INTRODUCTION
En ce début 2018, la toile de fond de la situation du capitalisme contemporain est toujours constituée des énormes obstacles auxquels se heurte la valorisation du capital. Certes, cela revêt des aspects concrets différents suivant les régions du monde et leur place dans les chaînes mondiales de la valorisation. La crise n’y a pas partout la même intensité. Néanmoins elle sévit partout, mondialisation oblige. Crise mondiale, mais aussi crise chronique, entrecoupée de quelques faibles soubresauts, puisque ces obstacles sont insurmontables, dont les causes essentielles ont déjà été analysées à plusieurs reprises[1], on n’y reviendra donc pas ici.
Il est d’ailleurs instructif d’observer que les économistes officiels sont de plus en plus nombreux à reconnaître que certaines caractéristiques de cette crise leur paraissent sérieusement inquiétantes. Par exemple Mr. P. Artus, chef économiste de la puissante banque d’affaire Natixis, constate[2] qu’il s’agit d’une « stagnation séculaire », et poursuit : « Quand on regarde l’ensemble de l’OCDE[3], on constate un affaiblissement continuel de la croissance de la productivité du travail et de la productivité globale des facteurs[4]. La productivité du travail augmentait de 2% par an dans les années 90 (et 5% dans les années 70, nda) et au début des années 2000, aujourd’hui, c’est 0,6% par an ; la productivité globale des facteurs augmentait de 5% par an, aujourd’hui, c’est 0,5%. » Cependant Mr. Artus, comme tous ses collègues, ignore les causes profondes de cet effondrement des gains de productivité. Donc il ne comprend pas pourquoi les capitalistes ne parviennent pas à les revigorer. Il ne peut alors, désorienté, que s’étonner que cela n’advienne pas bien que « le nombre de robots par emploi a doublé en 20 ans (dans ces pays, nda), l’investissement en nouvelles technologies a plus que doublé en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) ». Ce qui aurait dû, selon les économistes, comme cela a toujours été le cas dans le passé après de tels investissements, permettre une relance de ces gains.
Encore plus nombreux sont les hauts fonctionnaires du capital qui s’inquiètent de ce que le moyen qu’ils ont eux-mêmes choisi pour empêcher l’effondrement généralisé du MPC après le krach de 2008 – à savoir l’émission monétaire ultra-massive afin de sauver les banques de la faillite et d’offrir aux entreprises, aux Etats, aux consommateurs un crédit quasiment illimité et gratuit[5] – aboutisse, ce qui est effectivement inéluctable, à un nouveau krach financier, bien plus ample et destructeur que le précédent.
On le sait, le niveau d’endettement de l’économie mondiale atteint des niveaux inouïs, 275% du PIB mondial en 2016 selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), 226.000 milliards $ en octobre 2017, soit 324% de la production économique annuelle, selon l’Institute of International Finance (IFI). Mais à quoi ont servi ces gigantesques monceaux d’argent ? A trois choses essentiellement. A renflouer les caisses des banques, des entreprises, des Etats dont les Banques Centrales rachetaient les dettes en émettant de la monnaie (elles sont devenues leurs créanciers, mais ne seront jamais remboursées). A soutenir les cours boursiers, les entreprises utilisant l’argent moins pour investir que pour racheter leurs propres actions et augmenter les dividendes (ainsi par exemple, sur les dix dernières années, les 500 grandes sociétés composant l’indice boursier américain Standard and Poor’s ont versé des dividendes et racheté leurs propres actions pour un montant supérieur aux bénéfices réalisés). A financer des fusions et acquisitions d’entreprises (élimination de concurrents, concentration du capital). Tout cela ne constituait pas d’investissements productifs de réelle croissance, mais à coup sûr productifs d’une gigantesque bulle financière de capital fictif (d’argent qui rapporte de l’argent sans passer par un réel processus de production de pl).
Bref, le capital s’est maintenu en vie après le grand krach de 2008 en se dopant de plus en plus à l’émission monétaire. Il est comme le drogué qui doit sans cesse augmenter sa dose… jusqu’à l’overdose : un nouveau krach.
Le plus extraordinaire est que la plupart des hauts fonctionnaires du capital le savent très bien. Comme, par exemple, Hervé Hannoun et Peter Ditus, ex-dirigeants de la BRI, qui affirment : « Ces politiques sont irresponsables […] Les apprentis sorciers ont construit un modèle de croissance basé sur la dette qui nous conduit tout droit vers le prochain krach financier. »[6] Et presque tous reprochent aux gouvernements de ne pas avoir profité du moment de relatif répit dans le mouvement d’approfondissement de la crise que cette politique d’émission monétaire massive avait permis pour avoir engagé les réformes de « structure » qui, selon eux, auraient revigoré la « croissance », la vraie, celle de la production de pl, pas celle de l’émission monétaire.
Pourtant ce reproche est injustifié. Les gouvernements Reagan, Thatcher, Mitterand, par exemple, sont bien connus pour avoir engagé vigoureusement de telles réformes dites « d’austérité » et de « rigueur » (à l’encontre des classes populaires seulement), ou aussi « libérales » (libérer le capital des charges fiscales et autres qui entravent ses profits). Mais elles n’ont pas pu produire les résultats escomptés. Loin de comprendre pourquoi – ce qui serait comprendre que le capital a atteint l’âge de sa sénilité, a fait son temps et eux avec[7] – ces fonctionnaires s’imaginent que l’échec provient du fait qu’ils n’ont pas assez durement « réformé ». Ils s’acharnent donc à accentuer toujours davantage cette politique, sans autre résultat que de dégrader toujours davantage les conditions de travail et de vie des masses.
Beaucoup pensent que les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication : fusion de l’informatique et des télécommunications en un système de réseaux) et la robotisation leur fourniront de nouveaux moyens pour surmonter cet échec. Une fois encore dans l’histoire du capitalisme, des progrès technologiques spectaculaires, vite baptisés « nouvelle révolution industrielle », permettraient de nouveaux gains de productivité qui revigoreraient la production de pl. C’est cette idée que nous allons plus particulièrement critiquer dans cet ouvrage. Ceci en examinant quelles transformations les NTIC permettent aux capitalistes d’opérer dans les rapports de production – puisque ce sont certains rapports de production qui produisent la pl et non pas « la technologie ». Cet examen permettra de savoir dans quelle mesure ces transformations peuvent ou pas induire de tels gains, et bien évidemment, de savoir aussi quels sont leurs effets sur la situation des masses populaires, particulièrement des prolétaires.
CHAPITRE 1. LES NTIC ET LEURS EFFETS DANS LES RAPPORTS DE PRODUCTION
Comme c’est leur fonction, et comme ils l’ont toujours fait, les capitalistes n’investissent dans de nouvelles technologies que si elles permettent d’augmenter la production de pl. C’est-à-dire si elles permettent que, dans la valeur produite, la part du surtravail augmente par rapport à celle du travail nécessaire[8].
On ne s’étendra pas sur les moyens les plus évidents qu’ils utilisent pour ce faire, et qui consistent en une baisse directe, brutale des conditions de travail et de vie des masses populaires, en même temps que baissent les impôts et taxes du capital, de sorte qu’il assume de moins en moins une part des dépenses liées aux conditions générales de sa valorisation, c’est-à-dire les dépenses de l’Etat, conservant ainsi pour lui le maximum de pl.
Par contre, nous allons plus particulièrement examiner comment ils développent les NTIC[9] dans le sens de pouvoir les appliquer comme moyens d’augmenter la pl. Pour ce faire, quelques exemples significatifs suffiront.
Il est bien connu que, depuis la fin du 19ème siècle, les capitalistes ont entamé le long mouvement de transformation des rapports de production qui avait pour but de développer l’extraction de la pl sous sa forme relative en accroissant la productivité du système de production grâce à la démultiplication de la puissance du travail ouvrier au moyen de machines de plus en plus perfectionnées. En même temps, le développement des méthodes « d’organisation scientifique du travail » (OST) prônées notamment par Taylor (décomposition du métier en gestes simples, segmenter le travail en une multitude de travailleurs, chacun occupé à un seul geste précisément chronométré, une chasse perpétuelle aux « temps morts ») permettait d’augmenter l’intensité du travail, et donc l’extraction de la pl sous sa forme absolue[10]. La chaîne fordiste est venue « perfectionner » le système tayloriste en reliant comme un seul mécanisme l’ensemble des tâches, et en imposant la vitesse de la chaîne à tous. Néanmoins chacun pouvait encore déployer quelques ruses pour gagner un peu de temps pour souffler. De plus, l’inégalité des travaux et des temps de travail sur chaque poste, des rigidités d’approvisionnement, d’entretien, etc., faisaient que le procès d’ensemble était encore plein de temps non travaillés ou non directement employés à la fabrication. Par exemple, les études menées dans les années 70 aux USA dans l’industrie automobile avaient abouti à estimer que 25% du temps des ouvriers à la chaîne de montage était perdu du seul fait de l’inégalité des temps de travail entre les différents postes[11].
L’efficacité des machines s’accroissait sans cesse. Et avec elle le travail de la plupart des ouvriers était de plus en plus vidé de ses qualités professionnelles. Les capitalistes ne se sont jamais arrêtés dans leurs efforts frénétiques pour augmenter la productivité du système de production et l’intensité du travail. Par exemple, l’électronique et l’informatique ont permis de développer les machines-outils à commande numérique (MCON) qui ont dégradé la qualité du travail, et la relative autonomie dans leur travail, de la plupart des ouvriers qualifiés, dits aussi « opérateurs » (tourneurs, fraiseurs, régleurs, etc.) qui subsistaient encore. Beaucoup ont été envoyés au chômage ou en pré-retraite, tandis que pour « ceux qui restent des opérateurs […] leur travail n’a plus grand-chose à voir avec l’ancien métier de l’ouvrier qualifié quand il fabriquait une pièce à l’aide de la machine. Il avait alors un certain type de rapport avec le plan à exécuter, avec la pièce, avec la machine qu’il réglait, dont il commandait la vitesse, la mise en route et les arrêts. Il pouvait s’arrêter un peu, discuter avec ses chefs du rythme du travail et des rendements, aller au WC ou parler avec des copains (et aussi perruquer, nda). Maintenant, c’est la machine qui commande ! Fini les temps morts. L’opérateur doit obéir et se plier au rythme du programme, à ses caprices, en surveiller constamment le déroulement, le regard allant des centaines de fois par jour de l’écran à la machine et de la machine à l’écran… »[12]
Puis les robots sont arrivés qui, le plus souvent, n’effectuent encore que des travaux simples et répétitifs auxquels étaient affectés des ouvriers peu qualifiés. Mais les « opérateurs » sont aussi touchés : « ils sont au fur et à mesure remplacés par un seul conducteur de ligne qui surveille plusieurs ilots de robots et n’a plus de lien avec la pièce. »[13]
Arrêtons là ce résumé de quelques transformations marquantes du passé. Il est évidemment extrêmement succinct. C’est que son but n’est pas de raconter cette histoire, mais seulement de faire ressortir, en comparaison, ce que les NTIC apportent, ou pas, de nouveau par rapport aux perfectionnements à la mode capitaliste – des moyens de production qui ont, jusqu’ici, perfectionné la valorisation du capital. Et, on va d’abord pouvoir constater, à travers trois exemples significatifs, dans l’industrie, dans la logistique, et dans le commerce, qu’elles ont été le moyen de transformations des rapports de production allant toujours dans le même sens que celles portées par les innovations technologiques précédentes. Mais quant au résultat en matière de gains de productivité, et donc d’accroissement de pl relative, nous verrons ensuite que c’est autre chose.
Avec les NTIC, il y a la multiplication de toutes sortes de capteurs et de réseaux d’information qui permet le « tout est connecté », et sa fusion avec l’informatique, qui mémorise tout, calcule, dessine, planifie, etc. De sorte que cette fusion permet un système de commandement, d’organisation et de contrôle des flux et des travaux de tous les segments des procès de production et d’échanges, y compris étendus à une échelle mondiale, extrêmement précis et coercitif.
Dans une usine, ce système permet une coordination et un contrôle des différents postes de travail bien plus efficace que ceux de l’ancienne échelle hiérarchique propre à l’antique « fordisme » qui allait du bureau des méthodes jusqu’aux ouvriers en passant par une multitude de « petits chefs ». Tous les postes de travail, hommes et machines, étant connectés, le fonctionnement de chacun d’eux est connu en temps réel, et l’informatique permet de tout planifier et contrôler. Tout, gestes, tâches à effectuer, réglages, approvisionnements, vitesse, qualité, etc., peut être calculé au plus juste avec une grande précision. Les maître mots des dirigeants sont plus que jamais « flux tendus » et « lean production »[14]. Flux tendus : zéro temps morts, égalisation des temps de travail entre les différents postes (zéro temps d’attente, vitesse maximum). Lean production : c’est moins de tout ce qui est coût, moins de travailleurs, moins de stocks, moins de temps pour chaque tâche, moins de frais salariaux, etc. En même temps, et pour parvenir à ces résultats, la coercition est accrue sur chaque travailleur « connecté » et donc surveillé en permanence dans tout ce qu’il fait (ou pas). Mais c’est une coercition qui, outre qu’elle est extrêmement précise et efficace, est aussi un peu mieux tolérée parce qu’elle parait due aux nécessités du progrès technique et de la compétitivité, et parce qu’elle parait ne pas relever de l’arbitraire de petits chefs fiers de leur petite autorité.
Mais le plus efficace et innovant de ce que les NTIC ont favorisé tient à leur rôle dans l’expansion de la mondialisation contemporaine des chaînes de production et de valorisation du capital (rôle qu’elles partagent avec l’abaissement considérable des coûts du transport maritime, notamment grâce au système des containers). Elles permettent en effet, à la fois de définir très précisément des travaux grâce à l’informatique (conception par ordinateur, définition des pièces, programmation des flux, etc.) et de segmenter tout aussi précisément les procès de production grâce à l’interconnexion généralisée qui permet, instantanément, la transmission des données et directives, la coordination, le contrôle, la traçabilité des pièces d’un bout à l’autre du processus menant au produit final. Ainsi une direction centrale peut diriger, faire travailler ensemble des travailleurs éloignés géographiquement. Ainsi donc elle peut développer la sous-traitance[15] et mettre en concurrence les sous-traitants du monde entier pour obtenir les coûts les plus bas, c’est-à-dire mettre en concurrence les prolétaires à l’échelle de la planète. Cet abaissement généralisé des coûts salariaux par le moyen de cette mondialisation a joué un rôle essentiel pour atténuer sensiblement la crise de la valorisation du capital ainsi que pour contrecarrer la hausse des prix des biens de consommation.
Un autre exemple de cette évolution des rapports de production au moyen des NTIC peut être pris dans le secteur de la logistique, dont l’importance s’accroît tant avec la segmentation des procès de production dont nous venons de parler, qu’avec l’expansion du « e-commerce ». Les commandes, les transports, la livraison, toute la chaîne des échanges peut, encore bien mieux qu’avant fonctionner en « flux (hyper) tendus » et « juste à temps » grâce aux NTIC. Les travailleurs y sont actionnés comme de simples rouages mécaniques de ces flux, leurs mouvements étant commandés par les « impulsions » (les ordres) qu’ils reçoivent dans leurs oreilles ou leurs yeux. Un journaliste qui, plus consciencieux que les autres, s’était embauché dans un des gigantesques entrepôts d’où Amazon, la firme emblématique du e-commerce, prépare et dispache les livraisons, décrit ainsi comment les employés y sont transformés en quasi automates[16], recevant par leur casques tout ce qu’ils doivent faire, où son chariot élévateur doit aller, suivant quel trajet optimal, quel paquet il doit saisir et scanner, puis quel autre, le tout dans un temps strictement minuté et contrôlé par tout un appareillage [17]. Il en va de même pour les transporteurs routiers, suivis à la trace en permanence.
Dernier exemple : dans les grandes surfaces commerciales. Déjà le code barre et le scanner ont éliminé le travail des caissières, le rendant quasi automate. De plus le nombre de caissières est calculé de sorte que se forme une file d’attente des clients. Assez longue pour qu’ils manifestent quelque impatience (tacite ou même parfois acrimonieuse) et fassent ainsi pression sur la caissière, pas trop pour qu’ils ne se découragent pas ni d’attendre, ni de revenir dans ce magasin (3 à 5 clients attendant serait le bon chiffre !). D’où aucun temps mort et travail accéléré pour la caissière : flux tendu ! Partout d’ailleurs où il y a encore quelques guichets (Poste SNCF, Services Administratifs, etc.) cette technique est utilisée : la pression vient des « usagers », que la bourgeoisie s’emploie à dresser contre les employés, et du contrôle anonyme par les NTIC, celui du chef est lointain et épisodique.
En attendant que ces tâches, tant dans les entrepôts que les commerces, soient effectuées par des robots – et un individu déjà « robotisé », transformé en automate humain, peut aisément être remplacé par un automate mécanique (pour le capitaliste ce n’est qu’une question de meilleurs profits). Déjà se développent, par exemple, les caisses automatiques (une seule personne surveille alors plusieurs caisses : plus de fatigue physique à faire circuler les paquets d’un côté à l’autre de la caisse, mais beaucoup plus de stress et d’épuisement psychique[18]). Un peu partout d’ailleurs le capital s’emploie à faire effectuer par les clients ou usagers des actes qui l’étaient par des salariés, comme par exemple, prendre dans les rayons, transporter jusqu’à la caisse, payer avec sa carte à un automate, imprimer son titre de transport et le payer via ordinateur, imprimante, smartphone, monter son meuble Ikéa, etc. Les individus et l’usager sont même contraints d’acheter tous ces appareils et de payer leur fonctionnement, sans quoi ils sont comme mis au ban de la société (voire condamnés à des amendes, par les services fiscaux par exemple). Economie de main d’œuvre et plus de chômage d’un côté, consommations obligatoires de l’autre : cherchez l’erreur !
Ceci dit, comparer toutes ces transformations des rapports de production permises par les NTIC à celles qui ont jalonné le développement du MPC depuis ses origines, amène à constater qu’elles ne sont que la poursuite, le développement, l’accélération du mouvement historique du capital. A première vue en effet, rien de bien nouveau quant au fond[19] : dans le MPC les forces productives, la mécanisation ne sont développées qu’en dépouillant toujours davantage les prolétaires de toute propriété, possession, maîtrise sur les moyens de leur travail, qu’en les soumettant à une coercition toujours plus intense, qu’en accroissant sans cesse les écarts de richesse entre les classes. C’est-à-dire qu’elles n’ont été développées que dans la mesure où cela permettait une évolution des rapports de production qui augmentait la production de pl, et tout particulièrement par le moyen des gains de productivité (extraction de la pl sous sa forme relative[20]), moyen le plus adéquat à un développement quelque peu durable de la valorisation du capital. Mais nous verrons au chapitre 3 qu’en réalité il y a du nouveau en ceci : avec les NTIC, ce schéma fonctionne de moins en moins, et même ne fonctionne plus (sinon épisodiquement et parcimonieusement).
Auparavant, il est intéressant d’examiner encore un dernier exemple concret qui est assez caractéristique des transformations des rapports de production permises grâce aux NTIC : le développement de micro-entreprises et d’emplois « ubérisés ».
Les micros-entrepreneurs, ou auto-entrepreneurs, sont passés, en France, de 310.600 en 2009 à 1.072.000 à fin 2016[21]. Dans l’Union Européenne, 30,6 millions de personnes le sont en 2016, soit 14% de la population active[22]. Les NTIC ont puissamment contribué à la rapide extension de ce phénomène en permettant des liaisons précises et immédiates entre les donneurs d’ordre et les individus micro-entrepreneurs qui sont leurs sous-traitants occasionnels, ainsi que la démultiplication de « plateformes » type Deliveroo, Mechanical Turk (Amazon), Uber, etc., auxquelles sont rattachés de nombreux auto-entrepreneurs soi-disant indépendants. Dans ce domaine, l’hypocrisie des capitalistes atteint un sommet : l’auto-entrepreneur exercerait un travail « pour soi », exercé en toute liberté, à son rythme, selon ses besoins, sa créativité, etc.[23]
La réalité est évidemment toute différente. En 2013, en France, les micros-entrepreneurs gagnaient en moyenne 410 euros mensuels (moins que le RSA !). « Plus d’un sur quatre touche moins de 70 euros par mois et la moitié moins de 240 euros »[24]. Les plateformes s’exonèrent de toutes charges sociales (excellent pour leurs profits) : elles ne paient aucune assurance maladie, aucun congé payé, aucune assurance chômage, aucune cotisation retraite, etc. Tout est à la charge de « l’entrepreneur libre », y compris de financer lui-même ses outils de travail (voiture, ordinateur, ou autres). Il paie à la plateforme le coût du service rendu (lui fournir un client) plus le profit qu’elle empoche, tout en devant se plier à toute une série de contraintes fixées par elle, minutieusement détaillées, sur la façon d’exercer son travail. Bien évidemment, il s’agit en fait de « nouvelles formes d’exploitation et de servilité. Ces travailleurs sont très majoritairement issus des classes populaires […] tandis que les administrateurs et les clients appartiennent surtout aux classes supérieures… »[25] Le système de ces plateformes type Uber est fondé sur l’inversion juridique, purement formelle, du rapport de production réel. Le travailleur « ubérisé » est juridiquement considéré comme un entrepreneur indépendant passant un contrat avec un fournisseur de clients. Ce n’est bien sûr qu’un grossier camouflage du rapport réel qui est celui de l’entière domination de la plateforme sur ce travailleur et d’une exploitation du travail d’autrui s’exonérant de toutes les contraintes et charges financières, encore plus ou moins subsistantes, quoique de moins en moins, du rapport salarial.
Bref, avec les NTIC et les auto-entrepreneurs, le capital parvient à opérer non seulement une dégradation du rapport salarial, mais aussi sa suppression formelle, juridique. Reste, dans le rapport réel, tous les éléments de ce rapport : domination, exploitation, coercition, etc. Reste une sorte de travail à la tâche, où le travailleur, individu isolé, mis en concurrence permanente avec des milliers d’autres par la grâce d’Internet, n’est plus que payé au coup par coup, pour des « missions » (la fourniture de prestations, de résultats préalablement définis) de caractère temporaire, parfois même de quelques heures seulement, et renouvelables au gré des besoins des donneurs d’ordre.
Reste à voir maintenant si toutes ces transformations des rapports de production permises par les NTIC produisent les effets qu’en attendent les capitalistes, et surtout leur maître, Le Capital.
CHAPITRE 2. LE CAPITAL REVIGORE PAR LES NTIC ?
Rien de nouveau, disions-nous, dans les transformations des rapports de production capitalistes induites par les NTIC : elles ne font que poursuivre dans le même sens que celles induites par les innovations scientifiques et technologiques précédentes, avec toujours pour seul but d’augmenter la productivité et l’intensité[26] du travail afin que se poursuive la valorisation du capital (qu’augmente donc la pl produite afin que se maintienne le taux de profit).
Bien sûr, certains peuvent appeler « nouveau » une technologie nouvelle. Mais ce qui importe dans le MPC, ce n’est pas la technologie en soi, mais comment elle favorise la valorisation. Et alors, ce qu’il y a de véritablement nouveau dans cette dite « troisième révolution industrielle » qui, selon ses admirateurs, doit permettre de revigorer la valorisation du capital, cette fameuse « croissance » tant espérée, c’est que, contrairement aux deux précédentes[27], elle n’y parvient pas ! Elle n’apporte pas les gains de productivité espérés à hauteur d’au moins 2%, seuil minimum pour générer une nouvelle croissance en développant à la fois production (de marchandises et de pl) et consommation (grâce à la baisse de la valeur des marchandises).
Ce que ne comprennent absolument pas les économistes non marxistes, c’est le pourquoi de ce blocage, alors même que les NTIC apparaissent comme un progrès technologique considérable. Ils parlent alors de « paradoxe de la productivité » et se désespèrent du fait que « de nombreuses explications à ce paradoxe ont été formulées, mais aucune ne parvient à convaincre véritablement. »[28]
Déjà, en 1987, l’un d’entre eux, l’américain Robert Solow s’était fait remarquer en énonçant ce constat, souvent cité depuis : « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de la productivité ».
On peut sur ce point compléter les statistiques concernant les pays de l’OCDE rappelées dans l’introduction par celles concernant la France : « en France, la croissance de la productivité était de 4,7% sur la période 1950-1975, de 2,8% sur la période 1975-1995, de 1,6% sur la période 1995-2007 et enfin de 0,3% pendant la « grande récession » (2007-2012) »[29]. En fait, les deux dernières périodes de forts gains de productivité (de 4 à 5% par an) sont celles des années 30 aux USA et des années 50 en zone euro et au Japon[30]. C’est-à-dire les périodes où se sont diffusées largement les innovations de la seconde révolution industrielle. Mais après les années 2000, au moment où les NTIC se diffusent massivement, tout en se perfectionnant encore, les gains de productivité s’écroulent et stagnent à moins de 1% dans les pays de l’OCDE.
En effet, les NTIC se diffusent alors partout, et en particulier dans des secteurs de l’économie dit « tertiaires » ou « de services » (comme les commerces, banques, administrations, comptabilité, etc.) qui jusqu’alors étaient beaucoup moins mécanisés et productifs que les secteurs industriels. Là, il y avait encore des « réserves de productivité », et les NTIC ont été l’instrument ad hoc pour les développer (et y faire baisser considérablement la main d’œuvre, comme le montre les exemples des grandes surfaces commerciales mises à mal par la concurrence du e-commerce type Amazon, ou celui de la disparition progressive des agences bancaires).
Cependant, les importants gains de productivité que le capital a obtenu de ce côté-là ont été contrebalancés par l’expansion gigantesque de secteurs parasitaires, improductifs et gouffres ou se perd la pl, à commencer bien sûr par celle du capital financier, fictif, mais aussi celle de bureaucraties de toutes sortes, celle des dépenses policières et militaires, celle pour réparer un petit peu certains dégâts du capitalisme qui gênent la bourgeoisie elle-même, etc. Dépenses parasitaires (ou « faux frais » selon l’expression de Marx) de la valorisation du capital, en ce sens qu’elles alimentent ces secteurs au détriment de la reproduction d’un capital productif de pl[31]. Ainsi des économistes estimaient que, aux USA, déjà en 2007, la part des banques représentait 40% du profit total des firmes.
Ceci dit le problème de fond de la valorisation du capital se situe évidemment là où est produite la pl, dans toute la chaîne de cette production, des matières premières jusqu’aux produits finis en passant par toutes les étapes de la fabrication. Et là, comme on vient de le rappeler, c’est la dégringolade historique des gains de productivité qui est le problème et suscite l’incompréhension des experts officiels.
Pourquoi les NTIC, qui constituent un incontestable progrès technologique, n’engendrent-elles pas une augmentation des gains de productivité ? La réponse n’est pas très difficile à trouver : il suffit de constater que, dans la situation du capitalisme sénile, la quantité de travail social employé à la production de pl est devenue très faible à force de progrès scientifiques appliqués à la production. Ainsi, si on considère une valeur produite V = Cc + Cv + pl, une augmentation de la productivité reviendrait, par définition, à diminuer Cc + Cv afin d’augmenter la pl. Diminution obtenue par le moyen d’une mécanisation accrue, mais de telle sorte évidemment que Cc (la valeur de celle-ci) augmente moins que la diminution de Cv (la valeur de la force de travail) qu’elle permet. Or Cv est déjà tellement faible relativement à Cc qu’une nouvelle augmentation de l’efficacité de la machinerie n’entrainerait pas une diminution de Cv d’une envergure suffisante pour augmenter significativement la pl, laquelle (c’est-à-dire la quantité de surtravail) est d’ailleurs déjà très importante au regard de Cv (quantité de travail nécessaire) et du nombre de travailleurs productifs employés. Là est bien la cause de cette diminution des gains de productivité : cette diminution drastique de la quantité de travail vivant employée dans la production de la pl.
De fait, avec les NTIC, c’est moins la productivité qui s’accroît que l’intensité du travail[32]. En effet, comme nous l’avons vu ci-dessus, l’évolution majeure apportée par les NTIC dans l’industrie (qui était déjà très automatisée, à un haut niveau de productivité) n’est pas tant l’automatisation accrue d’un certain nombre de tâches (même si cela existe encore tant qu’il y a, ne serait-ce qu’un peu, de pl supplémentaire à grappiller) qu’un grand bond en avant dans la connectivité, permettant en même temps qu’une segmentation accrue, précise, et à l’échelle mondiale, des principales chaînes de production, la coordination et le contrôle très resserré de tous les travailleurs, une chasse hyper efficace au moindre temps mort, la recherche et l’organisation d’une flexibilité totale du temps de travail et des approvisionnements en fonction des moindres variations de la production, l’obtention pour les hommes comme pour les marchandises d’un « flux tendu » maximum. On peut d’ailleurs constater empiriquement que remplacer le marteau à main par le marteau pilon, la diligence par le train à vapeur, le charbon par l’électricité, le tournevis par la visseuse pneumatique, etc. augmentait évidemment considérablement la puissance du travail humain (facteur de la productivité), tandis que remplacer le téléphone, le train à vapeur, la machinerie fordiste des années 50 par le smartphone, le TGV, la machinerie automatisée commandée par les NTIC des années 2000 ne l’a guère augmentée, mais a surtout augmenté l’intensité de ce travail (sa vitesse, sa densité).
Un progrès technologique qui est utilisé pour augmenter l’intensité du travail, donc diminuer le nombre d’emplois, et pour mondialiser la concurrence afin de faire baisser les salaires, ne peut manifestement pas permettre une augmentation sérieuse et durable de la production de pl et de la croissance. Car il ne suffit pas d’accroître la quantité de surtravail pour cela, il faut aussi la transformer en argent, en pl, par la vente. Or, si ce « progrès » entraine, grosso modo, un certain gonflement des emplois très qualifiés à revenus élevés, cela est loin de compenser, en terme de consommation, l’accroissement beaucoup plus important des masses paupérisées et l’effondrement, dans les pays développés, où ils étaient nombreux, des emplois intermédiaires, ces « couches moyennes » fer de lance de la consommation.
Cela incite les capitalistes à stimuler la consommation par l’accroissement pharaonique du crédit. D’où les krachs tel celui de 2008, dans lequel la masse de crédits immobiliers a joué un rôle déclencheur. D’où encore leur utilisation pour lancer sans cesse de nouveaux produits, susciter de nouveaux besoins (souvent d’un intérêt médiocre, voire nuisibles). Mais cela change ce qui est consommé sans augmenter la consommation globale (d’autant plus que baisse la valeur des marchandises en même temps que la quantité de travail pour les produire). Et encore faut-il que les capitalistes obligent les individus à consommer. Ils ont en effet obligation d’acheter ordinateurs, logiciels, cartes bancaires, imprimantes, scanners, smartphones, etc., puisque nombre d’actes de la vie quotidienne, démarches administratives, etc., sont obligatoirement à effectuer par ces moyens. Et, en plus, il y a l’obsolescence programmée.
Ceci dit, concluons provisoirement cette analyse générale de la façon dont les capitalistes ont développé et utilisé les NTIC pour faire évoluer les rapports de production de sorte, espéraient-ils, à revigorer la valorisation du capital. D’abord observons qu’il s’agit là simplement de leur rôle obligé en tant que serviteurs, fonctionnaires du « capital automate » : leur volonté n’est qu’une traduction, une manifestation plus ou moins habile de celle du capital de toujours se valoriser. Mais ensuite constatons que la diminution drastique de la quantité de travail social employé dans la production, c’est-à-dire l’évanescence de la base même de cette valorisation, permet d’affirmer qu’aucune nouvelle technologie, aucune « révolution industrielle », ne peuvent s’opposer à cette tendance contemporaine, bien au contraire. Pas plus cette 3ème que provoqueraient les NTIC, que cette 4ème qu’annonceraient les NBIC, l’intelligence artificielle, les « hommes augmentés » selon ceux qui pensent prévoir le futur en ignorant cette évanescence qui entrave dès aujourd’hui une telle croissance, ainsi que, bien sûr, ce qui les renversera, eux et leurs projets destructeurs : une révolution communiste.
On vient de voir comment les capitalistes s’appliquent néanmoins férocement à leur tâche de revigorer la valorisation du capital en durcissant terriblement, au moyen des NTIC, les rapports d’exploitation et de domination dans lesquels sont les prolétaires. Mais cela ne saurait leur suffire puisque, comme on vient de le voir également, cette revigoration ne peut advenir de cette façon. Il leur faut donc actionner beaucoup plus vigoureusement cet autre levier qu’est l’exploitation sauvage et sans retenue des ressources planétaires[33] (et cela jusqu’à tendre à la destruction de son habitabilité).
On ne refera pas ici la liste et la description des innombrables et désastreux ravages écologistes, exacerbés de nos jours par un capital sénile et prêt à tout pour se survivre, se valoriser encore. En effet, du fait qu’ils touchent aussi, quoique dans une moindre mesure, les couches bourgeoises, ils sont beaucoup mieux documentés que les autres, ceux qui, dans d’autres domaines, touchent spécifiquement les couches populaires. Mais puisque notre sujet est de savoir si les NTIC peuvent permettre au capital de se revigorer, il est intéressant de commenter, brièvement, l’idée complaisamment répandue qu’il pourrait, par la convergence des énergies « vertes » et des NTIC, connaître une croissance durable et vertueusement verte.
Or, tout d’abord, les énergies vertes ne le sont guère, pas plus que les appareils qu’utilisent les NTIC. L’enquête du journaliste G. Pitron en a donné récemment une démonstration fondée[34]. Elle amène à devoir tirer la conclusion[35] que l’espoir d’une nouvelle croissance du capital de ce côté est tout aussi dangereuse, et tout aussi vaine, que celui d’y parvenir par l’exploitation décuplée des prolétaires.
Tel est en effet le résultat de cette enquête, qu’on peut résumer comme suit :
Les NTIC, avec leurs ordinateurs, clouds, big data, smartphones et autres appareillages, de même que l’électricité dite verte avec ses éoliennes et panneaux solaires contiennent, et donc consomment, de grandes quantités de métaux rares. Or, souligne cette étude, ces métaux ne sont pas dits rares pour rien : leur extraction, traitement, puis recyclage (faible) et déchets finaux (très toxiques) sont des causes d’extrêmes pollutions. Au point que les dégâts écologiques qu’engendrent tous ces divers appareils aggravent encore le dramatique état de la planète sur ce plan. De sorte, par exemple, que « l’énergie verte » des éoliennes et panneaux solaires ne serait pas moins génératrice de graves pollutions que celle à base de gaz ou de pétrole. Et elle ferait même pire si on considère qu’il faudrait installer un énorme appareillage de batteries pour stocker l’électricité qui n’est ainsi produite que par intermittence. Lesquelles consomment du lithium, métal aussi rare que cher et polluant, tant à extraire qu’à traiter. La batterie, c’est aussi, en matière d’écologie, le grand défaut de la voiture électrique. Car si on considère l’ensemble du cycle de vie de cette voiture, de l’extraction des matières premières jusqu’au recyclage et déchets finaux, cette voiture émet autant, voire plus, de CO2 que celle à essence. Bien sûr, si on isole la voiture électrique de l’ensemble de ce cycle, et si de surcroît on ne tient pas compte du remplacement fréquent des batteries, ni de l’électricité consommée (quand bien même proviendrait-elle d’éoliennes ou de panneaux solaires) alors, certes, la voiture électrique est moins polluante que celle à moteur thermique. Et comme les mines de métaux rares, très polluantes et dangereuses pour la santé des mineurs et riverains, de même que les opérations chimiques qui les isolent des roches où ils sont enfouis, de même encore que le recyclage et le stockage des déchets sont relégués dans les pays pauvres, à main d’œuvre surexploitée, sans réglementations anti pollutions, il apparait que la voiture électrique, chère, réservée aux villes des pays riches, est le moyen d’assainir celles-ci (dont les édiles vantent les qualités « vertes ») en confinant toutes ses tares dans les pays pauvres. Voilà un exemple significatif des soi-disant vertus écologiques du capitalisme vert.
Quant à l’espoir que la convergence des NTIC et des énergies (soi-disant) « vertes » permettraient de revigorer la croissance du capital, il est, bien heureusement, infondé et vain. Ce serait oublier pourquoi, comme nous l’avons rappelé ci-dessus, aucune nouvelle technologie ne peut relancer durablement la valorisation du capital. Ce serait oublier les obstacles que rajouterait une telle orientation à cette valorisation. Notamment ceux-ci :
a) Le développement des NTIC, comme celui des véhicules électriques et autres technologies « vertes », est très gourmand en électricité, dont la production est loin d’être « verte ». Par exemple, des experts prévoient que « d’ici 2025, 60% de la production électrique mondiale serait absorbée par les NTIC»[36]. Quels moyens, quelles ressources pour cette énorme production supplémentaire ?
b) Car, évidemment, les ressources ne sont pas inépuisables. Certes, le vent et le soleil le sont. Mais il leur faut des panneaux solaires et des éoliennes. Lesquelles « engloutissent davantage de matières premières que les technologies antérieures», et « selon la Banque Mondiale […] cela vaut également pour le solaire et pour l’hydrogène…. » [37]
c) D’ailleurs, d’une façon plus générale, les chiffres de consommation de l’ensemble des métaux semblent insoutenables à moyen terme tant la ressource s’épuise. Et plus elle s’épuise, plus on exploite des gisements difficiles d’accès, peu productifs, et plus l’extraction devient coûteuse, notamment en énergie. Par exemple, « pour la même quantité d’énergie dépensée, les groupes miniers extraient aujourd’hui jusqu’à dix fois moins d’uranium qu’il y a trente ans et c’est vrai d’à peu près toutes les ressources minières. »[38]
Mais que le MPC consomme aujourd’hui les ressources de la nature à un rythme beaucoup plus rapide qu’elles ne se renouvellent (ou pas) est un fait bien établi. Ce qu’on peut conclure à propos de la convergence des technologies « vertes » et des NTIC, c’est que ce n’est certainement pas cela qui sortira le capital de sa sénilité, revigorera sa valorisation, pas plus que cela pourrait engendrer un « monde meilleur » comme le proclament les écolos-capitalistes, ou comme l’espèrent les plus naïfs d’entre eux.
CHAPITRE 3. « UN MONDE MEILLEUR » GRACE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES
Un monde meilleur, plus démocratique, plus égalitaire, plus riche en emplois de qualité, c’est ce que promettaient les apologistes des NTIC.
On a déjà montré dans les chapitres précédents que les NTIC n’étaient développés et utilisés que comme moyens de produire davantage de pl, et, dans ce but, comme moyens d’augmenter l’intensité du travail (ainsi, mais avec peu de succès, que la productivité), la coercition qu’exerce le capital, par l’intermédiaire de ses gérants, sur les travailleurs, la concurrence entre ceux-ci étendue au monde entier. Tout ceci ne pouvant finalement qu’échouer à revigorer la valorisation du capital puisque, entre autres effets, cela conduit à une diminution de la quantité de travail employée à la production de pl, laquelle était déjà la cause profonde de la crise. Et cette tendance ne peut que se poursuivre, non seulement parce que ce type d’innovations technologiques se poursuit, et met du temps à se diffuser à l’ensemble des branches de l’économie (mondialisée), mais aussi parce que les pressions qu’exerce le capital pour diminuer les coûts salariaux, les guerres qui se multiplient, les ravages écologiques, entrainent une paupérisation accrue qui fait obstacle à la transformation du surtravail en pl. On peut noter d’ailleurs, à titre anecdotique, que la plupart des experts officiels prévoient eux-mêmes que l’automatisation des tâches – qui selon eux pourrait se poursuivre indéfiniment sans faire écrouler le MPC – induira une constante diminution des emplois. Ils divergent seulement sur son ampleur : « Les plus optimistes évoquent 15 à 20% des emplois touchés, les plus sombres un emploi sur deux, voire plus. »[39] On pourra donc lire encore souvent dans les journaux des informations telle que celle-ci : « Dans les années 70, l’usine Peugeot de Sochaux employait 35.000 CDI pour produire 500.000 voitures/an. Aujourd’hui 11.000 salariés, dont 2.500 intérimaires, suffisent à produire le même nombre avec des coûts de production abaissés de 30%. »[40] Et on peut noter également qu’en matière de paupérisation les masses des pays développés sont aussi concernées. C’est le cas même en Allemagne, pourtant partout présentée par les thuriféraires du capital comme un modèle de prospérité capitaliste et l’exemple à suivre. Or, en réalité, reconnait finalement l’un de ceux-ci « le miracle économique allemand est un cauchemar social : entre 2004 et 2015, le nombre de travailleurs vivant en dessous du seuil de pauvreté (de misère devrait-on dire, nda) en Allemagne a plus que doublé, passant de 1,9 millions à 4,1 millions de personnes. »[41]
Mais l’évolution des rapports de production permise par les NTIC ne concerne pas que la quantité de travail, mais aussi sa qualité. On a vu en effet qu’elles étaient utilisées par les capitalistes afin d’accentuer, outre l’intensité du travail, sa flexibilité (de sorte que le travailleur soit entièrement à leur libre disposition, mobilisé et utilisé à leur guise, juste le temps voulu). « Mieux » encore pour le capital, les NTIC ont permis de transformer nombre de prolétaires en quasi automates, qui ne doivent penser à rien, dont tous les gestes, simplifiés à l’extrême, sont programmés, dictés, mesurés, contrôlés à chaque instant par ces moyens technologiques.
Marx avait déjà longuement décrit comment, dans le mouvement historique du MPC, l’ouvrier devenait un simple prolongement de la machine, simple appendice, dépossédé de tout, ou presque tout, des anciens savoir-faire. Avec les NTIC, ce mouvement est généralisé à quasiment toutes les branches d’activité, et poussé jusqu’au point ultime où la frontière entre le prolétaire quasiment robotisé et le robot (que certains prophètes imaginent humanisé, intelligent et apprenant) s’estompe presque jusqu’à disparaître. Mais la disparition du travail prolétaire est aussi celle du capital : elle ne saurait donc advenir sous son règne. Et il reste au prolétaire robotisé, ou carrément exclu, la possibilité de refuser d’être ainsi réduit à rien, et de choisir, par la révolte et le combat révolutionnaire, de conquérir les moyens de développer, cultiver et exercer toutes ses qualités humaines.
Un autre effet du déploiement des NTIC dans tous les secteurs d’activité, est qu’ils génèrent une recomposition des divisions sociales du travail, qu’on peut résumer à deux aspects essentiels :
1) Un accroissement de l’écart entre « les puissances intellectuelles de la production » et les puissances financières, d’un côté, et la masse des exécutants (et chômeurs) de l’autre. Ce mouvement n’a rien de nouveau. Ce qui l’est plus, c’est l’étiolement des « couches moyennes » dans les pays développés où leurs membres étaient nombreux (emplois administratifs et financiers publics et privés, commerçants, techniciens, « petits chefs, etc.). Beaucoup de ces emplois moyennement qualifiés ont aussi été supprimés par les NTIC, ou, pour ceux subsistants, en partie eux aussi délocalisés dans les pays à bas coûts salariaux (par exemple l’Inde est souvent citée pour la délocalisation de services informatiques). Ainsi on observe une forte croissance « de la bipolarisation du marché du travail au sein de l’OCDE. Globalement les emplois intermédiaires […] disparaissent et sont remplacés partiellement par des emplois très qualifiés à revenus élevés […] et beaucoup par des emplois peu qualifiés à revenus faibles dans les services domestiques… »[42], et bien sûr, par le chômage, la précarité, etc. La composition de classe de ces sociétés ressemble de plus en plus à un sablier : une grosse tête (très peu de monde, mais très riches), une grosse base (beaucoup de monde, pauvres et très pauvres) et un milieu tout maigre. Or, ces couches sociales du milieu étaient et sont le principal soutien politique de la bourgeoisie. Leur étiolement, doublé de l’espoir aujourd’hui éteint de pouvoir prendre « l’ascenseur social » est un coup dur pour la démocratie bourgeoise. Beaucoup de jeunes issus de ces couches et ayant atteint un certain niveau d’études supérieures ne trouvent pas, et trouveront de moins en moins, les emplois qualifiés auxquels ils croyaient pouvoir prétendre. C’est, et ce sera pour eux une grande déception et un grand motif de révolte.
Il faut aussi noter que cette configuration « en sablier » a aussi été accentuée dans les pays développés du fait d’une concurrence fiscale entre pays attisée par la mobilité accrue des capitaux induite par les NTIC, qui, sur ce plan là aussi, ont stimulé la mondialisation. Chacun des Etats (et pas seulement les « paradis fiscaux » exotiques) cherche à attirer les capitaux, et aussi les emplois les plus qualifiés. Pour y réussir, ils sont amenés à consentir d’importants « cadeaux fiscaux » à tout ce qui est mobile et donc délocalisable : ces emplois et les capitaux. En compensation, pour boucler leurs budgets, ils augmentent les impôts et taxes sur ce qui n’est pas, ou difficilement, délocalisable : le logement, les biens de consommation, les retraites, les activités liées au territoire, etc., et ils abaissent les dépenses publiques telles que santé, écoles, aides sociales, etc. Autrement dit, l’écart de richesse entre les masses des couches sociales pauvres et le petit nombre des riches ainsi sous-imposés (leurs revenus comme leurs profits et patrimoines) croît de ce fait (tout cela, concurrence fiscale, salariale, environnementale n’étant que des manifestations de l’inéluctable concurrence entre capitaux pour leur valorisation).
2) Un élargissement à l’échelle planétaire de cet écart entre les fonctions propriétaires qui définissent les capitalistes (fonctions scientifiques[43], financières, juridiques, appuyées par les fonctions policières et militaires) et les fonctions subordonnées et prolétaires. Comme on l’a vu, la connectivité immédiate et généralisée que permettent les NTIC a été un moyen (en même temps que la très forte baisse des coûts de transports maritimes) d’étirer, en les mondialisant, les chaînes de production, c’est-à-dire de valorisation des capitaux. De sorte que la pl produite tout au long de ces chaînes remonte à la tête des multinationales, dans les pays où sont situées ces fonctions propriétaires (et dans les paradis fiscaux qui sont les arrières cours de ces métropoles impérialistes). La concentration des capitaux et des fonctions propriétaires s’y accroît donc sans cesse générant des positions oligopolistiques.
Les NTIC elles-mêmes tendent, en quelque sorte comme naturellement, au monopole en raison du phénomène appelé « le gagnant prend tout ». Il s’agit du fait que si, dans cette branche, l’investissement de départ est lourd, ses produits sont peu coûteux à diffuser et reproduire, ce qui permet aux premiers occupants de saturer facilement le marché, empêchant un concurrent ultérieur arrivant plus tard de s’y faire une place (sauf s’il apporte des innovations significatives). Cela d’autant plus quand le premier installé bénéficie d’un « effet de réseau », c’est-à-dire quand l’utilité (la valeur d’usage) du service qu’il fournit s’accroît avec le nombre d’utilisateurs (par exemple tout le monde a intérêt à utiliser le même logiciel de traitement de texte, le même « réseau social », le même site d’échanges, etc.). Toutes ces raisons concourent aux situations quasi monopolistiques acquises (sauf, notamment, en Chine qui a su s’en protéger) par les emblématiques GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Mais il en est bien d’autres dans des secteurs moins grand public. Riches par centaines de milliards de dollars de trésorerie, ces entreprises peuvent aisément acheter par milliers les meilleurs spécialistes mondiaux, et les « jeunes pousses » innovantes les plus prometteuses. Elles constituent des puissances redoutables qui contribuent, avec d’autres forces (des Etats notamment) au développement de cette sorte de totalitarisme qui est une des caractéristiques du capitalisme contemporain.
CHAPITRE 4. LES NTIC, UN MONDE PLUS LIBRE OU PLUS ASSERVI ?
Il ne faut jamais oublier cette vérité énoncée par Marx que, dans le MPC « le procès de travail lui-même n’est toutefois que le moyen du procès de valorisation ». Le capitaliste n’investit dans le développement du progrès scientifique et technique que si cela lui permet d’augmenter la pl, c’est-à-dire d’augmenter la part du surtravail par rapport à celle du travail nécessaire.
Un des « crimes contre l’humanité » que commettent en la matière les hauts fonctionnaires du capital, est que là où de tels progrès permettraient aujourd’hui d’abaisser à quantité négligeable au regard du temps éveillé disponible la quantité de travail humain dépensée dans la production, ils l’empêchent. C’est que le capital n’est pas intéressé à abaisser cette quantité de travail, c’est-à-dire Cv + pl (travail nécessaire plus surtravail), mais seulement à diminuer Cv pour augmenter la pl. D’autre part, il multiplie les quantités de travail, hors de la production, dans toutes sortes d’activités bureaucratiques, policières, financières, publicitaires, juridiques, etc., dont une vraie communauté humaine n’aurait pas besoin. Cela parce qu’il produit toutes sortes de gaspillages, de destructions, de maladies, de conflits qui n’existeraient pas dans une telle communauté.
C’est parce qu’ils sont soumis aux exigences de la valorisation (du profit à tout prix) que les progrès techniques ont déterminés, orientés, façonnés de sorte à contraindre le prolétaire à consacrer toujours plus de son temps de travail au surtravail, faisant de ce travail une douleur, un enfer, une activité vide de tout intérêt. Cela jusqu’à « être rendu lui-même superflu par la suppression de sa fonction parcellaire »[44], et être réduit au chômage et à la rue. D’où cette remarque, humour noir ou cynisme, que, dans cette société, pour le travailleur « il y a pire que d’être exploité, c’est de ne pas l’être ». En même temps, ces « progrès » ont été développés sans le moindre souci de la nature et de l’ensemble des conditions de vie sur la planète. Ce qui amenait Marx de conclure, déjà à son époque, que le développement des techniques dans le MPC « aboutit aux hécatombes périodiques de la classe ouvrière, à la dilapidation la plus effrénée des forces de travail et aux ravages de l’anarchie sociale qui fait de chaque progrès économique une calamité publique.[45]
Autre chose. Ce qui a été dit précédemment à propos de la contribution des NTIC à imposer et contrôler le travail de façon bien plus stricte, précise, efficace que le petit chef et son chronomètre ne fait aussi que confirmer cette remarque d’Ure reprise par Marx : « lorsque le capital enrôle la science, la main rebelle du travailleur apprend toujours à être docile »[46]. Tout progrès technologique, toute application de la science à l’industrie signifie aussi toujours dans le MPC accroissement du despotisme, de la surveillance, de la dépossession du prolétaire (et même au-delà des autres couches de travailleurs).
Ce qu’il faut ajouter à ce sujet, c’est que les NTIC favorisent l’extension rapide de cette tendance à la surveillance et au despotisme à l’ensemble des activités et des moments de la vie quotidienne des individus. « Nous assistons à une mutation historique décisive car, désormais, l’infrastructure technologique permet une « surveillance globale » : interconnexion généralisée, bases de données, géolocalisation, vidéosurveillance « intelligente » associée à des logiciels d’analyse comportementale, biométrie, puces et nano-puces… »[47], tous les instruments d’une surveillance étroite de tous et de tous les instants sont en place, ou en passe de l’être. Les NTIC sont des instruments d’une redoutable efficacité de l’aggravation formidable de cette tendance au totalitarisme – nettement à l’œuvre depuis les années 30 – qu’induit la concentration du capital et que la crise stimule parce qu’elle accentue les antagonismes et les conflits de toutes natures, poussant les Etats, sous prétexte de sécurité des citoyens, d’ordre, de défense des intérêts nationaux, etc., à démanteler le peu qui reste encore des droits démocratiques, à renforcer, notamment à l’aide des NTIC, leur fonctions répressives, militaires et de contrôle idéologique.
Toute une littérature existe[48] qui alerte vigoureusement sur cette capacité des NTIC à permettre à leurs maîtres de pénétrer, contrôler, manipuler les vies privées (et bien sûr les organisations « subversives »), ainsi qu’à décerveler les individus. Ceci selon ces maîtres et leurs propagandistes pour leur « rendre service » en se chargeant de faire à leur place toute sortes de choses, de répondre à leurs questions, de les guider dans leurs choix. Un enseignant à l’IEP de Paris (une de ces écoles où sont les larves qui, une fois qu’elles y auront été élevées, formeront les futurs bataillons des fonctionnaires du capital) se pâme ainsi d’admiration à propos d’Amazon : « …une entreprise matrice du monde nouveau […] elle observe en temps réel nos impulsions et hésitations et nous aide à prendre de meilleures décisions grâce à ses puissants algorithmes de recommandations ». Meilleures pour Amazon surtout comme, tout à son dévouement à la cause de la valorisation du capital, le reconnait-il lui-même : Amazon « utilise les technologies numériques pour ce qu’elles font de mieux : collecter des données sur ses clients pour […] les inviter dans sa chaîne de valeurs pour qu’ils l’aident à grandir et rester compétitif. »[49] Remarquable aveu de ce que ces nouvelles technologies sont déterminées et utilisées afin d’intégrer encore davantage les individus au procès de valorisation du capital. Grâce à elles, tout ce qu’ils font, à tout moment, obéit à ce mouvement inexorable, « automatique », car l’obéissance est bien recherchée, quoique masquée sous le terme « recommandations », ce que veut dire « prendre les meilleures décisions », comme le reconnait cet enseignant. C’est le mouvement du « capital automate » comme valeur se valorisant en permanence, c’est le contrôle et la surveillance du capital, qui s’insinuent jusque dans tous les recoins de la vie quotidienne. On ne pourrait mieux définir le totalitarisme. Et aussi « admirer » la capacité du capital à enrôler ses victimes à cette œuvre en y étant non seulement consentantes mais aussi activement participantes.
Il est bien connu qu’en usant sans cesse des connexions numérisées, les usagers livrent eux-mêmes aux maîtres de ces réseaux tout sur leurs goûts, leurs centres d’intérêts, leurs activités, leurs agendas, leurs déplacements, leurs liens sociaux, leurs idées, leur santé, etc. Le « big data », c’est à dire le collectage, le croisement, le traitement et l’analyse de cette masse d’informations est le secteur le plus dynamique des nouvelles technologies. Il fournit à ces maîtres – et bien sûr à la police « en cas de besoin » – une connaissance des individus dont la précision est proportionnelle à l’usage qu’ils font des innombrables services que leur proposent les Google (et plus largement toutes les filiales d’Alphabet Inc., sa maison mère), Facebook et autres[50]. L’ancien président de Google, Eric Schmidt, disait dans un discours en 2010 : « nous savons où vous êtes, nous savons où vous étiez, nous savons plus ou moins ce que vous pensez », et son fondateur, Larry Page, prédisait en 2004 : « Google serra inclus dans le cerveau des gens. Ils auront un implant, et quand ils penseront à quelque chose, Google leur donnera la réponse. »[51] Bref, avec ces « outils », eux et les polices en savent assez pour perfectionner, raffiner formidablement toutes les manipulations publicitaires, idéologiques et politiques, ainsi que pour ficher, connaître et suivre à la trace tous ceux qu’ils veulent surveiller, punir et combattre.
Ainsi l’environnement technologique contribue à structurer les rapports sociaux et les individus qui en sont les produits. Sur ce plan, les NTIC ne produisent pas un phénomène nouveau dans l’histoire du capitalisme, même s’il l’est par son ampleur et son efficacité. Nous l’avons déjà rappelé, la science appliquée à la production (la technologie) n’est, dans le MPC, développée que comme moyen de la valorisation du capital, ce qui veut dire aussi comme moyen de la dépossession, de la soumission, de l’aliénation des masses, prolétaires notamment.
Evidemment, ce n’est pas que les services et les produits issus des NTIC soient sans utilité. S’ils n’avaient aucune valeur d’usage personne ne les achèterait, ni ne les produirait. Mais cette utilité est avant tout un facteur de la valorisation du capital, n’existe que comme tel. Les rapports sociaux (ici le capital en tant qu’il est rapport de propriété, rapport de production), produisant les individus d’une époque donnée, produisent en particulier leurs besoins. « La production ne produit pas seulement un objet pour le sujet, mais aussi un sujet pour l’objet »[52]. Et le MPC, dans lequel la production n’a pas d’autre fin qu’elle-même, que de produire de quoi continuer à produire plus encore, et peu importe quoi pourvu qu’il y ait du profit et que l’accumulation de moyens de produire et d’argent (de capital) se poursuive, dans lequel donc le gain d’argent et la consommation du maximum de choses sont considérés comme le comble du bonheur, et où les moyens publicitaires et autres pour y pousser sont très puissants et perfectionnés, est un mode de production qui engendre toutes sortes de besoins qui lui sont spécifiques, qui sont, pour beaucoup, autant de gaspillages, et qui ne seront pas ceux d’une société communiste. « La production produit la consommation en créant le mode[53] déterminé de la consommation, et ensuite en faisant naître l’appétit de la consommation sous forme de besoin. »[54] Et évidemment, la consommation stimule la production et oriente l’évolution de l’offre. Avec les NTIC, tout devient plus simple pour les maîtres de la production : ils peuvent te proposer de faire tout pour toi, de te fournir tout ce dont tu as besoin, parce qu’ils savent tout sur toi (et plus tu les utilises, plus ils savent).
Il convient cependant de rappeler quelques-uns des mythes qui, complaisamment et abondamment répandus par les apologistes du capital, et des NTIC en particulier, stimulent leur usage. Par exemple :
Mythe d’une amélioration qualitative du travail humain qui serait libéré des tâches pénibles, répétitives. On a vu qu’il ne s’agissait que d’une dégradation des individus en robots mécaniques que le capital souhaiterait parfaitement lobotomisés.
Mythe d’une organisation souple des rapports de production qui, au lieu d’être soumis à une lourde et bureaucratique hiérarchie pyramidale, serait celle de travailleurs indépendants, auto-producteurs s’insérant librement dans des réseaux horizontaux, selon ce qu’ils veulent faire, et quand ils veulent le faire. On a vu que libre voulait dire soumis aux maîtres des chaînes de valorisation et des plateformes type Uber, que souple voulait dire flexible, disponible, ajustable selon les besoins de ces maîtres, qu’indépendant voulait dire être hors de tout collectif, seul face aux maîtres, et dans le souci permanent, l’angoisse de trouver la prochaine, et toujours précaire, prochaine « mission », l’épuisement de devoir les accumuler pour survivre.
Mythe des réseaux sociaux permettant de développer une vie sociale plus intense et démocratique (« participative », « citoyenne » pour reprendre les termes de la propagande). Mais ce n’est pas une technologie qui peut créer de riches liens sociaux entre individus aliénés, dépossédés des conditions d’une vie riche, d’activités et de besoins riches. Ce n’est pas Facebook, ou autres sites d’échanges numérisés qui peuvent créer des « amis », ni des « likes », créer une communauté. Or le terme « réseaux sociaux » ne désigne qu’un appareillage technique, et est bien souvent manipulé par des officines et puissances occultes s’employant à « faire le buzz ». D’une façon plus générale, cet appareillage ne crée pas de liens sociaux forts. Ce sont bien plus des liens de bavardages que ceux que peuvent créer une activité commune, un engagement militant (et d’ailleurs mieux vaudrait alors que celui-ci ne se signale pas à la police en s’étalant sur Internet). Plus un lieu de discours prudhommesques que réfléchis. L’addiction à l’écran semble nous connecter directement, en permanence et instantanément aux autres et au monde. Mais seule l’action commune avec d’autres rend possible une véritable rencontre, riche si l’action, dans son exécution comme dans son but, l’est. Seule une telle rencontre, et non par écran interposé, permet de se développer comme homme, chacun avec tous, en liaison avec l’action commune. C’est autre chose que d’échanger, dans l’immédiateté de l’instant, des idées courtes[55]. C’est construire, d’un long et patient effort, un projet, des moyens, une force pour atteindre des buts élevés, pour aboutir à une transformation réciproque des « circonstances » et des hommes.
Mais, objectera-t-on, tous ces nouveaux moyens de communication ne peuvent-ils pas contribuer à une activité révolutionnaire. Certes, et par exemple, l’imprimerie l’a déjà fait en permettant la diffusion de livres, journaux, etc. Mais, contrairement au Web ou chacun peut avoir son « blog » personnel, produire et diffuser un journal ou des brochures, livres, etc. nécessite déjà certaines formes d’organisation collective. Surtout, dans un cas comme dans l’autre, ce qui importe c’est le contenu, l’activité et le but qu’il promeut et sert. Or, comme déjà la radio et la télévision, les NTIC ne peuvent être qu’aux mains de grandes puissances, privées ou publiques, capitalistes. Il pouvait et il peut encore y avoir des imprimeries indépendantes, clandestines s’il le faut, des diffusions de journaux ou tracts, sous le manteau s’il le faut, il ne peut pas y avoir de littérature ou de propagande clandestine via les réseaux numérisés. Au contraire, ils sont une aubaine pour toutes les polices.
Finalement, dans le domaine de la lutte révolutionnaire, ce qu’on peut faire de mieux avec les NTIC, c’est pirater, propager des virus, « hacker », bloquer. Ils sont en effet un énorme défaut dans la cuirasse d’un système capitaliste de plus en plus dépendant de ces technologies[56]. Ce monde là dépend de plus en plus d’elles pour faire fonctionner ses entreprises, ses administrations, ses armées, et aussi tous ses moyens de propagande. Perturber ou bloquer le fonctionnement des réseaux numérisés serait perturber ou bloquer immédiatement tout ce système global. Ce serait créer une grande panique et un grand chaos dans le camp de l’ennemi.
CHAPITRE 5. CRITIQUE DE LA TECHNOLOGIE OU CRITIQUE DU MODE DE PRODUCTION
On l’a dit : pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, une avancée technologique majeure n’a pas permis une relance significative des gains de productivité et de la croissance du capital. Cela parce que la diminution de la quantité de travail productif de pl que le capital peut employer est devenue trop faible, du fait de forces mécaniques devenues extrêmement automatisées et puissantes. Situation qui, si elle est létale pour le capital, est aussi très favorable à la construction d’une nouvelle société, communiste donc[57].
Ce formidable potentiel de temps libre, de temps pour abolir la condition de prolétaire et les classes, a évidemment pour fondement matériel les non moins formidables augmentations de la productivité obtenues dans la période capitaliste des 19ème et 20ème siècle. Pour avoir montré cet aspect historiquement utile, positif du capitalisme, Marx a souvent été stigmatisé de « productiviste ».
Ce reproche montre la profonde méconnaissance de ses analyses qu’ont ceux qui le formulent. Non seulement Marx a parlé du développement des technologies dans le capitalisme comme d’une « calamité publique » (cf. note 45), a affirmé que le « progrès humain » y ressemble « à cette hideuse idole païenne qui ne voulait boire le nectar que dans le crâne de ses victimes »[58], mais surtout, il a montré pourquoi le capital ne pouvait être que « production pour la production », production de quoi produire encore plus, en un mouvement sans fin (sinon celle du capital). Mouvement inhérent à la nature même du capital[59] qui n’a pour but que son accroissement (ou valorisation, accumulation). Le but de la production n’est que les moyens d’une nouvelle production, élargie. La valeur d’usage de ce qu’il produit ne l’intéresse aucunement, sinon que cette marchandise puisse s’échanger contre plus d’argent qu’elle n’en a coûté à produire afin de pouvoir acheter plus de moyens de produire. Pas plus ne l’intéressent les catastrophes qu’engendre inéluctablement cette frénésie, sauf parfois, à ce qu’elles lui constituent des obstacles vraiment gênants. C’est pourquoi le capital devant toujours trouver les moyens de produire plus, tout en diminuant la fraction du produit qui revient aux producteurs, développe sans cesse les innovations technologiques. C’est un caractère spécifique du MPC que les modes de production précédents ne connaissaient pas[60].
Si on ne comprend pas que le « productivisme » est absolument inhérent au MPC, on ne pourra évidemment pas le combattre efficacement, l’éradiquer. On en dénoncera seulement les effets catastrophiques. Et c’est ce à quoi se sont consacrés en particulier de nombreux intellectuels, tels par exemple que H. Marcuse, J. Ellul, H. Jonas parmi les plus connus.
Ils ont développé l’idée (reprise par le courant politique qui prône la « décroissance ») qu’à force de progrès techniques les hommes du capitalisme avaient joué les apprentis sorciers : les technologies, machineries de plus en plus automatisées, étaient devenues des monstres dominant et écrasant les individus, dont beaucoup étaient rendus quasi inactifs, les dépossédant de leurs savoir-faire, de leurs qualités, en même temps que la plupart étaient stupidement englués dans la « société de consommation » qui est le pendant du « productivisme », les deux cumulant les facteurs d’aliénation et de soumission consentie au « système technologique ». Ainsi pour H. Jonas, par exemple, « les dimensions excessives de la civilisation scientifique-technique industrielle » sont la cause de la situation « apocalyptique » dans laquelle nous sommes[61].
Ce mouvement s’accélèrerait aujourd’hui à cause des NTIC. Elles éviteraient aux individus d’avoir à développer par eux-mêmes leurs compétences en se confrontant à des obstacles à surmonter, des problèmes à résoudre (par exemple la calculette éviterait aux élèves d’avoir à apprendre à compter, etc.), de sorte que s’étioleraient leurs fonctions et capacités cognitives[62]. Leur dépendance à tous les produits et services rendus par les NTIC, par le seul effort de quelques clics ou pressions de doigt sur un écran, les rendrait complétement accros au poison qui les décervèle, simples machines dans le système des machines. « L’intelligence artificielle » qui, selon ces prophètes ou futurologues, nous dira en toutes circonstances les meilleurs choses à faire, comment les faire, ou les fera pour nous mieux que nous, fera que les hommes, n’ayant plus aucun problème à résoudre, aucune pratique, ne cultiverons plus aucun talent !
A ces méfaits, présents ou à venir, du « productivisme », il faut évidemment ajouter tous les dégâts écologiques bien connus, et qui vont s’amplifiant au point que sont en passe d’être atteintes les limites physiques de la biosphère et que le mouvement de sa dégradation pourrait atteindre sous peu un point de non-retour.
Ce sombre tableau n’est pas sans contenir de nombreuses vérités. Cependant, il omet au moins deux autres vérités plus fondamentales.
La première est que le capital ne peut pas aller jusqu’à remplacer totalement le travail humain par des robots, car il n’existe que dans l’extorsion de surtravail et sa conversion en plus-value. Et c’est justement le tarissement de la quantité de travail humain productif de pl qu’il emploie qui entrave dès aujourd’hui sa croissance et tend même à la bloquer, voire à devenir décroissance avec le prolongement de la crise et des destructions qu’elle entraîne (notamment dans des guerres sans cesse renouvelées).
La deuxième est que, s’il est indéniable que les innovations technologiques telles que développées par le capitalisme consistent toujours à déposséder, soumettre et écraser les prolétaires, à nier les capacités d’initiative et de créativité de la majorité des individus, à ravager toujours davantage la nature en même temps qu’à confiner les hommes hors d’elle, dans d’atroces mégapoles de béton et de tôles, cela n’est pas pour autant une fatalité de la technique et de la science en général. Car enfin, par exemple, développer sans cesse la productivité grâce aux machines n’est pas nécessairement augmenter sans cesse la production, ni produire n’importe quoi, n’importe comment. Ce peut être, ou plutôt ce pourrait être fait dans d’autre but que d’accroître sans cesse le surtravail et la pl.
Cet autre but serait de libérer les hommes du travail contraint, répulsif, pénible, de diminuer ce temps de travail là au maximum, en diminuant, grâce aux gains de productivité, tant le temps de travail nécessaire que, surtout, le surtravail. Par là pourrait être atteint le but supérieur et fondamental de la maîtrise par tous les hommes des conditions de leurs vies qui dépendent d’eux. Seule une telle maîtrise pourra permettre qu’ils décident quoi produire, comment, en quelles quantités, pour qui, au lieu que, dans le capitalisme, c’est, et ce ne peut être que le capital automate qui décide, pas les hommes (pas même les capitalistes qui n’en sont que les fonctionnaires)[63]. Car le temps libre (libéré du travail contraint) peut et doit être, dans un processus révolutionnaire, du temps pour que chacun puisse développer des compétences et des activités supérieures, du temps pour s’approprier les sciences et les techniques, et pouvoir alors décider d’une autre orientation de leur développement, au service d’autres besoins que ceux de l’existence du capital.
Un processus révolutionnaire puisque cette appropriation des sciences, techniques et autres compétences nécessaires à l’exercice d’un réel pouvoir des individus sur leurs conditions d’existence exige du temps. Et des luttes, car évidemment les puissances intellectuelles possesseurs de ces compétences, qui sont du côté du capital, des « capitalistes actifs »[64], s’y opposeront (sauf exceptions). Au bout de ce processus seront donc abolis les rapports de propriété, qui sont aussi les rapports de production et de consommation, des formes historiques de divisions sociales du travail, qui sont ce qu’on appelle « le capital ».
On peut brièvement rappeler que cette division sociale du travail capitaliste est l’aboutissement d’une longue histoire qui a débuté dès que la production a été suffisante pour dégager des surplus non consommés par les producteurs, et que puissent exister des individus dégagés des travaux nécessaires à la vie, et pouvant de ce fait se consacrer à d’autres fonctions (religieuses, politiques, militaires, intellectuelles, etc.) L’amélioration des outils et des techniques ont été des conditions nécessaires pour qu’un plus grand nombre d’individus puissent consacrer leur temps à s’instruire et à développer les sciences et les technologies (qui, en retour, permettaient de nouveaux gains de productivité). Toutefois, ce ne pouvait être qu’un nombre limité par la grandeur de ces surplus. Mais ces individus, s’appropriant ainsi des pouvoirs particuliers, se constituaient en castes et classes dominantes. Et quand la bourgeoisie a pris le pouvoir politique, parce qu’elle détenait déjà le pouvoir sur la production, le capitalisme a pris son essor, la « production pour la production » et le machinisme se sont développés en même temps que la science et les puissances intellectuelles étaient intégrées au capital en tant que possesseurs et maîtres des moyens de production. Au cours du développement historique du capitalisme, les sciences et les techniques ont connu de très puissants et fulgurants progrès, pour les raisons que l’on a dites (gains de productivité nécessaires à la valorisation du capital, inhérents à son existence). En même temps, l’écart entre ces « capitalistes actifs » et la masse des prolétaires, la division sociale du travail et de la propriété entre « les puissances intellectuelles de la production » et les exécutants ne cessaient de grandir.
Cet accroissement de la division sociale du travail entre « puissances intellectuelles » et « exécutants », caractéristique spécifique du MPC, s’il a été, et est encore, mouvement d’appropriation par une classe des conditions de la production dont l’autre classe est dépossédée, a aussi été, dans un premier temps, une étape nécessaire à l’essor des progrès scientifiques et techniques dans la mesure où les forces productives n’étaient pas assez développées pour que tout un chacun puisse être libéré des travaux nécessaires à la vie et se consacrer à des tâches intellectuelles. Il en est tout autrement dans le capitalisme contemporain. Ces progrès ont été tels qu’ils aboutissent à la fois à ce que le capitalisme ne puisse plus les poursuivre et à avoir créé la condition matérielle n°1 de l’abolition de cette division (et donc du capitalisme, des classes, etc.) : un formidable potentiel de temps libre.
Ce potentiel ne doit pas être nié au prétexte des ravages causés par le « productivisme » propre au MPC et à la façon inhumaine dont il a utilisé les technologies. C’est en s’appuyant sur ce potentiel de temps libre, et donc sur la productivité permise par ces technologies, que les prolétaires pourront s’en emparer, élimer les plus nocives, et, surtout les transformer et orienter autrement les progrès scientifiques et techniques.
Donc, contrairement à une thèse souvent énoncée, il ne s’agit pas d’opposer la décroissance à la croissance du capital.
Il est certain que, non seulement le capital sénile est inéluctablement en peine de croissance, voire en panne, mais que tous les efforts qu’il déploie dans ce sens ne font qu’aggraver les calamités et les catastrophes. On le voit bien tous les jours, et par exemple, dans ce fait que les « réformes » qu’engagent les différents gouvernements ne sont plus que des régressions dans tous les domaines. Quant à prétendre à une croissance du capital au service de « l’humain d’abord », ou par la vertu d’un capitalisme vert, ou par un retour aux nationalismes exacerbés, ce ne sont que de grotesques et dangereux boniments[65].
Mais prôner la décroissance n’est pas non plus une alternative plausible. Tout d’abord, cela est tout à fait incompatible avec l’existence du capital, avec les rapports de propriété et de production qui sont sa racine et son essence, et qui font qu’il n’existe que comme volonté de valorisation, engendrant le dit « productivisme ». Sa « décroissance », subie ou voulue ne pourrait qu’être aggravation de sa crise et donc des conditions de vie des masses (baisse des revenus, explosion du chômage, des conflits, etc.). De plus, non seulement il y a de nombreux besoins insatisfaits, mais surtout on ne peut supprimer le besoin de telle ou telle marchandise, ou service, sans le faire de ce qui le génère. L’immense gaspillage que sont, par exemple, les besoins d’armement ne peuvent être supprimés sans le faire des causes des guerres. Idem pour le besoin de juges, policiers, etc. Prenons encore, autre exemple, la façon dont le capitalisme structure l’espace en développant de gigantesques mégapoles et désertifiant les campagnes. Elle génère non seulement de gigantesques gaspillages et calamités, mais aussi des besoins spécifiques à cette structuration, comme en matière de transports de masse, « d’évasion » (loisirs commerciaux plus ou moins aliénés, tourisme destructeur etc.), de santé, etc. Là encore, ce ne sont pas des solutions techniques, par exemple en matière de transports, la voiture électrique, le vélo ou les transports en commun (nécessairement formidablement coûteux autant que toujours saturés, en panne, etc.) qui sont la solution de ce problème dont la cause sont ces mégapoles démentielles[66]. Elle ne peut venir que de leur démantèlement et d’une remise en cause radicale de la structuration capitaliste de l’espace. Ce qui ne peut être que le résultat d’un long processus révolutionnaire qui, abolissant la cause, abolira ses effets et les besoins correspondants qui seront remplacés par d’autres, adéquats à un autre développement humain.
D’une façon générale, on sait que le MPC produit certains hommes, dans des rapports sociaux de propriété et de production spécifiques qui déterminent des activités, comportements, idéologies, besoins propres à ce mode de production, et qui ne peuvent changer qu’en même temps que change ce mode, c’est-à-dire ces rapports sociaux.
L’erreur de ceux qui mettent les technologies et le « productivisme » comme cause des catastrophes et ravages contemporains, qui sont formidables et incontestables, est d’inverser l’ordre entre cause et conséquences. Développement du machinisme et de la « production pour la production » sont des effets du capital, du mouvement « automate », qui lui est inhérent de poursuivre sans cesse le procès de sa valorisation, de son accumulation (mouvement compris comme naturel, comme loi économique intangible, comme « le progrès » par tous les agents du capital). On peut expliquer l’histoire du développement industriel et des technologies par le capital par ce mouvement qu’il impose aveuglément à toute la société (et que mettent servilement en œuvre, avec plus ou moins d’habileté et de succès, ses fonctionnaires, les capitalistes). Mais ce qu’est le capital ne s’explique pas par cette histoire, mais par des rapports de propriété, c’est-à-dire aussi de production, spécifiques.
Il est nécessaire bien sûr de critiquer – et pas seulement verbalement les effets du capital et de les contrecarrer. Mais c’est sans fin, et sans résultats probants si on ne se fixe pas pour but essentiel d’en abolir la cause : ces rapports, le capital. Ce qui passe non seulement, et en premier lieu, par la conquête du pouvoir politique, mais aussi, et surtout, par l’appropriation par l’ensemble des individus du « general intellect » (Marx), cette somme de connaissances issues des générations passées et, jusqu’ici, développées et appropriées sous forme de science par une catégorie particulière de la population qui, dans le MPC, est incluse dans la bourgeoisie, parmi les « fonctionnaires du capital ».
En s’appropriant ce qu’ils veulent de ce patrimoine, les individus en feront une partie d’eux-mêmes, un moyen de valoriser et développer les qualités qu’ils possèdent, d’en acquérir d’autres, et de les exprimer dans leurs travaux (ou activités). Chacun le sait, jouir d’effectuer un travail, c’est déployer une énergie mobilisant les plus riches qualités telles qu’intelligence, habileté, sensibilité, afin de réaliser les choses les plus subtiles, ingénieuses, belles, en surmontant des obstacles, résolvant des problèmes, découvrant des domaines inconnus. Et ce sont alors les échanges réciproques avec les autres qui deviennent enrichissants pour tous des qualités de chacun. « Qu’est-ce que la richesse, sinon l’universalité des besoins, des capacités, des jouissances. »[67]
Ce processus d’appropriation du « general intellect » (ou processus de transition au communisme) implique cette condition : c’est sur la base même des avancées scientifiques et technologiques obtenues dans le MPC, sur la base du formidable potentiel de temps libéré du travail contraint, qu’il sera possible de les transformer en abolissant leur caractère de capital, et de leur donner un essor nouveau.
Il arrive à certains intellectuels de porter quelques critiques plus ou moins vigoureuses contre le capital, ou plutôt, car la plupart ne dépassent pas ce niveau, contre certains effets du capital. Ils n’en voient pas la cause, qu’ils attribuent à quelques caractéristiques du capitalisme contemporain comme la mondialisation, les excès de la finance, les inégalités devenues trop grandes, le libéralisme, et bien sûr, celle dont nous avons traité dans cet ouvrage : la technologie moderne. Et cette cécité quant à la cause les amène, non seulement à prôner de fausses solutions qui, grosso modo, reviennent toutes à vouloir domestiquer, réguler, humaniser le capital pourtant moribond, mais aussi à ne pas voir les moyens objectifs de l’abolition du capital que celui-ci a lui-même, au stade actuel de sa sénilité, porté à parfaite maturité. A partir de là, il leur est donc impossible de travailler dans la bonne direction, qui est de créer les conditions subjectives et organisationnelles nécessaires au succès de cette entreprise.
Serons-nous assez nombreux, assez déterminés, assez conscients et organisés pour que cela advienne ? Rien n’est encore décidé. Car « la révolution peut être mûre sans que les forces des révolutionnaires appelés à l’accomplir soient suffisantes. La société pourrit alors et sa putréfaction dure parfois des dizaines d’années. »[68]
ANNEXE : PLUS-VALUE RELATIVE ET PLUS-VALUE ABSOLUE.
Distinguer entre ces deux formes d’extraction de la plus-value, but de la production dans le MPC, permet de comprendre pourquoi, comme il va être rappelé ci-après, l’extraction de la pl sous sa forme relative, c’est-à-dire par le moyen des sciences appliquées à la production, amenant ainsi des gains de productivité, est la seule qui soit adéquate à une valorisation quelque peu durable du capital, tandis que celle-ci rencontre très rapidement des limites sous sa forme absolue. Mais aussi ces gains de productivité finissant par saper la base de toute pl, le travail humain, plus exactement la quantité de surtravail humain, laquelle finit par décroitre avec les perfectionnements du machinisme et la baisse drastique de la quantité de travail qu’emploie le capital (cela malgré la hausse de la part du surtravail dans cette quantité qui finit par ne plus pouvoir compenser sa baisse générale). Ce qui induit deux conséquences notables :
1) Un effort brutal et despotique de la bourgeoisie pour tenter de revigorer la production de pl par un recours accru à sa forme absolue. C’est ce qu’elle appelle aujourd’hui « réformes », « modernisation », adaptation à la « réalité d’un monde qui bouge ».
2) L’échec inéluctable de cette tentative, puisque de l’extraction de la pl sous sa forme absolue rencontre des limites immédiates. D’autant plus qu’aujourd’hui, et contrairement aux débuts du capitalisme où elle était dominante, cette baisse drastique de la quantité de travail productif employée (de la valeur des marchandises) constitue un obstacle radical à la valorisation du capital, quelle que soit la forme de la pl.
Rappelons d’abord brièvement quelques définitions.
La grandeur de la valeur des marchandises produites au cours d’un cycle de production est la quantité de travail social qu’elles contiennent. Elle s’écrit : V = Cc + Cv + pl = A’ (A étant le capital argent engagé pour acheter Cc + Cv, A’ = A + pl).
Cc = capital constant = part de la valeur des moyens de production (capital fixe) et de leurs approvisionnements, employée pendant un cycle. Est dit aussi travail passé, ou travail mort, et constant parce qu’il se retrouve comme même valeur dans la marchandise.
Cv = capital variable = valeur de la force de travail (représentée par les salaires et charges sociales) = quantité de travail nécessaire (à la reproduction de cette force), temps pendant lequel le salarié travaille pour lui. Est dit variable parce que cette quantité de travail vivant achetée Cv se retrouve augmentée de pl dans la valeur des marchandises produites.
Pl = plus-value (ou survaleur) issue du surtravail (temps pendant lequel le travailleur travaille pour le capital).
Les capitalistes ont pour fonction d’être le capital en acte, donc d’augmenter au maximum la pl. Ce qui revient toujours à augmenter la part du surtravail par rapport à celle du travail nécessaire. Ils disposent pour cela de quatre moyens essentiels :
1) Baisser les coûts salariaux.
2) Augmenter la quantité de surtravail en augmentant la journée de travail.
3) Augmenter la quantité de surtravail en augmentant l’intensité du travail : une plus grande quantité de travail est fournie dans un même temps[69]. La valeur produite augmente, Cv restant constant, la pl augmente.
4) Augmenter la productivité : la même quantité de travail rend dans le même temps une plus grande quantité de produits[70]. Pour une valeur V produite inchangée, le gain de productivité consiste à diminuer Cc + Cv tout en produisant plus de marchandises, cela par une augmentation de l’efficacité de la machinerie, mais de telle sorte que l’augmentation de Cc que cela entraine[71] soit plus faible que la diminution de Cv (diminution du nombre de salariés employés) qu’elle génère. Donc pour une même valeur V produite, on a plus de marchandises (leur coût unitaire diminue) et plus de pl.
Comparons brièvement l’efficacité à valoriser le capital de ces quatre moyens.
Les trois premiers relèvent de la pl absolue, le quatrième de la pl relative. Utilisés aux débuts du capitalisme, les deux premiers atteignent alors très vite des limites : les prolétaires avaient de trop faibles salaires pour pouvoir reproduire leur force de travail, étaient très tôt trop usés pour pouvoir travailler, y compris leurs enfants que les capitalistes exploitaient sauvagement. Ce qui a amené l’Etat, de ce fait et sous la pression des luttes ouvrières (aussi celle de certains capitalistes plus lucides) à devoir promulguer les premières « lois sociales » (limitation du travail des enfants, de la journée de travail, etc.). Le troisième, nous en reparlerons plus loin puisque c’est celui qui est mis en œuvre aujourd’hui avec les NTIC comme nous l’avons vu.
Le quatrième, les gains de productivité, relève de la pl relative. Pourquoi elle est la forme qui convient le mieux à l’accumulation du capital, à une valorisation ample et durable – même si ce mouvement a été entrecoupé de crises et, notamment, des deux guerres mondiales – c’est qu’elle n’a, dans un premier temps (qui a duré environ quelques 150 ans) pas de limite, ses crises précédentes ayant été surmontées parce qu’elles ont été l’occasion de faire repartir de plus belle les gains de productivité.
Elle est la forme la plus adéquate à la valorisation du capital parce que, comme cela vient d’être rappelé, les gains de productivité permettent d’augmenter la pl tout en diminuant la valeur de chaque marchandise produite. Ce qui diminue la valeur de la force de travail. Mais sous la pression des luttes ouvrières et pour obtenir l’acceptation des ouvriers à un machinisme accru qui dégradait la qualité de leur travail (perte des savoir-faire professionnels, réduction au travail à la chaîne, etc.) – pas de casse des machines comme à l’époque des luddistes – les capitalistes ont été jusqu’à consentir une augmentation du prix de cette force, le salaire (le « 5 dollards a day » de Ford), quoique, bien évidemment, bien moindre que celle de la pl obtenue par la productivité accrue[72]. Ils ont même alors découvert que ce léger « sacrifice », ce petit partage des gains de productivité, leur était en réalité fort profitable pour écouler la quantité accrue des marchandises produites. Leurs idéologues ont vanté les bienfaits de la « consommation de masse ». C’est ce qui a été appelé par leurs économistes « la régulation fordiste », dont les « trente glorieuses » ont été l’exemple emblématique : augmentation conjointe des profits, des investissements, de l’emploi, du niveau de vie et de la consommation (du moins dans les principaux pays capitalistes, Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Japon).
Mais les gains de productivité génèrent, au bout d’un certain temps, une double limite à la valorisation du capital. D’abord, leur partage est tellement inégal en faveur du capital, qui donc grossissait beaucoup plus vite que la consommation, que cela conduit à des crises de suraccumulation de capital/sous-consommation des masses. Cela explique la crise contemporaine. Mais, deuxième limite, bien plus radicale, ils génèrent aussi sur le long terme une baisse drastique de la quantité de travail productif que le capital emploie. Cela explique, comme nous l’avons rappelé, pourquoi les gains de productivité sont devenus si faibles, au grand étonnement des économistes. Et, plus fondamental encore, cela marque une limite historique à la valorisation et à l’accumulation du capital. C’est la stagnation, non pas que les profits ne soient pas très importants, au contraire, mais ils sont à une sorte de maximum parce que la productivité est à un maximum[73] du point de vue du capital (l’augmenter n’augmenterait pas le surtravail et donc la pl à hauteur des investissements nécessaires) : stagnation de la valorisation, de la croissance du capital.
C’est pourquoi le capital tente, en contrepartie, d’augmenter davantage la pl absolue[74]. Elle est dite ainsi parce qu’il s’agit d’une augmentation absolue de la quantité de surtravail, tandis que dans le cas de la pl relative cette augmentation est relative à la baisse de la valeur de la force de travail[75] (celle du travail nécessaire). On a vu que cette augmentation peut être obtenue de trois manières : Par une baisse autoritaire des salaires nets, imposée par les patrons ou/et l’Etat, ou de leur pouvoir d’achat (inflation). Par l’allongement de la durée du travail (exemple : les journées de 14 à 16 heures des débuts du capitalisme). Par la chasse aux temps morts, la simplification et l’accélération des gestes. Il s’agit alors d’une augmentation de l’intensité du travail, de la quantité de travail que le travailleur fournit dans un temps donné.
C’est sur cette augmentation de l’intensité du travail qu’il est utile de s’attarder un instant, car c’est une méthode caractéristique du capitalisme développé (dont le père officiel est Taylor), du fait qu’elle n’est efficace que sur un temps assez court, au-delà duquel la fatigue, l’usure du travailleur, qui sont ainsi intensifiées, en réduisent rapidement le rendement (et occasionnent des arrêts maladies et diverses formes d’épuisement). C’est donc une méthode qui produit ses meilleurs effets lorsque la productivité a atteint un niveau assez élevé pour avoir induit une assez forte réduction de la journée de travail. C’est d’ailleurs parce que l’augmentation de l’intensité fût, et est souvent liée au développement du machinisme que les économistes les confondent en général en un seul et même phénomène qu’ils nomment « productivité du travail » (plus de pièces et marchandises produites dans un même temps). Ce lien tient au fait que de nouvelles technologies n’entraînent pas seulement une augmentation de la puissance du travailleur qui emploie des moyens plus performants, mais aussi de son intensité (nouvelles divisions du travail[76], avec réduction des temps morts, simplification des tâches, de leur vitesse d’exécution). Mais ce n’est pas toujours le cas : dans la fameuse fabrique d’épingle citée par Adam Smith, l’organisation du travail était changée (division et spécialisation des tâches), pas les outils. Quand un patron augmente les cadences, la vitesse de la chaîne par exemple, cela n’exige pas nécessairement des innovations technologiques[77]. Ni quand on réduit la quantité de personnel dans les hôpitaux, par exemple, obligeant les restants à un surcroît de travail. Bref, augmenter l’intensité est une chose particulière parce qu’elle ne nécessite pas, contrairement aux gains de productivité, de nouveaux investissements perfectionnant la machinerie, même si elle peut les accompagner, se présentant alors comme un complément de ces gains, un « bonus » de pl absolue ajouté à la pl relative.
Mais l’extraction de la pl sous sa forme absolue rencontre pas moins de quatre limites, dont trois qui lui sont spécifiques. De ces trois, la première, déjà évoquée, c’est la fatigue, l’usure immédiate et rapide. La deuxième, c’est qu’une telle méthode ne diminue pas la valeur des marchandises produites qui, si elles sont produites en plus grand nombre dans un même temps contiennent aussi une plus grande quantité de travail[78]. Donc augmenter l’intensité n’a pas l’efficacité des gains de productivité en termes de baisse des prix des marchandises. Et comme, à production égale, elle fait baisser le nombre de travailleurs employés, elle induit une baisse de la consommation et, par là, de la production et de la croissance du capital. La troisième est que cette méthode induit par sa brutalité, par la dégradation considérable des conditions de travail et de vie des masses qu’elle entraine, des résistances de plus en plus vives, stimule les antagonismes et la lutte de classe. Et enfin la quatrième, de loin la plus radicale, est, comme pour la pl relative, contemporaine : la baisse drastique de la quantité de travail humain que le capital peut employer, la part déjà énorme que prend déjà le surtravail dans la valeur produite rendent quasiment impossible de l’augmenter encore. S’attacher à augmenter la pl absolue faute de pouvoir le faire suffisamment de la pl relative a toujours été un aveu de faiblesse du capital. Aujourd’hui, c’est carrément non seulement une impasse, mais aussi se susciter des ennemis radicaux.
En conclusion de cette brève analyse, on voit que, même si pl relative et pl absolue, productivité et intensité sont souvent augmentées conjointement lors des innovations technologiques, il est fort utile de les distinguer.
Les progrès scientifiques et technologiques générateurs des gains de productivité ont augmenté considérablement la puissance du travail humain et la qualité de ses résultats. Ils ont été jusqu’ici développés uniquement en tant que générateurs de la valorisation du capital. Néanmoins, au-delà des terribles ravages et catastrophes qui l’ont accompagnée, ils en ont sapé la base en diminuant formidablement la quantité de travail productif, et, ce faisant, ont créé une puissante base matérielle potentielle pour l’abolition du MPC au profit d’une société d’hommes riches de besoins, d’activités, de relations sociales qualitativement supérieures, toutes choses dont ils seront maîtres. D’ailleurs, dans le processus de transition vers cette société nouvelle, les gains de productivité seront poursuivis, non pas à la façon étriquée de l’époque capitaliste où il s’agissait de diminuer le travail nécessaire uniquement pour augmenter le surtravail, ce qui posait une limite mesquine à ces gains (aujourd’hui bloqués parce que cette condition n’est plus réalisable), mais bien pour diminuer au maximum, sans limite, la quantité totale du travail contraint, non libre.
A l’inverse, les augmentations de l’intensité du travail ne produisent que des effets négatifs pour ceux qui les subissent, uniquement de la fatigue, de l’usure, sans aucune contrepartie en termes de salaires. A quoi s’ajoute aujourd’hui au contraire, dans les tentatives de plus en plus brutales des capitalistes d’augmenter la pl absolue, des diminutions de salaires nets. A moins de considérer comme un effet positif le rapide durcissement des antagonismes de classe que cette forme d’extraction de la pl induit nécessairement (et que la bourgeoisie fait tout pour transformer en antagonismes nationaux). Et qui croîtra tout aussi nécessairement puisque, ne pouvant obtenir aucun résultat significatif en matière de relance de la valorisation du capital, la bourgeoisie ne pourra faire qu’accentuer sa politique dite « de réformes » qui n’est qu’une politique d’extraction accrue de la pl absolue.
Là où, autrefois, les gains de productivité, l’extraction de la pl sous sa forme relative, avait permis à la bourgeoisie de développer une politique de réformes améliorant un peu les conditions matérielles de la vie des masses (consommation accrue, congés payés, sécurité sociale, logements sociaux, etc.), aujourd’hui non seulement cet ancien réformisme « progressiste », qui permettait de maintenir étroitement les luttes des prolétaires dans le cadre de la valorisation du capital, n’est plus possible, mais il doit être remplacé par un réformisme régressif[79]. Voilà bien la raison finale, en termes de compréhension de la nouvelle situation du point de vue de la lutte des classes, de comprendre la différence entre pl relative et pl absolue, productivité et intensité.
[1] Cf. TT 1999, 2004, 2009, 2011d, 2014.
[2] Les Echos, 27.12.17.
[3] Organisation de Coopération et de Développement Economique, regroupe 35 des pays les plus développés.
[4] Indice qui se rapproche le plus de la productivité « vraie » dans le MPC, celle qui se traduit par une augmentation de la pl relative (cf. annexe).
[5] Se sont même développés des crédits à taux négatifs : des Etats étaient payés pour emprunter !
[6] Cités dans Les Echos, 18.12.2017.
[7] Cf. note 1.
[8] Rappelons que cette valeur V se décompose en V = Cc + Cv + pl, ou Cc (capital constant) représente la valeur du travail passé (quantité de travail contenue dans les bâtiments, la machinerie et ses approvisionnements), Cv, la valeur de la force de travail (travail nécessaire : la quantité de leur travail qui est nécessaire aux travailleurs pour reproduire leur force de travail et qui leur revient sous forme de salaires), et pl, la plus-value (surtravail quantité de travail fournie par les travailleurs et qui revient au capital lors de la vente, grossissant le capital engagé A= Cc + Cv).
[9] Encore plus « révolutionnaires » dans l’avenir, seraient les NBIC : nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives.
[10] Pour un commentaire sur pl relative et pl absolue, et notamment pour comprendre pourquoi les gains de productivité (pl relative) sont le moyen essentiel de la valorisation du capital, voir annexe.
[11] Cf. TT 1988, p.47.
[12] Michel Kamps (ouvrier câbleur), Ouvriers et Robots, éd. Spartacus, 1983.
[13] Enquête à l’usine Valeo d’Etaples, Libération 21.02.2018.
[14] Lean : maigre ; lean production : économiser sur tout.
[15] Cf. TT 2003.
[16] Ils sont en voie d’être rapidement presque tous remplacés par de vrais robots.
[17] Cf. J.B. Malet, En Amazonie, Infiltré dans le meilleur des mondes, éd. Fayard 2013. Depuis, on apprend (février 2018) qu’Amazon a déposé un brevet pour un bracelet qui, fixé au poignet de l’employé, indiquerait tout, à chaque instant, de ce qu’il fait, où il est (heureusement il ne serait pas encore capable de dire à quoi il pense). Il lui dicterait même la bonne position de ses mains sur le colis !
[18] « Burn out » pour les snobs.
[19] Cf. TT 1988.
[20] Cf. annexe.
[21] Ils sont 4,7 millions au Royaume Uni en 2016, un tiers de la population active aux USA, (Cahiers Français n°398, mai-juin 2017, p.6).
[22] Le Monde Diplomatique, décembre 2017, p.18.
[23] Hervé Novelli, du gouvernement Fillon, fanfaronnait en 2009 : « Il n’y a plus d’exploiteurs et d’exploités. Seulement des entrepreneurs : Marx doit s’en retourner dans sa tombe. » Le Monde diplomatique, décembre 2017.
[24] Le Monde Diplomatique, décembre 2017, p.18.
[25] Cahiers Français n°398, mai-juin 2017, p.6.
[26] Sur les concepts de productivité et d’intensité, voir annexe.
[27] La première fut celle des machines à vapeur, fin 18ème-début 19ème, la deuxième celle de l’électricité, des moteurs à explosion, de la pétrochimie, du téléphone, etc., celle d’une croissance longue et forte jusque vers la dernière partie du 20ème siècle, « l’âge d’or » du capitalisme selon ses apologistes.
[28] Les universitaires A. Bergeaud, G. Cette, R. Lecat, « Ralentissement de la productivité, du paradoxe à l’explication », Cahiers Français n°398, p. 21. Ils ont pourtant cherché toutes sortes d’explication, sauf celle de Marx, mais sans pouvoir en retenir aucune. Et P. Artus, « chef économiste » de la banque Natixis, peut confirmer : « Pourquoi le digital ne relance-t-il pas la productivité ? Autant de questions sur lesquelles les chercheurs vont devoir se pencher. » Ils se penchent déjà tellement sans succès qu’on se surprend à penser : pourvu qu’ils ne tombent pas !
[29] Cahiers Français n°398, p.56.
[30] Ibidem, p. 22. Pour la Chine, les statistiques sont très incertaines.
[31] Cf. TT 2011d, chapitre 4, section 4.1.
[32] Pour un commentaire sur les différences entre productivité et intensité, voir annexe.
[33] Nous laissons ici de côté la question controversée des guerres comme moyen, ou pas, de résolution de la crise.
[34] G. Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique. Ed. Les liens qui libèrent.
[35] Que lui-même ne tire pas, se bornant à un état des lieux, doublé d’un appel aux occidentaux à se liguer contre la Chine.
[36] Les Echos 22.01.18.
[37] Guerre des métaux rares, op. cité, p.214.
[38] Ibidem, p. 222.
[39] B. Teboul, Robotariat, critique de l’automatisation de la société, éd. Kawa, 2017, interview dans Libération du 24.01.18.
[40] Le Parisien, 04.01.18.
[41] Les Echos 10.01.18.
[42] P. Artus, Les Echos 27.12.17.
[43] « Les 500 plus grandes multinationales représentent 80% de la recherche industrielle mondiale. », Techno-critiques, F. Jarrige, éd. La Découverte (2014), p. 312.
[44] K. I, 2, 165.
[45] Ibidem.
[46] K. Marx, éd. Pléiade, tome 1, p. 1293.
[47] Techno-critiques, opus cité, p. 304.
[48] Notamment de nombreux livres aux éditions L’Echappée, Montreuil.
[49] Et aident Jeff Bezos, patron d’Amazon, à être la personne la plus riche du monde, avec environ 100 milliards d’euros (classement Forbes début 2018), Journal du Dimanche, 04.03.2018.
[50] Le récent scandale Facebook, ayant livré à une obscure officine, Cambridge Analytica, les données de plus de 80 millions de personnes en vue de manipulations politiques en est un exemple parmi bien d’autres.
[51] Cités dans Alternative Economiques n°377, mars 2018. Rien que le moteur de recherche de Google reçoit plus de 3 milliards de requêtes par jour.
[52] K. Marx, Introduction à la critique de l’économie politique, dans Contribution à la critique de l’économie politique, E.S. p.157.
[53] Ce mode, ce n’est pas seulement les objets, mais la façon dont on se les procure, celle dont on en use, celle dont ils sont répartis. Le mode de production est en même temps mode de consommation, ils forment un tout.
[54] Ibidem p.158.
[55] On a pu faire le même genre d’observation à propos d’évènements comme « Nuit Debout », c’est-à-dire une collection d’individus côte à côte (comme « un sac de pommes de terre » aurait dit Marx), une succession d’interventions, courtes au point d’être totalement superficielles, un brouhaha d’où ne peut sortir aucune décision d’action commune pour un but commun.
[56] En 2017 la lutte contre la cybercriminalité a coûté 600 milliards de dollars (487 milliards d’euros), contre 445 milliards $ en 2014 (360 Mds. d’euros), selon une étude de McAfee.
[57] Sur cette question, voir T.T. 2013n.
[58] K. Marx, New York Herald Tribune 8 aout 1853, O. Choisies, t. 1, p519, éd. Du Progrès.
[59] Voir T.T. 2017.
[60] Ce que Marx affirme dès le Manifeste du Parti Communiste (1848), avant même d’en avoir analysé la cause dans Le Capital (et le capital).
[61] Hans Jonas, Le principe de responsabilité (1979), Flammarion 1990.
[62] Thèses développées notamment par Eric Sadin et Nicholas Carr publiés aux éditions L’Echappée.
[63] Cf. T.T. 2017.
[64] Cf. T.T. 2006.
[65] Cf. T.T. 2011.
[66] Il suffit d’étudier le projet du Grand Paris pour s’en rendre compte.
[67] K. Marx, Gr.1, p. 424.
[68] Lenine, O.C. t. 9, p.380, éd. du Progrès. Article de l’Iskra, octobre 1905 : Le dernier mot de la tactique de l’Iskra.
[69] K. I, 2, 192.
[70] Ibidem.
[71] On passe ici sur le fait que la diminution générale des valeurs dans le capitalisme sénile aboutit à pouvoir aussi diminuer Cc (voir, par exemple, la baisse spectaculaire du prix des ordinateurs malgré leur puissance accrue).
[72] Ce que Marx avait prévu en observant que même si avec la baisse de la valeur des marchandises induite par les gains de productivité la valeur de la force de travail, et par suite son prix, pouvaient baisser, cela n’empêchait pas que la quantité de biens que l’ouvrier pouvait acheter pouvait augmenter. Et il concluait que : « même dans ce cas, la baisse continuelle dans le prix de la force de travail, en amenant une hausse continuelle de la plus-value, élargirait l’abîme entre les conditions de vie des travailleurs et du capitaliste. » K., I, 2, 195.
[73] Marx avait noté que « plus la pl est élevée avant le nouvel accroissement de la force productive […] et plus faible sera la croissance de la pl que le capital obtient du nouvel accroissement de la force productive […]. Le taux d’autovalorisation du capital croît donc d’autant plus lentement que le capital est déjà valorisé », que la productivité est déjà élevée (nda). K. M., Manuscrits de 1861-63, Cahiers I à V, p. 366-367. Voir aussi K. I, 2, 194.
[74] Il a aussi d’autres ressources, mais qui, déjà très largement utilisées, sont aussi arrivées au maximum de leur efficacité. Par exemple, augmenter la vitesse de rotation du capital par le moyen du crédit (cf. T.T. 1999), mais l’expansion du crédit est, comme on le sait, devenue pharaonique et cause de violents et dévastateurs krachs financiers. Néanmoins, le fond de l’affaire pour le capital reste l’accroissement de l’extorsion de surtravail et sa conversion en pl.
[75] « Toute variation dans la productivité du travail amène une variation en sens inverse de la valeur de la force de travail » K. I, 2, 193.
[76] « La production de la pl relative transforme les procédés techniques et les combinaisons sociales » K. I, 2, 184.
[77] L’augmentation de l’intensité du travail « ne requiert pas une plus grande avance en matériau ou en instrument de travail » Gr. 2, 260.
[78] « Si l’intensité du travail croît, il rend dans le même temps non seulement plus de produits, mais plus de valeur. » K. I, 2, 196.
[79] Et une montée des conflits impérialistes et nationalistes, sujet qui sort des limites de cet ouvrage.
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