I, 3, 243.
95 Pour une analyse plus détaillée, voir T. Thomas Propriété et Possession, Aliénation et Liberté selon K. Marx, éd. Contradictions, 2006.
96 Toutes les citations de ce paragraphe sont tirées de TPV., I, p. 457 à 459.
97 La destruction de capitaux n’est pas seulement un moyen de réduire les surcapacités, elle permet également cette restructuration des rapports de production: « la destruction périodique du capital existant » obsolète permet le développement d’un « capital neuf » plus productif (K. III, 1, 262). Ce qui est tout aussi essentiel à la reprise de la valorisation et de l’accumulation du capital.
98 Notamment: diminution de la vitesse de rotation du capital du fait de la lenteur de celle du capital fixe, mais augmentation de cette vitesse du fait de la diminution du temps de production d’une marchandise; ou dit sous une autre forme, augmentation de la composition organique Cc/Cv du fait de la croissance en volume du capital fixe, donc tendance à la diminution du taux de profit, mais aussi tendance inverse du fait de la diminution de la valeur des marchandises contre lesquelles s’échangent Cc et Cv.
99 Nicolas Hayek, feu PDG de Swatch Group. Les Echos, 06.04.10. En 2003, le PDG du grand trust Schneider affirmait, lui, que le coût de la main-d’œuvre employée dans cette multinationale était inférieur à 8 % du prix des marchandises vendues (chiffre d’affaire) Libération 08.10.03.
100 Libération, 04.08.10.
101 Lequel n’est pas dû qu’aux surcapacités, mais bien concomitamment à cette difficulté d’augmenter la pl relative par une augmentation du capital fixe. Les surcapacités sont toujours relatives à la production et à la réalisation de la pl.
102 « Le simple fait, par exemple, de réduire les rebuts de 10 % à 6 % du prix de revient global, c’est une somme astronomique et donc une économie infiniment plus efficace que la réduction des postes de travail » (N. Hayek, ibidem).
103 Gr. II, 194.
104 Gr. II, 188.
105 K. III, 1, 263.
106 Einstein disait qu’il existait aujourd’hui (à son époque) plus de chercheurs vivants que l’humanité n’en a connu tout au long de son existence.
107 Jean Fourastié, Productivité et richesse des nations, pp. 102 à 110, Gallimard, 2005, collection Tel.
108 Gr. II, 192-193.
109 Une valeur ne se connaissant pas comme telle, mais comme rapport avec une autre valeur, dans la proportion réciproque de leur échange. Donc, elle n’existe concrètement que sous la forme valeur d’échange, l’argent devenant cette autre valeur universelle contre laquelle toutes les autres peuvent s’échanger.
110 Selon une étude de l’Observer, citée par A Contre-Courant n°215, juin-juillet 2010.
111 Pas plus d’ailleurs que le bonheur que des économistes et sociologues ont proposé de mesurer afin de l’inclure comme élément du PIB (cf. Dominique Meda, Qu’est-ce que la richesse? Aubier, 1999). Tout réduire à des mesures et comptes est un des grands fantasmes bourgeois.
112 Du moins selon ce que mesure le PIB, dont nous avons rappelé qu’il exagérait notablement la croissance du capital productif. Observons d’autre part qu’une augmentation de 10 % de l’accumulation dans un pays où le stock initial de capital est faible ne compense pas nécessairement une diminution de, par exemple, 2 % dans un pays où ce stock est plus élevé (10 % de C = 2 % de 5C).
113 Travail nécessaire: la quantité de travail social qui revient au prolétaire, sous forme de salaire, et qui correspond à ce qui est nécessaire à sa reproduction en tant que prolétaire.
114 Voir, T. Thomas, La crise. Laquelle? Et après? éd. Contradictions, 2009, pp. 75 à 94.
115 Pas seulement en France, soi-disant paradis des « prestations sociales ». Par exemple, dans la Grande-Bretagne réputée paradis du libéralisme, « il y a 5 millions de citoyens dépendant des subsides de l’Etat » (Les Echos, 03.05.10).
116 Les quelque 1500 salariés du site GM ont dû accepter, suite à un référendum organisé par la CFDT/CFTC/FO, un gel des salaires sur deux ans, la suppression des primes d’intéressement et la réduction d’un tiers des 17 jours de RTT, cela face au chantage d’un déplacement de l’entreprise au Mexique.
117 Antoine Artous, Travail et émancipation sociale. Marx et le travail, éd. Syllepse, 2003, p. 17.
118 Ainsi M. Thorez à la Libération parlant du mineur, symbole du Prolétaire version PCF: « Quelle grandeur dans cette lutte farouche contre la matière, dans ce corps à corps perpétuel où l’homme accroupi, souvent couché, dans toutes les positions du combat, arrache le charbon à l’étreinte de la roche qui l’enserre » (Action, 22.03.46, cité dans Histoire de la vie privée, P. Ariès, G. Duby, tome 5, éd. Le Seuil, 1987, p. 435). Pour un peu, on envierait le travail du mineur (silicose comprise selon Thorez?). Et A. Malraux pouvait, dans ses Anti-mémoires (Gallimard, Folio, p. 138), lui rendre cet hommage de la bourgeoisie reconnaissante: « Thorez observait la règle du jeu: mettre le parti communiste au service de la reconstruction de la France ». Du capitalisme français surtout!
119 Par exemple, et pour commencer, une semaine de travail contraint de l’ordre de 20 heures par personne dans des pays comme la France (cf. T. Thomas: Crise, Technique et Temps de Travail, 1988). On peut d’ailleurs observer que, compte tenu des chômeurs, précaires et exclus divers, la moyenne hebdomadaire de travail social n’excède déjà pas 30 heures dès aujourd’hui dans les pays développés.
120 Gr. II, 200.
121 Agnès Heller, La théorie des besoins chez Marx, U.G.E. 10/18, 1978, p. 138.
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. A PROPOS DE LA PRODUCTION CAPITALISTE EN GENERAL
CHAPITRE 2. LE DEVELOPPEMENT DU CAPITAL IMPRODUCTIF ET SES EFFETS
2.1 Le capital improductif en général
2.2 Le capital commercial
2.3 Le capital financier
CHAPITRE 3. AUTRES FREINS ET OBSTACLES A L’ACCUMULATION GENERALE
CHAPITRE 4. DES MOYENS D’AUGMENTER LE TAUX DE PROFIT QUI FINISSENT PAR LE DIMINUER
4.1 La plus-value est à partager avec une masse croissante de capitaux improductifs
4.2 Une époque où la production de plus-value tend à diminuer
4.3 Etat et reproduction du capital
CHAPITRE 5. TRAVAIL PRODUCTIF ET PROLETAIRES
5.1 A propos des travailleurs productifs et improductifs
5.1.1 Travail « immatériel » et travail productif
5.1.2 Le « travailleur collectif » comme travailleur productif
5.2 Les prolétaires
5.2.1 Peu importe qu’il s’agisse de salariés travaillant pour un capital improductif
5.2.2 Peu importe qu’il s’agisse de salariés travaillant pour un capital productif
5.2.3 Peu importe qu’ils ne travaillent pas ou peu
CHAPITRE 6. L’AVENIR EST DANS LE PRESENT
6.1 Dissolution du capital par lui-même
6.2 La science dans le présent, potentiel pour l’avenir
CHAPITRE 7. CHOISIR LA DESTRUCTION DU CAPITAL OU CELLE DE L’HUMANITE
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Dans cet ouvrage, l’auteur propose une analyse de la crise qui, au-delà de ses racines immédiates souvent exposées, porte sur ce qu’elle révèle de l’avenir du capitalisme, à ce stade spécifique de son histoire. Il argumente que le capital est entré dans une époque de son développement où il lui devient très difficile, sinon impossible, de poursuivre le mouvement de valorisation et d’accumulation qui est celui de sa reproduction, de son existence même. Donc aussi de retrouver une « croissance » pourvoyeuse de profits accrus, d’emplois et de salaires. Il en résulte qu’il ne peut subsister qu’au moyen de destructions et d’une barbarie amplifiée.
Mais Tom Thomas ne s’arrête pas à ce constat. Au contraire, il montre de même en quoi cette situation est aussi celle d’une époque où les conditions pour détruire le capital en lui substituant, pour la première fois dans l’histoire, une société effectivement communiste, n’ont jamais été aussi favorables.
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bonjour Tom Thomas,
ce livre est-il épuisé? on ne le trouve plus qu’à des prix exorbitants sur le net et j’ai commis l’erreur gravissime de ne pas l’acheter quand il est sorti et se trouvait sur l’étal des libraires…